NIAQUTIAQ (Niaqutsiaq, Neahkoteah, Neakuteuk), trafiquant inuit et administrateur de poste, né probablement dans les années 1880 sur la côte est de l’île de Baffin, fils d’Iqilarjuq ; il épousa Kowna (Kowdna, Kownang), et ils adoptèrent un garçon ; décédé à la fin de janvier 1922 à Kivitoo (Nunavut).

De 1912 à 1922, Niaqutiaq représenta à Kivitoo la Sabellum Trading Company de Londres. Son histoire illustre certains des malheurs qui frappèrent les Inuits de l’est de l’Arctique dans la période où ils tentaient d’adapter leurs traditions socioéconomiques et culturelles à celles de la société occidentale.

À la fin du xixe siècle, pour compenser la diminution rapide de la population de baleines dans le détroit de Davis, un certain nombre de pêcheurs britanniques intensifièrent leur traite avec les Inuits. Quelques compagnies essayèrent de régulariser la traite de l’ours blanc, de l’ivoire, des peaux de phoque et du blanc de baleine en prenant des représentants inuits comme intermédiaires. À compter de 1912, la Sabellum Trading Company établit plusieurs postes le long de la côte est de l’île de Baffin, dont un à Kivitoo, où les pêcheurs de baleine avaient l’habitude de jeter l’ancre pour dépecer les carcasses, enterrer leurs morts et refaire provision d’eau fraîche. La gestion de la traite à cet endroit fut confiée à Niaqutiaq, parent par alliance d’Angmarlik, le fameux chef du port baleinier de l’île Kekerten, dans la baie de Cumberland.

Kivitoo était assez peu peuplé en comparaison des ports baleiniers de la baie de Cumberland, mais dès les années 1920, l’exploitation commerciale s’y faisait de manière assez semblable. Les habitants du poste étaient « employés » par Niaqutiaq en ce sens qu’ils recevaient régulièrement des rations alimentaires et des munitions. On considérait ces fournitures comme des avances sur le crédit qu’ils obtiendraient en apportant des peaux. Souvent, ces peaux se transigeaient à un prix beaucoup plus bas que celles qui venaient des campements plus éloignés. En tant qu’administrateur, Niaqutiaq acquit une influence et une autorité démesurées sur les habitants de Kivitoo. Ils dépendaient entièrement de son bon vouloir pour les munitions, les fusils, les pièges à renard, le tabac et d’autres produits. Par conséquent, « il était normal pour eux de faire ce qu’il ordonnait » et ils ne contestaient pas sa sagesse.

Dans les premières années, dit-on, Niaqutiaq rapporta un bénéfice acceptable à la compagnie. Puis la Première Guerre mondiale survint et, de 1916 à 1920, le navire ravitailleur ne se rendit pas à Kivitoo. Les missionnaires anglicans avaient quitté l’île Blacklead en 1913 ; sans eux, Kivitoo se trouvait encore plus isolé de toute influence européenne. Sans bien connaître ni comprendre la religion chrétienne, Niaqutiaq et les chefs d’autres campements se mirent à l’enseigner aux leurs. « Bon nombre des rôles dévolus aux chamans, suggère l’anthropologue Marc G. Stevenson, continuèrent d’être joués dans le contexte du christianisme. » En outre, dans le cas de Niaqutiaq, des rites et tabous du chamanisme refirent surface et furent célébrés au nom du christianisme.

À l’hiver de 1921–1922, la population de Kivitoo se composait d’une quarantaine d’hommes, de femmes et d’enfants. Niaqutiaq et sa famille vivaient dans une maison à pans de bois, fournie par la compagnie. Les autres logeaient dans des tentes de peaux recouvertes de blocs de neige. En matière de logement, d’équipement, d’installations sanitaires, d’habillement et d’hygiène, les conditions de vie étaient bien inférieures à celles d’un village voisin, Padlee, dans la baie Merchants. D’après les rapports de police, les maladies vénériennes amenées par les pêcheurs de baleine « sévi[ssaient] » encore à Kivitoo. Les infections visibles et le « nombre de femmes stériles et de cas de cécité totale » l’attestaient. À l’approche de l’hiver, des visiteurs inuits avaient remarqué que Niaqutiaq semblait avoir des accès de « faiblesse d’esprit » et qu’il y avait des « problèmes » au village. Ils avaient vraisemblablement tenté d’apporter quelque secours, en vain.

