ROUILLARD, EUGÈNE (baptisé Nicolas-Olivier-Eugène), notaire, journaliste, fonctionnaire, auteur et géographe, né le 4 juin 1851 à Québec, fils de Nicolas Rouillard, marchand, et d’Éliza Legris, dit Lépine ; le 10 janvier 1881, il épousa au même endroit Orpha Myrand, et ils eurent trois fils et quatre filles ; décédé le 16 octobre 1926 dans sa ville natale.
Eugène Rouillard, fils d’un marchand de la basse ville de Québec, fait ses études classiques au petit séminaire de Québec de 1860 à 1872. Cette année-là, il s’inscrit à l’université Laval de Québec, où il devient bachelier en droit trois ans plus tard. Il est admis à la pratique du notariat le 17 mai 1876, profession qu’il exercera à Québec jusqu’en 1884 tout en y faisant du journalisme. Le 27 novembre 1876, il fonde le Nouvelliste, quotidien d’allégeance conservatrice dont il est le rédacteur en chef et le copropriétaire jusqu’au 23 octobre 1886 ; le journal cesse de paraître à cette date à cause d’une querelle survenue entre Rouillard et son associé dans cette affaire, J.-G. Gingras, au sujet de l’engagement politique du Nouvelliste. Après avoir travaillé au Canadien de la fin de 1886 à la fin de 1888, il devient rédacteur en chef de l’Événement, poste qu’il occupe de 1889 jusqu’à la fin de 1891. Le 13 janvier 1892, le Parti conservateur, par l’intermédiaire de Louis-Philippe Pelletier, lance le quotidien le Matin, en prévision des élections provinciales générales à venir ; Rouillard en est le secrétaire de rédaction jusqu’à la fin de la parution, soit jusqu’au 19 septembre de la même année. Comme journaliste, Rouillard se distingue par la grande variété de ses sujets (la politique, les bibliothèques, la langue française, la toponymie) et par son appui au Parti conservateur. Il est l’auteur de près de 600 articles de journaux.
Rouillard travaille de plus dans la fonction publique. Pour le gouvernement fédéral, il est commissaire des recensements de 1881 et de 1891, et examinateur du service civil de 1882 à 1893. Le 14 octobre 1892, il entre au service du gouvernement de la province de Québec, à titre de greffier de la couronne en chancellerie, puis, le 3 juillet 1893, Edmund James Flynn, alors commissaire des Terres de la couronne, le nomme surintendant des ventes des terres pour la section est de la province, poste qu’il occupera jusqu’en 1905, année où il deviendra secrétaire des ventes des terres. En visitant des régions peu ou pas peuplées, il s’intéresse à une foule de sujets touchant la géographie, particulièrement les caractéristiques des lieux, les ressources naturelles, les rivières et les moyens de communication, les possibilités de colonisation, la toponymie.
Dans l’exercice de ses fonctions, Rouillard fait paraître la Colonisation dans les comtés de Témiscouata, Rimouski, Matane, Bonaventure, Gaspé, en 1899, la Colonisation dans les comtés de Dorchester, Bellechasse, Montmagny, L’Islet, Kamouraska, en 1901, et la Côte nord du Saint-Laurent et le Labrador canadien […], en 1908. Ces monographies, publiées à Québec, traitent des paroisses, de leur population et de leurs ressources (industrie laitière, activité forestière, routes, rivières). D’autres travaux de Rouillard font état de la richesse faunique et du potentiel hydroélectrique de la province. Comme fonctionnaire, il s’occupe des litiges territoriaux, du zonage (avant la lettre), ainsi que de l’utilisation – souhaitable ou non – et de la gestion des terres. Du 3 mai 1895 au 27 mai 1899, son cahier de travail rend compte de la diversité de sa tâche, du genre de décisions qu’il est appelé à prendre, des avis qu’il doit donner à propos, par exemple, de la vente des terres publiques, de l’établissement, de la révision et de l’arrérage des rentes, du prix de l’énergie hydraulique potentielle, de l’évaluation du milieu naturel (sols et forêts), des différends causés par des lots de grève, de la substitution de propriétaires pour un lot, de l’évaluation des agents des terres, de l’empiétement d’un chemin de fer.
En 1907, Rouillard devient le représentant de la province à la Commission géographique du Canada, créée dans le but de recenser et d’uniformiser les noms géographiques ; sa correspondance révèle qu’il gardera des liens avec cet organisme jusqu’en 1920. Le 15 novembre 1912, à son initiative, un arrêté en conseil crée la Commission de géographie de Québec (qui relève du département de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries). À titre de président de cette commission, poste qu’il occupera jusqu’au 5 août 1915, Rouillard a pour mandat de trouver des solutions aux problèmes tels que l’anarchie dans la toponymie officielle, la multiplicité des dénominations pour un même lieu, ou le double emploi d’un toponyme. C’est ainsi qu’il définit les premières règles d’écriture des noms de lieux : par exemple, retenir les toponymes consacrés par l’usage, employer le trait d’union dans les noms composés, orthographier les noms d’origine amérindienne d’une façon qui se rapproche de leur prononciation. Il livre le fruit de son travail dans deux ouvrages importants parus à Québec. Le Dictionnaire des rivières et lacs de la province de Québec, volume publié en 1914, puis réédité en 1925, a pour objectif de fixer « d’une manière définitive l’orthographe qu’il convient de donner à une foule d’appellations géographiques nouvelles ». La parution intitulée Nomenclature des noms géographiques de la province de Québec, que Rouillard signe en 1916 (à titre de secrétaire général, fonction qu’il quittera le 6 mars 1920), constitue le premier rapport de la Commission de géographie de Québec, qui deviendra, en 1977, la Commission de toponymie. Avant Rouillard, seuls Joseph Bouchette* et Pierre-Georges Roy* ont publié quelques travaux sur la question des noms de lieux.
