RAE, ANN CUTHBERT (Knight ; Fleming), auteure et institutrice, née en 1788 près d’Aberdeen, Écosse, aînée des enfants de John Rae et de Margaret Cuthbert ; le 3 juillet 1810, elle épousa James Innes Knight, puis le 8 mai 1820 James Fleming ; décédée le 15 mars 1860 à Abbotsford, Bas-Canada.

Les nombreux noms que porta Ann Cuthbert Rae pendant sa vie sont une source de confusion plutôt que des éléments utiles à la connaissance de ce personnage. En fin de compte, c’est seulement grâce aux liens qui l’ont unie à certains hommes que l’on peut connaître ses allées et venues : son père, marchand de l’Aberdeenshire ; son frère John Rae*, résidant dans le Haut-Canada, qui fut économiste, instituteur et aventurier ; son premier mari, James Innes Knight, marchand à Portsoy, en Écosse, et peut-être à Montréal ; enfin, son second mari, James Fleming, marchand à Montréal et lui-même éclipsé par son frère John*, important homme d’affaires et auteur. La richesse relative des hommes qui marquèrent sa vie peut aussi être une raison qui l’empêcha de tomber dans l’oubli.

Ann Cuthbert Rae reçut une éducation privée, comme il seyait à une fille de la classe moyenne, et de bonne qualité, ainsi que semblait l’exiger le milieu presbytérien écossais dans lequel elle vécut. À l’âge adulte, elle portait encore à son institutrice un attachement d’ordre affectif et intellectuel qu’elle reconnut publiquement dans la dédicace de son deuxième livre de poésie, A year in Canada, and other poems, publié à Édimbourg en 1816. Cette œuvre et la précédente, Home : a poem, parue en 1815 (à ne pas confondre avec un poème du même titre, publié en 1806 et attribué à John Blackwood Greenshields), avaient toutes deux été inspirées d’un voyage d’un an dans les Canadas, qui avait commencé en juin 1811. James Innes Knight était-il venu par affaires, ou le jeune couple avait-il décidé d’émigrer ? Était-ce un voyage de noces tardif, ou bien Ann Knight était-elle désireuse de se trouver loin de ses parents querelleurs ? Avec son fils Robert, âgé de six semaines, et peut-être aussi une bonne d’enfants, elle partit bien décidée à apprécier, à observer et à décrire les saisons et les régions du pays. Elle paracheva ses deux livres de poésie en 1813 et 1814, après son retour en Écosse. En juin 1815, laissant en Écosse une fille d’un an, Jessie, le couple, accompagné de Robert, retraversa l’Atlantique avec, semble-t-il, l’intention bien arrêtée de s’établir à Montréal.

Moins de quatre mois après son arrivée, Ann Knight avait ouvert une école, l’enseignement étant une des rares occupations rémunérées accessibles aux femmes instruites au début du xixe siècle. La famille avait-elle des difficultés financières, ou Ann Knight était-elle déjà au courant de la maladie qui emporterait son mari en juin 1816 ? Son poème Home parle d’une manière émouvante de la mort d’un époux comme l’une des causes premières de chagrin dans une famille. Peut-être que le soin du ménage ne requérait pas toute son attention, et que le manque d’écoles à Montréal lui a fourni l’occasion de combler un vide. Ce n’est certes pas parce qu’elle fut parmi les premières partisanes des droits des femmes : les quelques remarques méprisantes qu’on trouve dans Home sont réservées à Mary Wollstonecraft, qui osa rivaliser avec les « droits de[s] homme[s] ».

Pendant au moins quatre années, la jeune veuve Knight tint, rue Saint-Vincent, un pensionnat où quelques demoiselles montréalaises venant de familles plutôt aisées apprenaient les « travaux d’aiguille simple et de fantaisie, la langue anglaise, l’écriture, l’arithmétique, la géographie et le dessin ». Jane Porteous reçut Home comme prix, et les deux demoiselles McDonald, filles du trafiquant de fourrures John McDonald* of Garth, coûtèrent à ce dernier £29 8 shillings pour être logées, nourries, instruites, coiffées, chaussées et blanchies pendant trois mois. Les bonnets et les chaussures provenaient peut-être du magasin de marchandises sèches de James Fleming, situé tout près de là, rue Notre-Dame. Il est possible qu’Ann Knight ait connu Fleming dès cette époque, car ils venaient tous deux de l’Aberdeenshire, et la communauté écossaise de Montréal était assez petite. Cette communauté, y compris l’instituteur Alexander Skakel* qui enseignait à Robert Knight, donnait à son école un « appui flatteur et généreux » et, au cours du printemps de 1817, l’établissement s’installa dans une maison plus grande de la même rue. Un nombre plus important de pensionnaires y furent accueillies, une « assistante de Grande-Bretagne » se joignit au personnel et on ajouta au programme l’histoire, la musique et la danse. Mais en 1820, après le mariage d’Ann Knight et de James Fleming dans l’église anglicane de la garnison, à Chambly, l’école semble avoir disparu, et on perd la trace de Mme Fleming.