À compter des fêtes de Noël, la situation s’aggrava. Selon des témoins, à l’occasion d’une danse qui avait lieu dans le magasin, Niaqutiaq apparut soudain vêtu d’une robe blanche ornée d’ailes d’ange de trois pieds de hauteur, une couronne sur la tête. Il prétendit d’abord être un ange, puis Jésus. Chants et danses continuèrent jusque tard dans la nuit. Dans les jours suivants, Niaqutiaq devint plus exigeant et plus irrationnel. Il choisit deux chasseurs et en fit ses « policiers » : ils devraient dénoncer les « mauvais » sujets et exécuter ses châtiments. Le village sombra dans la confusion. Des jours durant, les habitants restaient sans manger et dormaient à peine. Il y eut de nombreuses séances d’instruction religieuse, de chant de cantiques et de danse effrénée, de multiples menaces à la pointe du couteau, des exhibitions forcées d’actes sexuels. Niaqutiaq menaçait de mort les mécréants. Terrorisés, les Inuits se soumettaient de plus en plus. « Quand [Niaqutiaq] était vivant, raconta par la suite une femme, j’avais tellement peur de lui que je faisais ce qu’il me disait de faire [...] Je pensais qu’il était Dieu et Jésus. »

La folie finit par pousser Niaqutiaq au meurtre. Après avoir tenté de redonner la vue à un aveugle, Mungeuk, en lui frottant les yeux, il déclara que cet homme était « mauvais » et commanda à ses policiers de le tuer d’un coup de poignard au cœur. La victime suivante fut Semik (Semming), qui était analphabète. Voyant que, après avoir été frappé trois fois, Semik ne savait pas davantage lire ni écrire, Niaqutiaq ordonna son exécution. Cette fois, la mort ne fut pas rapide, et les policiers s’enfuirent par crainte de périr parce qu’ils avaient osé contester les ordres de Niaqutiaq.

Finalement, le cousin de Niaqutiaq, Kidlapik, le défia. Niaqutiaq le menaça de mort. Cette nuit-là, Kidlapik resta aux aguets, son fusil à ses côtés, prêt à se défendre et à défendre sa famille. Puis, pour des raisons inconnues, Niaqutiaq désigna comme victime la femme de Semik. Au moment même où Niaqutiaq s’apprêtait à assommer la femme agenouillée avec un marteau, Kidlapik le mit en joue et tira. Atteint à la poitrine, Niaqutiaq s’écroula. Ainsi s’acheva un mois de terreur. Selon la tradition inuite qui donne un droit de vengeance à la famille d’une victime de meurtre, Kidlapik, les larmes aux yeux, offrit alors son fusil à la veuve de Niaqutiaq et à d’autres en leur demandant de lui enlever la vie. Ils refusèrent et la plupart le remercièrent chaleureusement de les avoir sauvés d’une mort certaine.

La nouvelle de ces événements tragiques se répandit. Au cours de l’été, elle parvint au détachement de la Gendarmerie royale à cheval du Canada à Pond Inlet. Un an plus tard, le frère de Kidlapik, Peneloo, alla faire un compte rendu plus détaillé au poste de la gendarmerie. Des officiers supérieurs convinrent qu’il s’agissait d’un « cas de folie » et que Kidlapik « mérit[ait] des félicitations » pour avoir défendu le village. En mars 1924, au cours d’un séjour de plus d’un mois à Kivitoo, le caporal Finley McInnes et le constable William MacGregor recueillirent les dépositions de neuf témoins – plus de 70 pages dactylographiées. McInnes conclut que les missionnaires portaient une lourde responsabilité car ils avaient distribué des bibles en écriture syllabique sans assurer une supervision et un enseignement constants. Pour aider le village à retrouver sa stabilité, il proposa des patrouilles régulières de la police, des rations d’assistance et de l’éducation. En outre, les enquêteurs recommandèrent qu’il n’y ait pas de poursuites. Kowna, la veuve de Niaqutiaq, prit en charge l’administration du poste de Kivitoo jusqu’à son abandon en 1926. Il n’y eut plus de périodes d’instabilité.

D’autres cas de fanatisme et de « folie religieuse » se produiraient ailleurs dans l’est de l’Arctique. Parfois, la police réussirait à prévenir les effusions de sang, parfois non. Entre-temps, la Gendarmerie royale à cheval du Canada augmenta ses patrouilles dans les camps isolés pour donner de l’aide au besoin et renseigner les Inuits sur les lois canadiennes. Trois quarts de siècle plus tard, le souvenir de Niaqutiaq semble toujours hanter la région : la plupart des Inuits répugnent à parler du drame. Pour les chercheurs, les meurtres de Kivitoo reflètent un aspect sinistre des relations entre Inuits et Qallunaats (Blancs), un désastre qui aurait pu être évité s’il y avait eu davantage de soutien financier pour les missions, de protection policière, de services médicaux et d’éducation.

Shelagh D. Grant

Il s’est écrit peu de chose au sujet de Niaqutiaq et des meurtres survenus à Kivitoo. La plupart des détails contenus dans la biographie ci-dessus ont été tirés de documents d’archives et d’entrevues. [s. d. g.]

AN, RG 18, 3293, 3667.— Arch. privées, S. D. Grant (Peterborough, Ontario), Pangnirtung Oral Hist. Interviews, comptes rendus dactylographiés d’entrevues avec des Inuits âgés, Pauloosie Angmarlik et Etuangat Aksayuk (parents éloignés de Niaqutiaq), 15–18 juin 1995.— Patrimoine canadien, Parcs Canada, Centre de services de l’Ouest, Philip Goldring, « Southeast Baffin historical reports » (1988) ; North Baffin Oral Hist. Project, compte rendu dactylographié d’une entrevue avec un Inuit âgé, Timothy Kadloo (parent éloigné de Niaqutiaq), 18 août 1924.— Trent Univ. Arch. (Peterborough), Finley McInnes papers, ser. A, box 1, file 11 (témoignages de neuf témoins des meurtres de Kevetuk /Kivitoo, févr.-avril 1924) [Coll. privée de doc. et de photographies appartenant maintenant à une petite-fille du sujet et conservés temporairement, avec certaines restrictions, dans les archives.].— Arctic whalers, icy seas : narratives of the Davis Strait whale fishery, W. G. Ross, édit. (Toronto, 1985).— A. L. Fleming, Perils of the polar pack : or, the adventures of the Reverend E. W. T. Greenshield, Kt., o.n., of Blacklead Island, Baffin Land (Toronto, 1932).— Philip Goldring, « Inuit economic responses to Euro-American contacts : southeast Baffin Island, 1824–1940 », dans Interpreting Canada’s north : selected readings, K. S. Coates et W. R. Morrison, édit. (Toronto, 1989), 252–277.— S. D. Grant, « Religious fanaticism at Leaf River, Ungava, 1931 », Études inuit ([Québec]), 21 (1997) : 159–188.— W. G. Ross, « Whaling, Inuit, and the Arctic islands », dans Interpreting Canada’s north, 235–251.— M. G. Stevenson, Inuit, whalers, and cultural persistence : structure in Cumberland Sound and central Inuit organization (Toronto, 1997).— Gavin White, « Scottish traders to Baffin Island, 1910–1930 », Maritime Hist. (Tavistock, Angleterre), 5 (1977) : 34–50.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Shelagh D. Grant, « NIAQUTIAQ (Niaqutsiaq, Neahkoteah, Neakuteuk) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/niaqutiaq_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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