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POUTRÉ, FÉLIX, journalier, espion et commerçant, né à Sainte-Marguerite-de-Blairfindie (L’Acadie, Québec) le 3 septembre 1814, fils de Pierre Poutré-Lavigne et de Josephte Mercier ; le 28 août 1837, il épousa à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu) Rose Bénac, et ils eurent cinq enfants ; décédé le 22 février 1885 à Montréal.
On connaît peu de chose sur la vie réelle de Félix Poutré, et l’on ne peut se fier à son récit autobiographique intitulé Échappé de la potence : souvenirs d’un prisonnier d’État canadien en 1838, car il est truffé de puérilités et de faussetés. Ouvrier agricole à Saint-Jean lors de la rébellion de 1837, Poutré dut s’enfuir aux États-Unis, pour des motifs que l’on ignore, après la bataille de Saint-Charles-sur-Richelieu le 25 novembre. De retour l’été suivant, il fit partie de l’Association des frères-chasseurs [V. Robert Nelson*]. Arrêté au début de novembre 1838, puis incarcéré à Montréal le 13 du même mois, il fut libéré par le procureur général 13 jours plus tard. Dans une déclaration sous serment (connue du public seulement en 1913), faite le 28 novembre 1839 devant le juge de paix et surintendant de police Pierre-Édouard Leclère*, il décrit les actes d’espionnage auxquels il s’est livré depuis sa sortie de prison. Il surveillait, pour le compte des autorités policières, les Patriotes réfugiés aux États-Unis et ceux qui vivaient dans la région de Saint-Jean. Retourné à la vie rurale, il aurait fait, sans succès, le commerce du foin de 1840 à 1850. En 1872, il habitera Montréal et se présentera comme commis puis, en 1880, il portera le titre de marchand.
Dans son autobiographie, Poutré tente de projeter une tout autre image, celle d’un héros des événements de 1837–1838 et celle d’un patriote rusé qui a réussi à échapper à la condamnation. Sur un ton vantard, il laisse entendre qu’il aurait fait prêter le serment secret de l’Association des frères-chasseurs à plus de 3 000 personnes, qu’il aurait participé à la bataille d’Odelltown en novembre 1838 et qu’il se serait rendu aux autorités devant la menace qu’on incendie la ferme de son père ; Poutré aurait ensuite passé plusieurs mois en cellule, simulant la folie, si bien que ses codétenus et les responsables de la prison crurent qu’il avait vraiment perdu la raison.
Poutré, ce maître fourbe, réussit à perpétuer une fausse réputation de héros grâce à Médéric Lanctot* qui l’aida à rédiger son récit, publié en 1862, et grâce à Louis-Honoré Fréchette* qui l’adapta au théâtre, la même année, sous le titre de Félix Poutré ou l’échappé de la potence. Le public contribua largement à faire de lui un personnage quasi légendaire, car son autobiographie connut, de son vivant, trois impressions (1862, 1869, 1884), en plus d’être traduite en anglais (1862), et le drame de Fréchette se classe parmi les pièces les plus souvent représentées au Québec vers la fin du xixe siècle. Voulant tirer profit de sa popularité, Poutré donna des conférences dans les villages du Québec ainsi que dans les villes de la Nouvelle-Angleterre, et vécut, pendant un certain temps, de la vente de sa brochure.
Il fallut attendre Benjamin Sulte*, qui, en 1898, affirma que Poutré avait été un « engagé du gouvernement », et l’archiviste Gustave Lanctot*, qui, en 1913, dévoila des documents compromettants, pour que ce « faux patriote » soit démasqué publiquement. Dès lors, Poutré fut relégué au rang des traîtres et des espions dans l’histoire des événements de 1837–1838. Ce qui en fait un homme extraordinaire, écrit Ægidius Fauteux*, « ce n’est pas d’avoir trompé ses geôliers [...], c’est d’avoir pu jusqu’à la fin battre monnaie avec son faux patriotisme sans être dénoncé ».
Félix Poutré est l’auteur d’une brochure intitulée Échappé de la potence : souvenirs d’un prisonnier d’État canadien en 1838 (Montréal, 1862), traduite en anglais la même année. Louis-Honoré Fréchette adapta ce récit en pièce de théâtre dès 1862, laquelle fut publiée sous le titre de Félix Poutré : drame historique en quatre actes (Montréal, [1871]). Pour obtenir plus de renseignements sur ces deux ouvrages, on peut consulter le DOLQ, I : 204, 246–248. [j.-p. g. et k.l.]
ANQ-Q, QBC 25, Événements de 1837–1838, nos 2 812–2 815.— La Minerve, 24 févr. 1885.— La Patrie, 23 févr. 1885.— La Presse, 23 févr. 1885.— Fauteux, Patriotes, 354–356.— Gustave Lanctot, Faussaires et faussetés en histoire canadienne (Montréal, 1948), 201–224.— Lionel Audet-Lapointe, « Documents inédits sur Félix Poutré », BRH, 33 (1927) : 753–759.— Édouard Blondel, « Félix Poutré », BRH, 32 (1926) : 419–421.— « Les causes célèbres : Félix Poutré sous ses vrais couleurs », La Patrie, 27 oct. 1923 : 23.— Gustave Lanctot, « La fin d’une légende », Rev. franco-américaine (Montréal), 10 (1912–1913) : 282–291.
Jean-Pierre Gagnon et Kenneth Landry, « POUTRÉ, FÉLIX », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/poutre_felix_11F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Pierre Gagnon et Kenneth Landry |
Titre de l'article: | POUTRÉ, FÉLIX |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |