POWELL, ANNE, née le 10 mars 1787 à Montréal, sixième enfant et deuxième fille de William Dummer Powell et d’Anne Murray* ; décédée en mer le 22 avril 1822.

Anne Powell, fille d’un éminent juriste, appartenait à l’une des plus prestigieuses familles d’York (Toronto). Elle avait beaucoup voyagé pour l’époque et avait vécu dans la famille de sa mère, qui habitait l’état de New York. En 1811, elle étudia à Montréal afin d’obtenir un certificat d’institutrice. Avant que la guerre de 1812 n’éclate, elle rentra à York et put satisfaire son désir d’enseigner en devenant la préceptrice de deux de ses nièces orphelines. Malgré son éducation coûteuse, elle avait encore besoin, d’après sa mère, d’« acquérir des connaissances ». Après la prise d’York en avril 1813, elle soigna les soldats convalescents qui étaient logés dans la maison de ses parents.

Anne Powell avait connu sa première aventure amoureuse en 1807. Elle était alors courtisée par l’aventurier français Laurent Quetton St George, mais sa mère refusa la demande en mariage de ce dernier parce qu’elle la jugeait présomptueuse. Quelques années plus tard, il devint évident qu’Anne était, comme John Strachan* devait le dire, « troublée » par un jeune avocat charmant, John Beverley Robinson*. Celui-ci avait fait bonne figure pendant la guerre et avait été nommé procureur général par intérim, grâce à l’influence du juge Powell. Il était peu probable que cet ambitieux refuserait de nouer des liens intimes avec la fille de son bienfaiteur. Quand il décida de faire avancer sa carrière en fréquentant les Inns of Court de Londres, Anne Powell trouva moyen de le suivre : comme son père se rendait en Angleterre en 1816 pour tenter d’être nommé juge en chef, elle partit avec lui. À son arrivée, elle se remit à voir le jeune avocat, qui l’escorta galamment dans la capitale anglaise.

Cependant, à l’insu d’Anne Powell, Robinson était tombé amoureux d’une jeune Anglaise, Emma Walker, qui lui lança un ultimatum :s’il souhaitait que leurs relations se poursuivent, il valait mieux pour lui qu’il informe Mlle Powell qu’il n’était plus libre. Robinson accepta et révéla aussi à Powell, devenu juge en chef, qu’il était fiancé à une autre. Le plus ennuyé par cette nouvelle fut le rector d’York, John Strachan, qui écrivit à Robinson pour savoir s’il avait « contracté quelque engagement direct ou indirect envers Mlle Powell ». De l’aveu de tous, Robinson n’était pas « un bon parti » : après tout, son beau-père, Elisha Beman, n’était que tavernier. Pourtant, tout le monde à York tenait pour acquis le mariage de Robinson et d’Anne Powell. Apparemment, lorsqu’il était question de mariage dans la gentry d’York, la valeur personnelle avait plus de poids que le rang social. Même si le mariage de Robinson et d’Emma Walker dut décevoir les Powell, leur affection pour lui ne s’en trouva toutefois pas diminuée. Anne Powell elle-même espérait que « rien ne viendrait jamais interrompre les rapports amicaux entre les familles ».

Anne Powell demeura en Angleterre avec ses proches jusqu’à ce que son entêtement et l’indifférence avec laquelle elle considérait les dépenses qu’elle imposait à autrui rendent sa présence indésirable. C’est peu après son retour, à l’été de 1819, que ses parents commencèrent à s’inquiéter de sa santé mentale. Elle manifestait une haine profonde pour ses parents, éprouvait de la méfiance à l’égard de ses sœurs et exerçait une domination tyrannique sur ses nièces. Elle tenait tellement les orphelines sous sa coupe qu’elle se mettait en colère dès qu’une de ses sœurs tentait simplement de les emmener en promenade. Mais sa toquade pour Robinson était peut-être son excentricité la plus gênante. Elle lui envoyait des lettres qui comptaient « parmi les plus folles qui soient », d’après ce qu’en disait le frère de Robinson, William Benjamin*, à Samuel Peters Jarvis*, beau-frère d’Anne Powell. Selon cette dernière, Emma Robinson avait un « passé romantique » qui n’en faisait guère une compagne convenable pour son cher John. De son côté, Emma Robinson brûlait systématiquement les lettres d’Anne Powell et refusait de la recevoir chez elle.

Anne Powell devint plus étrange que jamais quand Robinson, alors procureur général et chef du gouvernement à la chambre d’Assemblée, fut dépêché en Angleterre à l’hiver de 1822 pour négocier le règlement d’un conflit sur les douanes avec le Bas-Canada. À la fin de janvier 1822, juste au moment où les Robinson allaient quitter York, la jeune femme rendit visite au procureur général et le supplia de la laisser l’accompagner. Il lui opposa un refus net. Le frère d’Anne, Grant Powell*, et même John Strachan tentèrent de la raisonner. Finalement, sa mère, bien que scandalisée par son « manque de sensibilité féminine et même de décence », accepta de la laisser partir. Par respect pour le procureur général, Mme Powell promit cependant que sa fille partirait 48 heures après lui et elle la fit enfermer dans sa chambre. Ayant appris le départ de son bien-aimé, la jeune femme, s’enfuit, sans argent ni bagages, et loua un traîneau pour se lancer à sa poursuite. Mme Powell, estimant que le motif de la fuite d’Anne était « une atteinte à la décence féminine [et qu’]il ne saurait être considéré autrement », sombra dans le désespoir à cause de sa « conduite scandaleuse ». Elle décrivit ainsi une lettre écrite par sa fille après cet épisode : « un tissu d’observations indignes d’une dame, ou plutôt de détails d’une persécution systématique à laquelle elle persiste à se livrer, convaincue d’agir comme une chrétienne [...] ils [ces mots] sont si peu ceux d’une femme délicate ou sensée ».

Comme Emma Robinson était malade, il fallait faire des arrêts fréquents. Anne Powell parvint donc rapidement à rejoindre les Robinson et les accompagna jusqu’à New York. Une fois arrivé, Robinson alla trouver le capitaine du navire et lui expliqua qu’il ne devait absolument pas y laisser monter Mlle Powell. Elle dut donc s’embarquer sur un navire qui appareillait plus tard, l’Albion. Ce paquebot fut pris dans une violente tempête au large de l’Old Head of Kinsale. Le corps d’Anne Powell fut ramené sur la rive par les vagues et identifié grâce à une broche que lui avait donnée son père. Le juge en chef, qui se trouvait en Angleterre, avait appris avec colère la conduite entêtée de sa fille. À la nouvelle du désastre, il interrogea les hommes d’équipage survivants et s’occupa de l’enterrement d’Anne.

Le Weekly Register de Charles Fothergill* raconta le naufrage de l’Albion avec force détails sinistres, mais il eut la délicatesse de mentionner seulement au passage qu’Anne Powell se trouvait à bord. Néanmoins, la folle passion de la jeune femme avait suscité des commérages « depuis la résidence du gouverneur jusqu’aux écuries de Forest », selon les termes de Mme Powell. Le déclin du prestige de la famille s’en trouva donc hâté. On considérait que l’objet de son obsession devait au moins porter une partie du blâme, et les familles Powell et Robinson cessèrent de se fréquenter. La conduite excentrique et la mort tragique d’Anne Powell contribuèrent à amoindrir l’influence de William Dummer Powell et à ébranler son équilibre mental, même si sa carrière commençait déjà à décliner pour d’autres raisons. L’incident plaça Robinson dans une position bizarre, peut-être même embarrassante, mais il n’en ressentit guère d’autres effets. Comme il était déjà bien établi au gouvernement, ni l’événement lui-même ni sa rupture avec les Powell n’affectèrent le moindrement sa carrière.

Patrick Brode

AO, ms 4, Emma Walker à J. B. Robinson, juin 1816 ; John Strachan à Robinson, 30 sept. 1816 ; ms 787, Anne Powell à Mme Powell, 6 sept. 1818 ; W. B. Robinson à S. P. Jarvis, 28 janv. 1822 ; Eliza Powell à M. B. Jarvis, 12 juin 1822 ; S. P. Jarvis à M. B. Jarvis, 21 nov. 1823.— MTL, W. D. Powell papers, Mme Powell à G. W. Murray, 4 sept. 1807, 16 mai 1811, 4 avril 1812, 25 févr. 1822.— Weekly Register (York [Toronto]), 13 juin 1822.

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Patrick Brode, « POWELL, ANNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/powell_anne_6F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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