Cependant, l’intérêt d’Ann Fleming pour l’enseignement paraît avoir été irrépressible. Dans les années 1830, elle recruta de nouveau des élèves, cette fois-ci pour son école de la rue Saint-Jacques. C’est vraisemblablement là qu’elle créa une série de manuels scolaires pour les jeunes et leurs enseignants, ainsi que des abécédaires, des livres de lecture, des grammaires et des manuels du maître pour les accompagner. Il se peut qu’elle ait fait d’abord l’expérience de ses leçons sur ses propres enfants. Une fille serait née en 1821, un garçon, John Ramsay, qui devait plus tard devenir avocat à Aylmer et protonotaire de la Cour supérieure du Bas-Canada à Hull, naquit en 1824, enfin, un enfant serait mort en bas âge en 1832. Chose certaine, les livres First book for Canadian children, Views of Canadian scenery, for Canadian children, The prompter [...] et Progressive exercises on the English language, to correspond with The prompter subirent des essais tant au point de vue théorique que pratique, longtemps avant leur publication dans les années 1840. L’enseignement de la grammaire intéressait particulièrement Ann Fleming. En 1836, elle avait convaincu un certain nombre de gens importants, dont l’archidiacre anglican John Strachan*, que sa méthode innovatrice, concentrée sur les verbes, rendrait la grammaire « plaisante et agréable aux enfants, au lieu d’être ennuyeuse et ingrate, comme c’[était alors] trop fréquemment le cas ». En 1843, elle se rendit à Hamilton et à Kingston, dans le Haut-Canada, peut-être à l’instigation de son frère John, alors directeur de la Gore District Grammar School à Hamilton, afin d’exposer ses méthodes en enseignant à des jeunes garçons récalcitrants de huit ans les délices de la grammaire anglaise, durant une période de six semaines. Elle s’entretint aussi avec des éducateurs, fit de la publicité pour ses innovations pédagogiques et sollicita des avis favorables à leur sujet. Le Literary Garland de Montréal l’aida en citant les recommandations déjà reçues pour le First book et en signalant que le gouverneur en chef, sir Charles Theophilus Metcalfe*, avait commandé un certain nombre d’exemplaires de l’ouvrage The prompter.

On ignore si Ann Cuthbert Rae finit par être reconnue publiquement comme elle semble l’avoir recherché. À l’exception de pétitions présentées au Conseil législatif et à l’Assemblée législative en 1845, afin d’obtenir une aide financière pour publier des manuels supplémentaires, et d’un court récit paru dans le Literary Garland la même année, on ne trouve plus aucune trace d’elle. Sa patrie d’adoption, qui lui avait inspiré quelques-uns des premiers poèmes du pays écrits en langue anglaise par une femme, lui avait aussi fourni l’occasion de gagner sa vie, que ce soit par nécessité ou par choix, en plus d’être épouse et mère. Dans ce nouveau pays, elle fut amenée très vite à reconnaître le besoin d’un contenu canadien dans les livres scolaires. Le Canada lui permit peut-être aussi de vivre ce genre de vie qu’elle prête à un vieux grand-père, dans un de ses récits pour enfants, une vie dans « ce pays où il [était alors] beaucoup plus à l’aise qu’il ne l’aurait été s’il était resté à l’endroit qui l’a[vait] vu naître ».

Susan Mann Trofimenkoff

Ann Cuthbert Rae est l’auteure de : Home : a poem (Édimbourg, 1815) ; A year in Canada, and other poems (Édimbourg, 1816) ; First book for Canadian children (Montréal, 1843) ; Views of Canadian scenery, for Canadian children (Hamilton, Ontario, 1843) ; The prompter, containing the principles of the English language, and suggestions to teachers, with an appendix, in which are stated the opinions of different grammarians on disputed points (Montréal, 1844) ; Progressive exercices on the English language, to correspond with The prompter (Montréal, 1845) ; et de « The first ewe », publié dans le Literary Garland (Montréal), nouv. sér., 3 (1845) : 460–462. Des comptes rendus de ses œuvres furent publiés dans le Literary Garland, nouv. sér., 2 (1844) : 144, 366.

L’auteure tient à remercier R. W. James et Brian Whittle d’Ottawa pour leur aide.  [s. m. t.]

ANQ-M, CE1-65, 8 mars 1820 ; CE2-23, 17 mars 1860.— APC, RG 31, A1, 1831, 1842, 1851, Montréal.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Sér. O, 01-C.— GRO (Édimbourg), Aberdeen, Reg. of births and baptisms, 4 janv. 1789 ; Reg. of marriages, 3 juill. 1810.— Musée McCord, John McDonald of Garth, accounts.— Canada, prov. du, Assemblée législative, Journaux, 1844–1845 ; Conseil législatif, Journaux, 1844–1845.— Montreal Gazette, 9 oct. 1815, 5 janv. 1836.— Montreal Herald, 1er mars 1817.— Montreal directory, 1819 ; 1843–1844.— Morgan, Bibliotheca Canadensis, 125.— R. W. James, John Rae, political economist ; an account of his life and a compilation of hic main writings (2 vol., Toronto, 1965).— Lit. hist. of Canada (Klinck et al. ; 1965).— V. B. Rhodenizer, Canadian literature in English ([Montréal, 1965]).

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Susan Mann Trofimenkoff, « RAE, ANN CUTHBERT (Knight ; Fleming) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/rae_ann_cuthbert_8F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    28 novembre 2024