PATON, ANDREW, manufacturier et homme politique, né le 5 avril 1833 à Torbrex (Stirling, Écosse), fils de James Paton et de Mary Harvey ; en 1859, il épousa Isabella Moir, et ils eurent six enfants ; décédé le 23 octobre 1892 à Sherbrooke, Québec.

Andrew Paton commença sa carrière dans la fabrication de lainages comme jeune apprenti à la J. and D. Paton à Tillicoultry, près de Torbrex ; après son apprentissage, il continua à travailler dans cette manufacture jusqu’à son départ pour le Canada en 1855. Il mit sur pied une petite entreprise à Galt (Cambridge, Ontario) puis, en 1861, il s’installa tout près, à Waterloo, où il devint associé dans l’usine de lainages Paton and Brickes.

Cinq ans plus tard, Paton s’établit à Sherbrooke, et c’est à partir de ce moment que sa carrière prit vraiment de l’ampleur. En 1866, cette petite ville des Cantons-de-l’Est comptait environ 3 000 habitants, et il n’y existait aucune entreprise de plus de 50 travailleurs. La direction de la British American Land Company [V. sir Alexander Tilloch Galt], principal propriétaire foncier de la région, estima que l’établissement d’une grande industrie contribuerait à faire augmenter la valeur des terres, et elle offrit gratuitement à Paton des terrains et de l’énergie hydraulique. La présence d’investisseurs locaux disposés à aider à la mise sur pied d’une usine de lainages incita sans doute fortement Paton à venir s’établir à Sherbrooke. La A. Paton and Company fut créée en juin 1866 ; Paton et les cinq autres associés de l’entreprise devaient fournir 50 000 $ de capital pour démarrer les activités. Parmi ces associés, il y avait Richard William Heneker*, Benjamin Pomroy et John Henry Pope*, trois capitalistes bien connus qui avaient mis leurs ressources en commun pour fonder la Banque des Townships de l’Est, laquelle avait reçu une charte en 1855 et ouvert ses portes en 1859. Ils faisaient partie d’un petit groupe d’hommes d’affaires anglophones de la région, à l’esprit bien déterminé, auxquels Paton ne tarda pas à se lier. Les deux autres associés de l’entreprise de fabrication de lainages étaient les Montréalais George Stephen* et Alexander Mitchell.

En moins de quatre ans, la compagnie comptait près de 200 travailleurs et donnait l’impulsion majeure à l’augmentation de la population de Sherbrooke, passée à 4 500 en 1871. Elle contribua aussi de façon importante au changement radical du caractère de la ville sur les plans ethnique et linguistique : en raison du grand nombre de francophones qui travaillaient à l’usine, la population d’expression française de la ville passa de 24 % en 1861 à 51 % en 1871.

En dépit du succès apparent de l’exploitation de l’usine, la position de Paton au sein de l’entreprise s’était détériorée dès le début des années 1870. Selon l’entente originale, on lui avait confié l’entière direction de l’entreprise, dans laquelle il n’avait investi que 5 000 $, et on l’avait nommé « associé général ». Les autres, des « associés spéciaux », qui avaient investi chacun 10 000 $ (sauf Heneker et Mitchell, qui n’avaient fourni que 5 000 $) ne s’occupaient pas des activités quotidiennes de l’usine. En juillet 1868, Paton avait accumulé plus de 2 000 $ de dettes envers l’entreprise, et il cherchait à obtenir un rajustement des modalités d’association. On transféra alors l’actif de la A. Paton and Company à la Compagnie manufacturière Paton de Sherbrooke, une compagnie par actions qui détenait un capital social de 100 000 $ et dont Paton n’était qu’un actionnaire minoritaire. Il remplit les fonctions de directeur de l’usine et fut membre du conseil d’administration jusqu’à son décès en 1892, mais il abandonna la haute main sur l’entreprise en retour de la suppression de sa dette personnelle.

La compagnie reconstituée continua à prospérer et, comme auparavant, Paton contribua de près à ce succès. Le représentant de la R. G. Dun and Company avait signalé en septembre 1868 que la firme allait « vraisemblablement faire de bonnes affaires » et que Paton « avait de l’expérience, [était] un bon homme d’affaires et dirige[ait] les activités ». Trois ans plus tard, on pouvait apprendre de la même source que la compagnie était assurée pour une valeur de 150 000 $, que « Paton, le directeur, [était] un homme pratique et [que] l’entreprise réuss[issait] ». La dépression du milieu des années 1870 ne sembla pas affecter l’usine, car on ne ferma aucune de ses installations et on ne procéda à aucune réduction de personnel. Elle comptait 483 travailleurs en 1877, 540 en 1882, et en 1892, année où on reconnut l’entreprise comme la plus importante usine de lainages au Canada, ce nombre était passé à 725.

Il semble que Paton, comparativement à d’autres, favorisait le maintien de relations cordiales entre la direction et la main-d’œuvre de l’usine. Son témoignage devant la Commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail au Canada  [V. James Sherrard Armstrong*] révéla qu’il pratiquait un mode de gestion plus humain que beaucoup d’autres exploitants, qui admettaient l’existence de piètres conditions de travail dans leur usine. Paton put déclarer devant la commission qu’on imposait rarement d’amendes dans son établissement et qu’on prenait la peine d’expliquer tous les règlements aux employés.

L’usine que Paton établit à Sherbrooke contribua grandement à l’expansion de la ville dans la dernière décennie du xixe siècle. Lui-même participa à cette croissance au delà du cadre de son activité commerciale. À titre de membre du conseil municipal pendant huit ans, il appuya fortement l’octroi de primes par la ville de Sherbrooke aux industriels qui pensaient s’y établir. Membre influent de la Chambre de commerce de Sherbrooke, dont il était le président au moment de son décès, il s’occupait surtout des activités destinées à attirer l’industrie dans la ville. Cette expansion, cependant, donna lieu à l’émergence d’une majorité de citoyens francophones qui mina la position de l’élite anglophone. D’autres notables de ce groupe, comme Heneker, s’engagèrent dans de violents conflits avec la population francophone, mais il semble que Paton se tint à distance de ce genre de controverse.

La croissance que connut la région s’accompagna aussi d’un déclin du pouvoir des dirigeants du milieu des affaires au bénéfice de monopoles capitalistes de Montréal. Depuis les années 1860, le petit groupe d’hommes d’affaires anglophones de Sherbrooke, auxquels s’était joint Paton dès son arrivée en 1866, avait orienté le développement économique des Cantons-de-l’Est. Dans les années 1890 toutefois, des entreprises plus puissantes et dont le siège social était à Montréal exerçaient une influence dominante. On eut une bonne illustration de ce changement après la mort de Paton en 1892, quand le conseil d’administration de la Compagnie manufacturière Paton de Sherbrooke, dominé par le Montréalais George Stephen, choisit un autre Montréalais, John Turnbull, pour assumer la direction de l’usine de lainages. On peut considérer le mariage de la fille aînée de Paton en 1890 à Herbert Samuel Holt*, capitaliste montréalais bien connu, comme un autre indice des rapports de plus en plus étroits qui s’établissaient entre l’élite de Montréal et celle des Cantons-de-l’Est.

La carrière d’Andrew Paton marqua une étape particulière de l’histoire économique des Cantons-de-l’Est et son décès peut être vu comme un symbole de la perte de pouvoir sur l’économie locale que connurent les hommes d’affaires bien enracinés dans la région. Les éloges que lui firent ses employés dans différentes notices nécrologiques laissent supposer qu’il y eut plus qu’une simple coïncidence entre la détérioration des relations de travail dans l’usine au début du xxe siècle et le changement de direction. À sa mort, Paton fut l’un des rares membres de l’élite anglophone de Sherbrooke à recevoir les louanges de la presse tant francophone qu’anglophone pour sa contribution à la croissance de la région, à une époque où l’équilibre changeant entre les deux groupes ethniques était source de tensions considérables.

Ronald E. Rudin

ANQ-E, CN1-27, 23 juin 1866.— Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 4 : 535 (mfm aux AN).— Cleyn and Tinker Company Arch. (Huntingdon, Québec), Paton Manufacturing Company papers.— Canada, Commission royale sur le travail et le capital, Rapport.— Canada, prov. du, Statuts, 1855, chap. 206.— Québec, Statuts, 1875, chap. 67.— Gazette (Montréal), 24 oct. 1892.— Monetary Times, 28 oct. 1892.— Montréal Daily Star, 24 oct. 1892.— Le Pionnier, 28 oct. 1892.— Le Progrès de l’Est (Sherbrooke, Québec), 15, 28 oct. 1892.— Cyclopœdia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 2 : 448.— L.-P. Demers, Sherbrooke : découvertes, légendes, documents [...] (Sherbrooke, 1969).

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Ronald E. Rudin, « PATON, ANDREW », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/paton_andrew_12F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
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