SGANISM SM’OOGIT (qui signifie « chef de la montagne », également connu sous les noms de Sagawan, qui veut dire « dent pointue » et qui fait allusion à une montagne à l’embouchure de la rivière Nass, Colombie-Britannique, Ḵ’ayax et Mountain), chef nisga’a, né vers 1830, probablement à Git’iks ou à Gunwok, Colombie-Britannique ; décédé en 1928, probablement à Kincolith (Gingolx, Colombie-Britannique).
L’ascendance et les liens de parenté définissent la structure sociale des Nisga’as et d’autres nations de la côte Nord-Ouest du Pacifique. Les personnes héritent de noms qui déterminent leur place dans les réseaux familiaux et dans la société. Dans l’une des lignées du clan de l’Aigle de la tribu Gitxatin de la nation nisga’a, des générations d’hommes de haut rang ont porté ou portent encore un ou tous les noms suivants : Sganism Sm’oogit, Sagawan et Ḵ’ayax, qui changent selon l’âge et le rang dans la société. Puisque les peuples du littoral Nord-Ouest sont censés se réincarner au sein de leur propre lignée, ces hommes, en réalité, héritent de leur propre nom. Donc, la biographie de Sganism Sm’oogit est celle d’innombrables générations de personnes ayant porté ce nom et dirigé cette lignée. Cette dernière fut fondée par un peuple qui s’établit à l’embouchure de la rivière Nass après la dernière époque glaciaire et qui, au fil du temps, forma les villages de Git’iks et de Gunwok. Plus tard, d’autres gens migrèrent vers cette région, en portant leur histoire distincte et en tissant un réseau complexe de liens avec les personnes déjà sur place. Plus tard encore, un groupe du clan de l’Aigle d’origine athapascane, qui s’était d’abord installé le long du canal Portland et de la baie d’Observatory Inlet, se joignit à celui de Sganism Sm’oogit. Enfin, autour de l’année 500, de nombreux groupes des clans de l’Aigle et du Loup arrivèrent du nord et, parmi ces nouveaux venus, un groupe du clan de l’Aigle s’établit aussi avec le peuple de Sganism Sm’oogit.
Vers la fin du xviiie siècle, lorsque l’histoire des Euro-Canadiens commença à recouper celle des Nisga’as, les descendants des clans du Loup et de l’Aigle issus de ces peuples en migration étaient enracinés depuis longtemps le long de la rivière Nass et faisaient du commerce avec les peuples de l’intérieur des terres, qui constituait un élément essentiel de l’économie de la côte Nord-Ouest depuis plusieurs siècles. Lorsque le premier navire européen mouilla dans le port de Nass pour troquer des marchandises contre des fourrures, le Sganism Sm’oogit de l’époque se trouvait en position favorable pour contrôler l’accès aux bateaux. Il renforça ses liens avec Legex [V. Paul Legaic*], chef tsimshian d’ascendance commune avec celle du dernier groupe du clan de l’Aigle à s’être joint au peuple de Sganism Sm’oogit. Ensemble, ils veillèrent à ce que leurs peaux de loutres marines soient les premières à être échangées. Afin de se procurer des fourrures provenant de l’intérieur des terres pour le troc, Sganism Sm’oogit s’appuya sur son ascendance commune avec les Tsetsauts, peuple athapascan vivant au nord du canal Portland.
Le premier Sganism Sm’oogit évoqué dans l’histoire européenne, né vers 1830, grandit pendant une période de concurrence intense pour l’appropriation de la richesse dans le contexte du déclin de l’économie axée sur le commerce des fourrures. Il essuya des revers : tentatives de prise de contrôle de l’embouchure de la Nass, au détriment de lui-même et d’autres lignées installées dans ce secteur, et diminution de la quantité de fourrures, particulièrement des peaux de castor, provenant de sources athapascanes. Au cours des années 1860, les lignées des clans de l’Aigle, du Loup et de l’Épaulard rivalisèrent pour avoir la même mainmise sur le commerce le long de la Nass que celle qu’avait le chef Legex du clan de l’Aigle de la nation tsimshiane dans la région de la rivière Skeena, vers le sud. La lutte pour le pouvoir prit la forme d’une course en vue d’élever le plus haut totem sur la Nass. À l’occasion d’une fête donnée à Git’iks et dont il fut l’hôte, autour de 1860, Sganism Sm’oogit reçut ses noms, fut élevé au rang de chef et hissa le plus haut mât totémique sur le littoral du Pacifique, confirmant ainsi sa richesse et son statut. Alfred Mountain, au cours d’une entrevue qu’il donnerait en compagnie d’Albert Allen et de William Moore, décrirait plus tard la fête en expliquant que
[son] oncle a[vait] fait ce totem à Git’iks […] en guise de monument à [la mémoire de] Gitxhon, Txalaxatk et Ḵ’ayax [ses prédécesseurs] […] beaucoup de boucliers en cuivre et de biens furent distribués au moment de la construction du mât. Il a fallu trois jours pour ériger [le mât] et toutes les personnes d’origine laxskiike [Aigle] […] apportèrent toutes leurs richesses, notamment des fusils, des manteaux, des couvertures, et d’autres objets précieux, qui furent jetés dans le trou au pied du totem.
[Le totem devait] être élevé au printemps, juste avant l’arrivée de l’eulakane, moment où tous les habitants de la Nass devaient être invités, tout comme ceux [de la tribu des] Tongass et [du village de] Kasaan, et des messagers furent envoyés auprès de toutes ces tribus pour les inviter au festin de Mountain.
Même s’il n’était que dans la trentaine, Sganism Sm’oogit avait consolidé la position de sa lignée à l’embouchure de la Nass. L’établissement de la Hudson’s Bay Company au fort Simpson (Lax Kw’alaams) en 1831 avait amoindri l’importance de cette embouchure comme lieu de traite, mais la pêche à l’eulakane à cet endroit continuait d’attirer les gens du haut et du bas du littoral, de même que les trafiquants de fourrures. Sganism Sm’oogit continua de transiger avec ses relations tsetsauts, particulièrement Saanik, chef à Smailx, village situé à l’extrémité supérieure du canal Portland, et il s’établit à Knagooli, porte d’entrée pour ce commerce lucratif.
Lorsque Robert Tomlinson, missionnaire de l’Église d’Angleterre, s’installa à Kincolith en 1867, le chef du clan du Loup, Hlidux, vit là l’occasion d’ébranler la position de Sganism Sm’oogit. Sous la protection du missionnaire et de la flotte navale à sa disposition, il devint le bras droit de Tomlinson à Kincolith, au cœur du territoire de Sganism Sm’oogit. Il avait depuis un certain temps des visées sur l’alliance conclue entre Sganism Sm’oogit et les Tsetsauts, au point d’avoir tué le chef de ces derniers, Saanik, dans une tentative infructueuse de forcer les Tsetsauts à commercer avec lui. Hlidux encouragea Tomlinson à rendre visite aux Tsetsauts à l’extrémité supérieure du canal Portland dans l’espoir que, lorsque William Duncan*, mentor de Tomlinson et son homologue à Metlakatla, se rendrait à Kincolith, les Tsetsauts apporteraient leurs fourrures jusqu’à son sloop marchand.
Comme l’expliquerait Txalaxatk (Robert Stewart) en 1948,
[Tomlinson] entendit bientôt parler [des Tsetsauts] avec lesquels Sagawan commerçait depuis si longtemps […] Alors il se rendit dans un village […] et vit qu’il y avait là beaucoup de gens ; ils étaient sans canots, mais avaient beaucoup de fourrures. Il échangea donc plusieurs canots contre une partie de leurs fourrures puis les invita à venir à Kincolith – leur disant d’y apporter leurs fourrures – à la goélette de M. Duncan […] Tomlinson fut accompagné jusqu’à Smailx par Hlid[u]x, son adjoint. Cet homme exhorta davantage [le nouveau chef] Saanik à s’installer à Kincolith. Le ressentiment [de Sagawan envers la nouvelle mission et Hlidux] devint tel que Sagawan suivi de son groupe revint à Git’iks.
Malgré l’intrusion de Tomlinson, Sganism Sm’oogit demeura un chef puissant. Au début des années 1880, en signe de protestation contre les démarches de Tomlinson, il se joignit, avec d’autres chefs, à la mission méthodiste du révérend Alfred Eli Green, à Laxgalts’ap. En 1881, Sganism Sm’oogit et certains chefs de ce groupe furent à la tête de la première délégation de revendication territoriale provenant de la côte Nord-Ouest ; ils protestèrent à Victoria contre la création de réserves en Colombie-Britannique et l’affirmation par la couronne de ses droits de propriété foncière. En 1885, ils publièrent une lettre dans le Daily Colonist de Victoria, dans laquelle ils dénonçaient l’insuffisance des terres allouées par le gouvernement et les intrusions dans leur territoire.
En raison de son statut et de sa vaste connaissance de la culture nisga’a, Sganism Sm’oogit attirait l’attention des anthropologues. L’Américain Franz Boas*, qui explora la région de la Nass en 1894, ainsi que le Canadien Marius Barbeau*, à sa première visite en 1927, consignèrent de nombreux récits concernant sa lignée. Barbeau demanda d’acheter le célèbre mât totémique, qui risquait alors de s’écrouler dans le village abandonné de Git’iks. La réponse de Sganism Sm’oogit, « Donnez-moi la pierre tombale du gouverneur [sir James Douglas*] ; je vous donnerai le totem de mes grands-oncles », résume ses sentiments à l’égard de cette requête. Sganism Sm’oogit avait presque 100 ans à son décès, l’année suivante. Il avait vécu au cours d’une période de profonde mutation. Alors que d’autres recouraient à la force et à des alliances avec des institutions euro-canadiennes, il était demeuré fidèle à son patrimoine et à la dignité de son rang.
On sait très peu de chose du neveu auquel le titre de Sganism Sm’oogit passa. Comme c’était la coutume à l’époque, il adopta la traduction anglaise de ce nom autochtone comme nom de famille à l’occasion de son baptême et devint ainsi Alfred Mountain. En 1928, lui-même et d’autres neveux du défunt chef vendirent le mât totémique qui avait été élevé par leur oncle au Royal Ontario Museum de Toronto, où il est conservé et exposé depuis ce temps.
Au début du xxie siècle, Sganism Sm’oogit (James Robertson) introduisit les traditions de ses ancêtres dans l’arène politique et juridique. S’appuyant sur les « droits ancestraux des autochtones afin de protéger les terres ancestrales », il contesta certains éléments de l’Accord définitif nisga’a de 2000, traité qui excluait des terres que lui-même et sa lignée avaient partagées avec des tsetsauts apparentés. Ces traditions ancestrales, toujours vivantes, remontent au premier Sganism Sm’oogit à la fin de la dernière époque glaciaire.
Musée canadien des civilisations, Arch. (Hull, Québec), Fonds Marius Barbeau, dossier I Gwenhoot, récit no I 122, boîte 299, f.5 ; sér. Mss prêts pour publication, dossier The Gwenhoot of Alaska, boîte 102, f.3, Marius Barbeau, « The Gwenhoot of Alaska in search of a bounteous land » (texte dactylographié, Ottawa, 1959) ; sér. Northwest Coast, dossier Gitxatin, B-F-104, boîtes B8, ff.12–13, B9, f.1.— Daily News (Prince Rupert, C.-B.), 17, 28 juin 2002.— Marius Barbeau, Totem poles (2 vol., Ottawa, 1950–1951), 1.— Franz Boas, « Tsimshian mythology », Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Annual report (Washington), 1909–1910 : 29–1037.— Susan Marsden, Defending the mouth of the Skeena : perspectives on Tsimshian Tlingit relations (Prince Rupert, 2000).— Susan Marsden et Robert Galois, « The Tsimshian, the Hudson’s Bay Company, and the geopolitics of the northwest coast fur trade, 1787–1840 », le Géographe canadien (Toronto), 39 (1995) : 169–183.— Peter Murray, The devil and Mr. Duncan (Victoria, 1985).— E. P. Patterson, Mission on the Nass : the evangelization of the Nishga (1860–1890) (Waterloo, Ontario, 1982).
Susan Marsden, « SGANISM SM’OOGIT (Sagawan, K’ayax) (Mountain) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sganism_sm_oogit_15F.html.
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Auteur de l'article: | Susan Marsden |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |