PIGEON, FRANÇOIS-XAVIER (baptisé François), prêtre catholique, professeur, auteur, administrateur scolaire, éditeur et journaliste, né le 9 novembre 1778 à Sault-au-Récollet (Montréal-Nord, Québec), sixième enfant de Barthelemy Pigeon. menuisier, et de Marie Delorme, lingère ; décédé le 8 octobre 1838 à Laprairie (La Prairie, Québec).
François-Xavier Pigeon fait partie d’une famille de modestes artisans en quête d’ascension sociale qui, avec les journaliers et les engagés de ferme, appartiennent aux couches inférieures de la société rurale de la fin du xviiie siècle. Les études des enfants représentent alors pour une telle famille un moyen de favoriser cette ascension. Dans ces conditions, les parents de Pigeon misent beaucoup sur lui, car il s’affirme comme un enfant exceptionnellement doué. Il apprend très vite que la vie est dure et l’argent difficile à gagner ; il développe ainsi le goût de l’effort, de la réussite et souhaite devenir respectable. À partir de 1785, Pigeon fréquente l’école de Sault-au-Récollet que dirige le curé Jean-Marie Fortin. Six ans plus tard, il s’initie au latin chez le nouveau curé, Louis-Amable Prevost.
En 1792, Pigeon entre au collège Saint-Raphaël à Montréal. Il montre rapidement des dispositions pour l’étude et la vie intellectuelle. Ses succès scolaires le rapprochent alors de ses professeurs qui ont l’œil sur ce brillant adolescent. À la fin de ses études classiques, ceux-ci le jugent supérieurement intelligent, animé d’une foi profonde et irréprochable moralement. En un mot, son avenir d’ecclésiastique s’annonce très prometteur. Pigeon est par ailleurs très attaché à cet établissement reconnu pour ses idées gallicanes et monarchistes. Néanmoins, il ne semble pas avoir montré toutes les facettes de son caractère certes ardent, dévoué, zélé, enthousiaste, mais aussi retors, aigre, turbulent et indépendant.
En 1800, Pigeon entreprend des études théologiques au grand séminaire de Québec. Il y approfondit peu ses connaissances théologiques, car il est avant tout occupé à faire de la surveillance et à enseigner au petit séminaire. Il continue de montrer des aptitudes pour la vie intellectuelle ; c’est un travailleur acharné, féru de lecture et passionné de philosophie. Ses supérieurs lui prédisent un brillant avenir dans l’enseignement.
Mgr Pierre Denaut*, évêque de Québec, ordonne Pigeon prêtre en janvier 1803 et le nomme aussitôt professeur de philosophie au petit séminaire de Québec. Cet établissement entreprend alors certaines réformes dans l’enseignement. Un an plus tard, Pigeon publie un ouvrage considéré comme le premier manuel de géographie au Canada, Géographie à l’usage des écoliers du petit séminaire de Québec. Il s’affirme comme un cerveau important de l’établissement : il anime et mène une bonne partie de l’activité pédagogique tant au point de vue intellectuel que pratique. En 1804, on le nomme directeur du petit séminaire. Dans ses nouvelles fonctions, il est reconnu, estimé et respecté de tous mais, en même temps, il est l’objet d’une certaine méfiance en raison de son inflexibilité ; il se met même à dos plusieurs professeurs par la franchise et la liberté de ses discussions.
En 1805, Mgr Denaut désigne Pigeon aux postes de directeur des ecclésiastiques et de professeur de théologie au grand séminaire. Ardent et impétueux au point d’être parfois peu mesuré dans ses actions, Pigeon ne tarde pas à éveiller la méfiance et la suspicion. De plus en plus, Denaut redoute cet ecclésiastique fort jaloux de son autorité et de son pouvoir, qui répugne foncièrement aux compromis et veut toujours affirmer ses idées. Visiblement, on ne le désire plus au séminaire de Québec.
Mgr Joseph-Octave Plessis*, le nouvel évêque de Québec, décide de mettre Pigeon au pas en 1806 et l’envoie à titre de vicaire dans la paroisse Sainte-Rose (à Laval), puis à Notre-Dame-de-Saint-Hyacinthe (Notre-Dame-du-Rosaire) l’année suivante. Revenu à de meilleures dispositions, Pigeon est nommé curé de la paroisse des Saints-Anges, à Lachine, à la fin de 1808. À cet endroit, il entretient de bons rapports avec son évêque et ses paroissiens ; il se montre fort actif, met sur pied une école, fait agrandir le presbytère et encourage les formes les plus visibles du culte public.