En 1902, Rouillard a été membre fondateur de la Société du parler français au Canada [V. Stanislas-Alfred Lortie*], organisme pour lequel il écrit Noms géographiques de la province de Québec et des provinces Maritimes empruntés aux langues sauvages […] (paru à Québec en 1906), ainsi que de nombreux articles, publiés dans le bulletin de la société. À partir de 1907, il est membre de la Société de géographie de Québec, dont il devient l’année suivante le secrétaire-archiviste et trésorier. Il relance de plus, en 1908, le bulletin de l’association ; grâce au dynamisme dont il fait preuve dans la direction de la publication, il réussit à donner un nouvel essor à l’organisme qui existe alors depuis une trentaine d’années. Il occupera ces deux postes au sein de la société jusqu’à son décès. Le Bulletin des recherches historiques de Lévis accueille également ses textes. Le géographe, auteur de 160 articles de revue, devient membre de la Société royale du Canada en 1915 ; il en présidera la section française en 1918. Six ans après que le gouvernement français lui a donné le titre d’« officier d’académie », il obtient en 1916 un doctorat honoris causa de l’université Laval de Québec.
En décembre 1919, Eugène Rouillard subit une attaque de paralysie. Il se rétablit peu après, mais connaît une rechute en 1924, puis meurt en 1926, soit peu de temps après avoir pris sa retraite. Précurseur de la géographie descriptive et appliquée, auteur des premières règles toponymiques, il a eu une longue et féconde carrière dont la portée a été durable : il a nommé plusieurs lieux dans les régions de colonisation de la province de Québec, et son ouvrage sur les toponymes d’origine amérindienne paru en 1906 a fait l’objet d’une édition révisée en 1999. Ses contemporains ont reconnu sa modestie, sa persévérance au travail, son dévouement, son affabilité, son approche à la fois passionnée, scientifique et méthodique, son amour du Canada français et de la langue française.
Eugène Rouillard a écrit de nombreux volumes et articles ; ajoutons, à ceux que nous avons déjà mentionnés : les Bibliothèques populaires (Québec, 1890) ; la Houille blanche : les ressources hydrauliques de la province de Québec (Québec, 1909) ; les Premiers Almanachs canadiens (Lévis, Québec, 1898) ; Nos rivières et nos lacs : chasse et pêche (Québec, 1895).
Pour connaître la liste des écrits de Rouillard, on consultera Joseph Rouillard, « Bio-bibliographie d’Eugène Rouillard, notaire » (mémoire, école de bibliothéconomie, univ. Laval, 1963), relevé assez complet, mais qui contient des erreurs et comporte des oublis, ainsi que Christian Morissonneau, Index, Bulletin de la Société de géographie de Québec, 1880–1934 ; index, Bulletin des sociétés de géographie de Québec et de Montréal, 1942–1944 (Sainte-Foy, Québec, [1969]) et Commission de toponymie, Bibliographie toponymique du Québec (2e éd., [Québec], 1987).
D’autres documents permettent d’en savoir davantage sur les travaux de Rouillard dans le domaine de la toponymie : le fonds intitulé Commission de toponymie du Québec aux ANQ-Q, E51 ; le fonds Commission de géographie de Québec, conservé à la Commission de toponymie du Québec (Québec), 4230-00-09 (il existe, pour ce fonds, des index et des inventaires, notamment des procès-verbaux et de la correspondance) ; un cahier manuscrit et une partie de sa correspondance entre 1895 et 1915, conservés aux Arch. de l’univ. Laval, P360 ; ainsi que quelques documents au MCQ-FSQ, SME 2.2/166/34b, 22 févr. 1900 ; 10/3/36, 2 avril 1902. [l. d.]
ANQ-Q, CE301-S1, 5 juin 1851, 10 janv. 1881.— Le Soleil, 19 oct. 1926.— Henri Froidevaux, « l’Œuvre de la Commission de géographie de Québec », Soc. de géographie de Québec, Bull. (Québec), 11 (1917) : 327–333.— Omer Héroux, « In memoriam », Soc. de géographie de Québec, Bull., 20 (1926) : 193–198.— Paul Labrecque, « Eugène Rouillard : colonisation et toponymie », Géographes (Québec), no 2 (nov. 1992) : 68–72.— Henri Lanrezac, « À la mémoire de M. Eugène Rouillard », Soc. de géographie de Québec, Bull., 21 (1927) : 86–88.— Christian Morissonneau, la Société de géographie de Québec, 1877–1970 (Québec, 1971).— Jean Poirier, Regards sur les noms de lieux (Québec, 1982) ; « 75 ans de toponymie », le Toponyme (Québec), 4 (1986–1987), no 6 : 1s.— P.-G. Roy, « Ouvrages publiés par feu Eugène Rouillard », BRH, 33 (1927) : 363s.
Laurent Deshaies, « ROUILLARD, EUGÈNE (baptisé Nicolas-Olivier-Eugène) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rouillard_eugene_15F.html.
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Année de la publication: | 2005 |
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