LEGAIC (Legaik, Legex), PAUL, chef tsimshian, né à Metlakatla (Colombie-Britannique) ; il épousa Lydia, et ils eurent au moins deux filles ; décédé le 2 janvier 1894 à Port Simpson, Colombie-Britannique.

Legaic, qui prit le prénom de Paul à son baptême, appartenait à une lignée de puissants chefs tsimshians du littoral qui portaient le titre de legaic, mot d’origine bella bella signifiant « chef des montagnes ». Ce titre fut porté par au moins quatre chefs du clan tsimshian de l’Aigle, dont les territoires traditionnels se trouvaient sur la partie la plus septentrionale de la côte de la Colombie-Britannique continentale, entre l’embouchure des rivières Nass et Skeena. Le premier legaic connu, probablement grand-oncle de Paul, était le fils d’une Tsimshiane du clan de l’Aigle originaire de Metlakatla et d’un chef bella bella. Quand il atteignit l’âge requis, le jeune homme quitta son lieu de naissance, Kitimat (Colombie-Britannique), et se rendit au village de sa mère, où il fut élevé en vue de succéder à son oncle maternel, le chef Neyeswamak. C’est ce legaic qui, dans la seconde moitié du xviiie siècle, édifia l’empire de traite qui allait tellement enrichir le clan de l’Aigle. Les legaics domineraient presque tous les échanges qui se faisaient avec la Hudson’s Bay Company au fort Simpson (Port Simpson, Colombie-Britannique) à partir de leur base, Metlakatla, située à 18 milles au sud. C’est le mariage, en 1832, de la fille du deuxième legaic du clan à John Frederick Kennedy, médecin de la compagnie, qui rendit la chose possible. Peu après le transfert du poste de traite, en 1834, tout le village, sous l’autorité du legaic, oncle de Paul, s’installa à la pointe Wild Rose, à proximité du nouveau fort.

On ne sait pas exactement à quel moment Paul, le troisième legaic, succéda à son oncle à titre de chef des Tsimshians du fort Simpson, mais des documents indiquent qu’il était grand chef lorsque William Duncan*, de la Church Missionary Society, arriva à cet endroit à l’automne de 1857. Paul Legaic et Duncan nouèrent des relations officielles presque tout de suite. Du point de vue du missionnaire, le chef était un converti, tandis que du point de vue de celui-ci, Duncan représentait une addition importante au clan de l’Aigle.

En 1862, Duncan réinstalla sa mission à l’ancien village de Metlakatla et commença à construire une église et des maisons dans un lieu qui appartenait aux Aigles et qui finit par être désigné sous le nom de pointe Mission. Le chef Legaic ne partit pas tout de suite avec Duncan, mais il le rejoignit quelques mois plus tard avec environ 200 personnes, en partie dans l’espoir que le missionnaire le soutiendrait dans la lutte qu’il devait constamment mener pour maintenir son rang, et peut-être aussi pour échapper à la variole (on sait qu’une épidémie se déclara au fort Simpson peu après son départ).

La lutte pour la suprématie comptait certainement beaucoup pour Legaic. En 1862, neuf clans tsimhians vivaient dans le voisinage du fort Simpson et, même s’il était reconnu comme le doyen des chefs, une vieille rivalité opposait son clan de l’Aigle aux autres. Legaic parvenait à conserver son autorité au moyen du potlatch, institution qui, chez les Tsimshians comme chez les autres populations autochtones du littoral nord-ouest, fournissait le mécanisme d’intégration grâce auquel les individus se situaient dans la collectivité. Les Tsimshians et leurs voisins avaient édifié une structure sociale hiérarchique fondée sur le potlatch, mais la plupart des limites internes du système avaient disparu chez les groupes qui s’étaient installés au fort Simpson. Comme plusieurs chefs de différents clans vivaient là dans une proximité plus grande qu’auparavant, ils devaient se livrer une concurrence intense pour affirmer leur rang. Les potlatchs du fort Simpson devinrent ruineux parce que, pour soutenir cette rivalité, les chefs s’échangeaient des biens de plus en plus précieux.

En qualité de chef principal au fort, Legaic monopolisait l’attention de Duncan, mais en retour il dut abandonner la tradition du potlatch en 1857 parce que le missionnaire la condamnait. En s’installant à Metlakatla, Legaic échappa à la rivalité qui l’opposait aux autres chefs et devint le grand chef incontesté du village de ses ancêtres. Grâce à Duncan et à ses relations, il put conserver sa position d’intermédiaire entre les Indiens et la Hudson’s Bay Company, puis concurrencer la compagnie et défier son hégémonie sur la traite du littoral nord-ouest. Il eut le monopole de la traite avec les tribus de l’intérieur et de la côte nord, à partir des terres des Gitksans et des Porteurs jusqu’à celles des Haïdas, territoire qui correspondait à l’empire commercial établi par ses prédécesseurs. Cette situation changea seulement lorsque la Hudson’s Bay Company put mettre en service, sur la Skeena, un vapeur capable de naviguer jusqu’à l’embranchement de la rivière et d’atteindre le poste de Hazelton.

Toutefois, les relations entre Legaic et Duncan n’étaient pas toujours harmonieuses. Tous deux étaient des personnages puissants, influents, qui partageaient certains objectifs, mais dont les mobiles étaient opposés, et ils entrèrent en conflit sur des questions culturelles. Legaic se trouvait souvent forcé de défier Duncan ouvertement pour préserver son rang et son autorité. Une fois, comme le missionnaire tentait d’orienter les affaires de la collectivité, il le défia à l’intérieur même de l’église, menaçant de le tuer. Un converti tsimshian, partisan de Duncan, intervint avec un pistolet et le força à se calmer. Ce n’était pas le seul combat dont il allait sortir vaincu. Avec le temps, Duncan en vint à diriger Metlakatla d’une main de fer, et l’influence de Legaic déclina. Le village deviendrait le siège du nouveau diocèse anglican de Caledonia en 1879, et l’arrivée de l’évêque William Ridley allait encore diviser les allégeances.

Même après avoir été baptisé, le 21 avril 1863, par George Hills, évêque du diocèse de Columbia, Legaic maintint bon nombre de traditions autochtones. Il demeurait chef de la société secrète Nuhlim ; son installation du totem de l’Aigle à Metlakatla en 1866 donna lieu à de grandes célébrations sur la côte. Les chefs des Haïdas, des Niskas, des Gitksans et des Porteurs se rendirent au village pour assister à la cérémonie et participer au potlatch. On dit que, pour montrer sa richesse et sa générosité, Legaic donna des esclaves à ses invités de marque. Même s’il résidait à Metlakatla, il continuait d’entretenir, au fort Simpson, une maison dont le linteau était surmonté d’une plaque de cuivre portant l’inscription suivante : « Legaic, mon emblème est l’Aigle, Roi des Oiseaux, 27 février 1858 ».

Une certaine confusion entoure la mort de Paul Legaic. Les journaux de John Work*, fonctionnaire de la Hudson’s Bay Company, et d’Emil Teichmann, voyageur américain, ainsi que les dossiers de l’ethnologue du xxe siècle Marius Barbeau* contiennent à son sujet plusieurs mentions antérieures à 1868, mais on perd ensuite sa trace. Les registres paroissiaux du diocèse de Caledonia indiquent qu’il mourut à Port Simpson le 6 mai 1869, à l’âge de 55 ans. Duncan fixe aussi sa mort à ce jour et l’attribue à la grippe. Cependant, William John O’Neill, écrivain et historien de la Colombie-Britannique, dit dans ses mémoires que Paul Legaic mourut à Port Simpson le 2 janvier 1894 à l’âge de 94 ans. Il semble déraisonnable de supposer que deux Paul Legaic ait vécu à la même époque ; si c’est le cas, on ignore quel lien existait entre eux. O’Neill signale que la tombe de Legaic portait l’inscription suivante : « À la mémoire du chef Legaik, décédé le 2 janvier 1894 à Port Simpson à l’âge de 95 ans. Avant de mourir, il lève les yeux vers le ciel et dit : S’il te plaît mon Dieu accorde-moi encore deux heures. Quatre heures plus tard, il meurt. Dieu lui a donné plus qu’il n’en demandait ».

Les hommes qui portèrent le titre de legaic par la suite cessèrent peu à peu de jouer un rôle dominant sur le littoral nord-ouest. Finalement, le nom disparut de la nation tsimshiane et la dynastie s’éteignit. Le dernier individu dont on sait qu’il porta ce titre le prit en 1938. Bien que l’on ne dispose pas de beaucoup de renseignements à ce sujet, il semble que, sous l’influence du christianisme, Legaic soit devenu le nom de famille des descendants de Paul Legaic. Quant au titre, la filiation matrilinéaire le fit passer à une autre nation autochtone de la côte.

Ian V. B. Johnson

ECC, Diocese of Caledonia Arch. (Prince Rupert, C.-B.), Port Simpson-Northern Cross file, 1863–1951.— Metlakatla Christian Mission (Annette Island, Alaska), William Duncan papers, journals and notebooks (mfm aux AN).— Musée canadien de la civilisation (Ottawa), Marius Barbeau, ethnographic files.— PABC, Add. mss 757.— Emil Teichmann, A journey to Alaska in the year 1868 : being a diary of the late Emil Teichmann, Oskar [Teichmann], édit. (New York, 1963).— John Work, The journal of John Work, a chief-trader of the Hudson’s Bay Co., during his expedition from Vancouver to the Flatheads and Blackfeet of the Pacific northwest, W. S. Lewis et P. C. Phillips, édit. (Cleveland, Ohio, 1923).— J. W. Arctander, The apostle of Alaska : the story of William Duncan of Metlakahtla (New York, 1909).— I. V. B. Johnson, « The Gitksan : culture conflict on the northwest coast », Proceedings of the second Wilfred Laurier University ethnohistory conference, B. M. Gough, édit. (Musée canadien de la civilisation, Mercury ser., Canadian Ethnology Service paper, Ottawa, 1989) ; « The Reverend Robert Tomlinson and the Victorian missionary enterprise among the Tsimshian Indians of northern British Columbia » (thèse de m.a., Univ. of Waterloo, Ontario, 1977).— George MacDonald, « The epic of Nekt : the archaeology of metaphor », The Tsimshian : images of the past, views for the present, Margaret Seguin, édit. (Vancouver, 1984), 65–81.— Peter Murray, The devil and Mr. Duncan (Victoria, 1985).— E. P. Patterson, Mission on the Nass : the evangelization of the Nishga (1860–1890) (Waterloo, 1982).— M. P. Robinson, The sea otter chiefs (Vancouver, 1978).— H. S. Wellcome, The story of Metlakahtla (Londres, 1887).— I. [V. B.] Johnson, « Kitwancool Jim », Ontario Indian (Toronto), 5 (1982), no 7 : 26–33.

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Ian V. B. Johnson, « LEGAIC (Legaik, Legex), PAUL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/legaic_paul_12F.html.

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