En 1810, Mgr Plessis octroie à Pigeon la cure de Saint-Philippe-de-Laprairie. Dès son arrivée, ce dernier se préoccupe de rétablir l’ordre dans sa paroisse. Pénétré de ses responsabilités vis-à-vis de ses paroissiens, il exerce une autorité ferme et ne tolère guère d’écarts, exigeant le respect intégral de la morale chrétienne ; il combat le concubinage, accepte plus ou moins les mariages entre consanguins et impose à tous la pratique annuelle du devoir pascal. Parallèlement, il favorise une fréquentation plus grande des sacrements et encourage les processions, signes tangibles à ses yeux de la vitalité religieuse de la paroisse. De plus, il remplace la neuvaine par les quarante heures qui lui apparaissent plus susceptibles de ramener ses paroissiens à la ferveur chrétienne. Ainsi au cours des 12 premières années il s’affiche comme un prêtre exigeant envers ses paroissiens. Zélé dans son ministère, il fait même partie des quelques prêtres cités en exemple par Mgr Plessis.
La nomination de Mgr Jean-Jacques Lartigue à titre d’auxiliaire de l’archevêque de Québec à Montréal en 1820 projette Pigeon à l’avant-scène. À l’instar des sulpiciens, qui n’apprécient guère l’extension des pouvoirs épiscopaux dans l’île de Montréal, Pigeon et quelques prêtres mécontents supportent mal l’arrivée d’un nouvel évêque qui viendra s’immiscer dans les affaires courantes de leur paroisse. La querelle pour l’érection du diocèse de Montréal éclate ainsi au grand jour et crée une situation propice à l’expression de sentiments contestataires au sein du bas clergé canadien-français.
Dans ce contexte, Pigeon devient l’un des chefs de file de ce mouvement de contestation. Dès 1821, il manifeste une certaine divergence de vues avec Mgr Lartigue, à propos du démembrement d’une partie de sa paroisse. Un an plus tard, il refuse catégoriquement de lire en chaire le décret épiscopal relatif à ce démembrement. Sans consulter Lartigue, il érige une école latine dans sa paroisse et projette d’y bâtir une école d’art. La nomination de l’évêque lui donne aussi l’opportunité d’afficher ouvertement ses idées gallicanes. Il s’agit avant tout d’un gallicanisme purement ecclésiastique, hostile à l’arrivée d’un évêque dans le district de Montréal. D’ailleurs Pigeon ne craint pas de recourir à la polémique : il rédige des pamphlets revendicateurs et compose des litanies à l’ironie mordante. En 1822, il envoie à Plessis un mémoire fort injurieux à l’endroit de Lartigue. Tracassier et provocateur, il ne recule pas devant les affrontements avec son évêque ; il lui fait même porter ses lettres par un huissier.
Pigeon et le curé Augustin Chaboillez*, de Longueuil, rédigent pamphlet sur pamphlet, multiplient les articles dans les journaux, dirigent et coordonnent la stratégie dans son ensemble. En 1823, ils affirment catégoriquement que le pape ne peut ériger le district de Montréal en district épiscopal sans le consentement du clergé et des fidèles. La même année, Chaboillez publie une brochure, Questions sur le gouvernement ecclésiastique du district de Montréal. En 1824, Pigeon met sur pied une imprimerie pour lutter contre l’évêque et mieux informer le clergé et les fidèles catholiques. Sous ces presses paraissent alors une quinzaine de brochures qui exposent la doctrine de l’Église sur la morale, la discipline ecclésiastique, les sacrements, la vie des saints, la liturgie et la prière. Pigeon entreprend de publier, en deux brochures, sa correspondance avec Lartigue et Plessis, accompagnée de citations d’auteurs gallicans.
En 1826, Pigeon publie un hebdomadaire, la Gazette de Saint-Philippe, deuxième journal ecclésiastique paru dans le Bas et le Haut-Canada, et dont il est le seul rédacteur. Dans son journal, il présente un ou deux articles de nature apologétique, donne quelques nouvelles religieuses dans une chronique et inclut une partie de la correspondance avec les lecteurs. Il veut ainsi éveiller les fidèles catholiques et ses confrères qui connaissent très peu leurs droits au sein de l’Église. Dans ces conditions, le journal ne tarde pas à se heurter à la résistance de Lartigue. Dès la fin de 1826, la Gazette de Saint-Philippe cesse de paraître : la majorité des prêtres du district de Montréal ont manifesté peu d’intérêt pour ce journal et se sont ralliés rapidement au point de vue de l’évêque.
Un an plus tard, Pigeon abdique et se soumet sans restriction à l’évêque. Il modifie alors son attitude : d’une part, il s’attaque au mouvement libéral au sein du parti patriote et, d’autre part, il multiplie les contacts avec Lartigue comme s’il voulait lui donner raison sur la question du libéralisme. À partir de 1830, les échanges entre les deux hommes se multiplient et s’approfondissent. Assuré du silence servile et parfois complaisant de Pigeon, Lartigue peut dorénavant agir en toute quiétude. En 1835, Pigeon n’hésite pas à signer une requête pour exhorter le Saint-Siège à permettre l’érection du district de Montréal en siège épiscopal.
Réconcilié avec son évêque, Pigeon se contente, à la fin de sa vie, de mettre en pratique le rituel, d’administrer les sacrements et de gérer adéquatement sa paroisse. Délivré de tous ses embarras, il mène une existence paisible, partagée entre la prière, la lecture et la visite des prêtres des paroisses voisines. Il lui arrive même de les recevoir dans sa demeure en pierre, entourée d’un vaste jardin. Des 1 000 minots de blé que lui rapporte la dîme, il tire assez de revenus pour vivre confortablement, acheter quelques terres et aider son neveu à entrer dans les ordres. Pigeon possède aussi une bibliothèque imposante, constituée non seulement de livres utilisés pour son ministère mais aussi d’ouvrages servant à défendre les doctrines morales et philosophiques de l’Église.
Durant les troubles de 1837–1838, Pigeon adopte les positions de Lartigue et utilise tous les moyens mis à sa disposition pour empêcher la participation de ses paroissiens à la révolte armée. En chaire, s’il lit le mandement de l’évêque avec une certaine hésitation, c’est qu’il craint les représailles des patriotes de sa paroisse. Épuisé physiquement, il s’éteint le 8 octobre 1838.
François-Xavier Pigeon fait partie de cette minorité de prêtres qui constitue l’élite intellectuelle et sociale du clergé de son époque. Vers 1820, cette minorité s’abreuve aux grandes options doctrinales du monde ecclésiastique et laïque. Certains se font les défenseurs du gallicanisme, d’autres adhèrent à l’école ménaisienne et quelques-uns sont même les propagateurs d’un certain libéralisme. Ces prêtres ne font quand même pas le poids devant une Église fortement hiérarchisée, qu’un catholicisme providentialiste et ultramontain inspire. Du reste, aucune action et aucune idéologie communes ne lient ces prêtres entre eux. C’est sans doute pour cette raison que Pigeon s’est rallié rapidement à ses supérieurs. Par conséquent, à l’époque des troubles de 1837–1838, l’ensemble du clergé canadien-français suit aveuglément les directives de la hiérarchie ecclésiastique, s’oppose à toute révolte armée et défend ardemment les idéaux d’une société d’Ancien Régime.
François-Xavier Pigeon est l’auteur de : Géographie à l’usage des écoliers du petit séminaire de Québec (Québec, 1804) ; Réponse à M. Deshons Montbrun, adressée aux bons et honnêtes habitans de la campagne (Montréal, 1818) ; et Rapports entre le curé de St. Philippe et Monseigneur de Québec (s.l., 1826).
AAQ, 210 A, XII : 521 ; XIII : 75, 242, 372.— ACAM, RLL, I : 66 ; II : 26, 82, 98, 100, 140, 261, 268, 279, 338 ; III : 53, 129, 134, 265 ; IV : 37, 88, 99, 160, 267, 346.— ANQ-M, CE1-4, 9 nov. 1778 ; CE1-54, 11 oct. 1838 ; CN1-233, 23 déc. 1826 ; CN1-245, 16 mars 1837 ; CN4-33, 27 avril 1832, 23 avril, 14 août 1838.— AP, Saint-Philippe (Laprairie), Cahier des recettes et dépenses de la fabrique, 1810–1838 ; Saints-Anges (Lachine), Cahier des recettes et dépenses de la fabrique, 1809.— Arch. du diocèse de Saint-Jean-de-Québec (Longueuil, Québec), 9A/12–105.— ASN, AP-G, L.-É. Bois, G, 10 : 131.— ASQ, Grand livre, 12F, 58 ; Lettres, T, 79, 111–112, 124 ; mss, 433 : 7, 27, 141, 153 ; 437 : 375–376 ; Séminaire, 120, no 296A.— Le Séminaire de Québec : documents et biographies, Honorius Provost, édit. (Québec, 1964).— C.-P. Beaubien, le Sault-au-Récollet, ses rapports avec les premiers temps de la colonie ; mission-paroisse (Montréal, 1898).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967).— J.-J. Lefebvre, « Saint-Constant–Saint-Philippe de Laprairie, 1744–1946 ; la vie religieuse », SCHEC Rapport, 13 (1945–1946) : 125–158.
Richard Chabot, « PIGEON, FRANÇOIS-XAVIER (baptisé François) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pigeon_francois_xavier_7F.html.
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Auteur de l'article: | Richard Chabot |
Titre de l'article: | PIGEON, FRANÇOIS-XAVIER (baptisé François) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |