KANAKA, chasseur et commerçant inuit, né vers 1855 dans l’île de Baffin (Nunavut), peut-être près du cap Haven ; il épousa Kumiapik (Ky-mi-a-pik), et ils eurent au moins un fils et une fille ; décédé le 25 août 1925 près du cap Mercy (Nunavut).

Kanaka naquit à l’aube d’une profonde transformation dans le sud de l’île de Baffin et joua un certain rôle au cours de deux autres. Pendant des siècles, l’économie de la région avait tourné autour de la chasse saisonnière au caribou, au phoque, au morse et à d’autres gibiers faite par les Inuits. Jusque dans les années 1840, les rencontres de ces derniers avec des Européens s’étaient résumées à d’occasionnels échanges commerciaux au moment du passage de navires, principalement ceux de la Hudson’s Bay Company. La baleine boréale, même si elle était pêchée très péniblement, attirait les baleiniers britanniques et américains [V. Eenoolooapik* ; William Penny*]. En 1851–1852, l’équipage d’un navire américain fut le premier à passer l’hiver dans la baie de Cumberland ; l’initiative s’avéra rentable et l’hivernage devint pratique courante. Les Oqomiuts, nom sous lequel les Inuits de cette région sont connus, commencèrent à chasser pour les nouveaux arrivants, mais cette ouverture se fit au prix de nombreux décès causés par des épidémies. Ces changements furent suivis d’une réorganisation axée sur les saisons et tournant autour de trois stations de baleiniers : une au cap Haven, dans le détroit d’Hudson, et deux dans la baie de Cumberland, dans les îles de Blacklead et de Kekerten.

La naissance de Kanaka survint probablement au cours des cinq années qui s’écoulèrent après le premier hivernage des baleiniers. Plus tard, des nouveaux venus perpétuèrent la rumeur selon laquelle son père aurait été portugais, un Noir des Açores ayant voyagé à bord d’un baleinier du Massachusetts. Cette assertion contribue à confirmer sa date de naissance rapportée. Ce genre de situation n’affectait aucunement la place qu’occupait une personne dans la collectivité. Ce qui est certain, c’est que Kanaka reçut le nom d’un parent cher et qu’il vivait dans une tente faite de peaux d’animaux pendant l’été et l’automne, et dans un igloo, parfois sur la mer glacée, en hiver. Kanaka, qui brillait par ses qualités de chasseur et de chef, était apparemment respecté des gens qui vivaient dans les postes de baleiniers ; c’est dans l’île de Blacklead qu’il entrerait dans les annales.

Fait surprenant, la transformation suivante, dans le domaine religieux, viendrait longtemps après les chocs économiques et démographiques des années 1850 et 1860. En 1894, des pêcheurs de baleines amenèrent le premier missionnaire, un prêtre anglican nommé Edmund James Peck, dans l’île de Blacklead. Ce dernier introduisit l’Évangile en recourant à l’écriture syllabique inuktitut qu’il avait adaptée dans la région d’Ungava (au Québec) et l’attrait de ce système d’écriture autochtone s’avéra irrésistible. Dès 1903, la lutte entre convertis et traditionalistes frisa la crise ; des sources, au sein de la mission, désignent Kanaka, dans l’île de Blacklead, et Ohitok, dans l’île de Kekerten, comme les chamans qui dirigeaient la résistance. Il n’y eut pas d’affrontement, toutefois, et Kanaka se convertit peu après. Lorsque Peck voyagea sur la mer glacée au début de 1903, Kanaka l’accueillit avec hospitalité dans son igloo. Au cours d’une rencontre ultérieure sur des territoires de chasse au morse, il proposa inopinément à Peck de célébrer une cérémonie de prière.

Le 22 juillet 1903, Kanaka et Ohitok partirent travailler dans une nouvelle station à Igarjuak, dans la baie de Pond Inlet, dans le nord de l’île de Baffin. Ils étaient membres des deux équipages de baleiniers qui avaient conclu des ententes avec une entreprise écossaise afin de s’installer, avec leur famille, dans une région où les baleines étaient encore relativement abondantes, mais où les Inuits locaux, les Tununirmiuts, ne les pêchaient pas. (Une jeune fervente chrétienne de ce groupe jetterait les bases du christianisme dans cette région.) La rentabilité économique se fit trop attendre : seulement trois baleines boréales furent capturées en sept ans, mais on ramena toutefois des peaux d’ours polaires, de renards arctiques et de phoques annelés, ainsi que des peaux et des défenses de morses. Aucune de ces activités n’exigeait les compétences particulières habituelles de la part des nouveaux arrivants et, sur une période de six mois en 1906–1907, Kanaka fit partie des Inuits qui travaillèrent également comme chasseurs et guides auprès des membres de l’expédition de Joseph-Elzéar Bernier*, parrainée par le gouvernement. Dès 1910, la station ferma ; Kanaka retourna dans le Sud et s’installa dans le port de pêche sédentaire à la baleine de Kivitoo.

À cet endroit, Kanaka continua d’entretenir ses liens de longue date avec le pêcheur de baleines écossais James S. Mutch, qui avait passé une grande partie de sa vie dans la baie de Cumberland, avait mis sur pied la station d’Igarjuak et avait commandé ou piloté des navires de la Sabellum Trading Company de Londres [V. Niaqutiaq]. À la lecture des livres de bord, il est possible de suivre leurs échanges de 1903 jusqu’au moment de la retraite de Mutch, dans les années 1920, époque pendant laquelle les deux vieux pêcheurs de baleines se rencontrèrent presque chaque année. Kanaka recevait des marchandises à échanger ainsi que des provisions dès 1911 et, en 1913, il se rendit au cap Mercy, dans la baie de Cumberland, où il assembla deux maisons préfabriquées en guise de poste de traite. Ces bâtiments constituèrent aussi la base d’une activité novatrice : l’emballage de l’omble chevalier – dont de nombreux spécimens mesuraient plus de un mètre de longueur – pêché dans les rivières et fjords côtiers et destiné à l’exportation vers la Grande-Bretagne. En 1916, Kanaka accompagna l’Erme à Kivitoo. Là, il contribua au démarrage d’une autre station et fit des travaux de charpenterie et de forge pour aider à réparer le navire en prévision du voyage de retour. Ce trajet inclurait un détour afin de le ramener au cap Mercy, qui serait son lieu de traite pendant neuf autres années. Des schooners en provenance d’Écosse laissaient et ramassaient des marchandises une fois l’an. Pendant quelques années, son port figura sur les cartes utilisées par les gouvernements sous le nom de Kanacker ou de Kanacker Inlet, mais cette appellation ne fut jamais officiellement reconnue.

Kanaka prit part, au cap Mercy, à la troisième transformation qui marqua le temps où il vécut : le passage de la relation entre Inuits et pêcheurs de baleines à un arrangement basé sur un système de créances et de troc avec la Hudson’s Bay Company, détentrice d’un monopole. De son poste à Cape Dorset, la société s’étendit profondément en 1921 dans les territoires les plus à l’est où les pêcheurs de baleines exerçaient leurs activités commerciales. Le premier commerçant de la Hudson’s Bay Company à Pangnirtung avait résolu de « briser […] comme des chiens » tous les Inuits qui demeureraient fidèles aux pêcheurs. Deux des trois sociétés indépendantes fermèrent leurs portes, laissant la Sabellum Trading Company dépérir et abandonner ses postes en 1927. Pendant un certain temps, Kanaka demeura actif comme commerçant et voyageur ; son circuit l’amena chaque année à visiter tous les postes rivaux entre Kivitoo et l’embouchure de la baie de Cumberland.

En août 1925, Kanaka accueillit à sa station un autre nouveau venu, le sergent J. E. F. Wight, de la Gendarmerie royale à cheval du Canada. Encore assez vigoureux pour effectuer sa tournée de la baie en mars, Kanaka, atteint de tuberculose, était maintenant alité. Il dicta son testament à Wight, puis apposa sa signature en écriture syllabique. Dans ce document, rédigé sous forme de lettre adressée au maître du navire de ravitaillement, il demandait que sa femme soit nommée à la tête du poste de traite et que leur fils, Padlooapik, devienne responsable de la chasse et de la préparation des peaux.

Kanaka vécut, à un degré d’intensité inhabituel, à la frontière entre deux cultures. Or, il importe de souligner qu’on ne connaît qu’une version de son histoire, celle qu’en donnent les archives des Euro-Canadiens. Il pouvait presque certainement parler le pidgin anglais, utilisé couramment dans la baie de Cumberland au cours des années 1880, mais qui disparut avec sa génération. Chaman réputé converti à l’anglicanisme, il fit le lien entre les deux formes de croyance sans pour autant, peut-on supposer, renoncer à ses valeurs éthiques fondamentales. Il adhéra aux coutumes de la nouvelle économie entourant la pêche à la baleine, selon laquelle les commerçants inuits perpétuaient les traditions des chefs baleiniers des temps anciens tout en agissant comme courtiers entre les fournisseurs britanniques et leur peuple. Le fait d’avoir maintenu cette double pratique jusque dans les années 1920 constitue la contribution particulière de Kanaka à l’histoire de l’île de Baffin et à celle du Canada.

Philip Goldring

BAC, RG 85, 64, dossier 164-1 (1) ; 1044, dossier 540-3 (3A).— Dartmouth College, Rauner Special Coll. Library (Hanover, N.H.), MSS-122, logbooks of the ship Rosie, 1924–1925, 21 sept. 1925.— William Barr, « The McLellan : an eyewitness account », Beaver (Winnipeg), 66 (1986–1987), nº 3 : 60s.— Church Missionary Gleaner (Londres), 1er janv. 1914.— Philip Goldring, « Goldring’s post[s]cript », Beaver, 66, nº 3 : 61 ; « Inuit economic responses to Euro-American contacts : southeast Baffin Island, 1824–1940 », dans Interpreting Canada’s north : selected readings, K. S. Coates et W. R. Morrision, édit. (Toronto, 1989), 252–277 ; « The last voyage of the McLellan », Beaver, 66, nº 1 : 39–44.— J. S. Mutch, « Whaling in Ponds Bay », dans Boas anniversary volume : anthropological papers written in honor of Franz Boas [...] presented to him on the twenty-fifth anniversary of his doctorate, ninth of August, nineteen hundred and six, Berthold Laufer, édit. (New York, 1906), 485–500.

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Philip Goldring, « KANAKA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/kanaka_15F.html.

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Année de la publication:    2005
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