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MURPHY, ANNA BROWNELL (Jameson), auteure, féministe et voyageuse, née le 19 mai 1794 à Dublin ; en 1825, elle épousa Robert Sympson Jameson, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédée le 17 mars 1860 à Ealing (Londres).
Anna Brownell Murphy était l’aînée des cinq filles de Denis Brownell Murphy, miniaturiste et portraitiste irlandais. En 1798, juste avant la rébellion en Irlande, celui-ci, patriote bruyant donc menacé, alla vivre en Angleterre avec sa femme, qui était anglaise, et leur fille Anna. En 1802, il s’établit à Newcastle upon Tyne et réussit assez bien pour y faire venir ses deux autres filles, restées en Irlande. Lorsqu’il s’installa à Londres en 1806, il avait cinq filles et remportait un certain succès comme miniaturiste. Devenu « peintre en émail » de la princesse Charlotte, fille du prince et de la princesse de Galles, il commença en 1810 à reproduire en miniature les portraits des dames de la cour de Charles II, peints par Peter Lely. Il espérait vendre ses œuvres à sa protectrice, mais celle-ci mourut en 1817. Murphy ne vendit pas ses miniatures et son étoile pâlit rapidement.
Anna était la plus précoce des enfants : particulièrement douée pour les langues, toujours déterminée à exceller, elle se montra dès son jeune âge impatiente de faire sa part pour assurer le bien-être de sa famille. Pendant quelque temps, les Murphy purent employer une gouvernante, dont Anna se souviendrait comme de « l’une des femmes les plus intelligentes qu’[elle ait] jamais rencontrées ». Mais avant que la famille ne s’installe à Londres, la gouvernante était partie, et c’est Anna qui se chargea de l’éducation de ses sœurs. Selon sa nièce, Gerardine Macpherson, Anna s’instruisit « surtout à son gré et selon son plaisir [...] Elle s’attaqua sérieusement, mais par à-coups, à l’étude du français, de l’italien et même de l’espagnol. »
En 1810, Anna Murphy, qui avait alors 16 ans, prit son premier emploi comme gouvernante des quatre jeunes fils du marquis de Winchester ; elle y resta jusqu’en 1814. En 1819, elle fut engagée par les Rowles, avec lesquels elle fit, deux ans plus tard, un voyage de grand luxe, « à la Milor Anglais », sur le continent. Ce voyage, par les Pays-Bas et jusqu’en Italie, inspira son premier livre qui connut le succès. La jeune femme prit d’ailleurs rapidement goût aux voyages et devint tant connaisseuse en galeries d’art qu’excursionniste intrépide. « J’ai eu la chance de voir un spectacle des plus grandioses, une éruption du Vésuve, raconte-t-elle, et j’ai gravi la montagne au plus fort de l’éruption. » De retour en Angleterre en 1822, mais sans argent pour fonder l’école qu’elle s’était proposé d’ouvrir, Anna Murphy accepta le poste de gouvernante des enfants d’Edward John Littleton, devenu par la suite 1er baron Hatherton, emploi qu’elle conserva jusqu’à son mariage avec Robert Sympson Jameson, d’Ambleside, en 1825. Pendant cette période, elle écrivit deux ouvrages pour enfants, Much coin, much care, pièce de théâtre publiée en 1834, et Little Louisa, glossaire de mots courants.
Robert Sympson Jameson avait entrepris sa cour auprès d’Anna Murphy avant qu’elle ne fasse son voyage sur le continent en 1821. Il existait entre eux, par intervalles, une étrange incompatibilité dont tous les deux, comme la famille d’Anna, s’étaient rendu compte. Mais il y avait aussi de fortes attirances, et tout particulièrement un même amour de la littérature et des gens de lettres. Jameson encouragea la jeune femme à écrire son premier récit de voyage, publié anonymement en 1826 sous le titre de A lady’s diary, puis de Diary of an ennuyée. Version romancée de son voyage en Europe, où à la fin la narratrice et héroïne meurt le cœur brisé, ce livre empruntait beaucoup, tant par le plan que par le contenu, au populaire roman Corinne ou l’Italie de Mme de Staël et offrait aux jeunes femmes impressionnables et avides d’aventures une sorte de pèlerinage sentimental inspiré du poème de Byron, le Pèlerinage de Childe Harold. Ce fut un grand succès, et lorsqu’on sut peu après qui en était l’auteure, Anna Jameson devint la « célébrité » de l’heure dans la société londonienne.
En 1829, lorsque son mari quitta l’Angleterre pour la Dominique où il était nommé juge en chef, Anna Jameson ne cachait plus qu’elle était malheureuse en ménage. Elle se consacrait de plus en plus aux voyages et à l’écriture. En 1829, elle publia The loves of the poets et, en 1831, Memoirs of celebrated female sovereigns, destinés au public toujours plus nombreux de femmes avides de trouver des lectures à la fois divertissantes, agréables et instructives. Suivit en 1833 un texte accompagnant les miniatures de son père, The beauties of the court of King Charles the Second.
Dès le début de sa carrière littéraire, Anna Jameson insista sur l’importance d’une meilleure instruction pour les femmes. Féministe de la première heure ; déterminée quoique conservatrice, elle fut l’une des nombreuses femmes de sa génération à revendiquer la reconnaissance des droits des femmes et à parler de plus en plus ouvertement de leurs besoins et de leur place dans la société.
En 1832, la publication de Characteristics of women, discussion sur les héroïnes de Shakespeare, fit connaître Anna Jameson à l’extérieur de l’Angleterre, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Elle se rendit alors en Allemagne, où elle comptait parmi ses admirateurs Johann Ludwig Tieck et August Wilhelm von Schlegel, et se lia pour toujours d’amitié avec Ottilie von Goethe, la bru du poète. Dans Visits and sketches at home and abroad, publié en 1834, elle raconte deux voyages qu’elle fit en Europe, l’un en 1829, avec son père et sir Gerard Noel Noel, riche et excentrique aristocrate, et l’autre en 1833. Au moment où elle écrivit ce livre, et tous les autres par la suite, Anna Jameson était assurée d’avoir un public ; elle était une auteure reconnue.
À l’automne de 1836, à contrecœur, Anna Jameson vint à Toronto rejoindre son mari qui, depuis trois ans, était procureur général du Haut-Canada. Jameson, qui espérait être nommé vice-chancelier de la Cour de la chancellerie, le plus haut poste judiciaire de la province, avait commencé à construire une maison destinée à accueillir sa femme et comptait sur sa présence pour confirmer sa propre stabilité sociale à ce moment crucial de sa carrière. Anna Jameson, de son côté, avait depuis longtemps accepté leur incompatibilité émotionnelle ; de plus, elle profitait pleinement de sa vie d’écrivaine connue et de voyageuse cosmopolite, possédant de nombreux amis en Angleterre et sur le continent européen. La vie dans le Haut-Canada n’avait pour elle aucun attrait. Elle y vint à son corps défendant, et seulement par nécessité sociale et financière. Devant subvenir aux besoins de ses parents malades et de ses sœurs célibataires, Anna Jameson avait de lourdes responsabilités. Elle avait besoin de la compréhension de son mari ; s’il avait voulu, il aurait pu, conformément à la loi, lui réclamer ses revenus. La jeune femme espérait plutôt obtenir son aide financière.
Partie de Londres le 8 octobre 1836, Anna Jameson débarqua à New York au début de novembre et, après un pénible voyage de huit jours, elle atteignit Toronto à la mi-décembre. Son arrivée solitaire dans cette ville contrastait radicalement avec les quelques semaines qu’elle avait passées à New York, accueillie et entourée par la société littéraire de l’époque. Les premières phrases du journal qu’elle rédigea dans le Haut-Canada, en date du 20 décembre, en disent long sur le froid qui la saisit : « Une petite ville mal construite sur une terre basse, au fond d’une baie glacée [...] Je n’attendais pas beaucoup [de ce pays], mais je n’étais pas préparée à cela [...] Je ne vois rien que de la neige qui s’amoncelle à mes fenêtres, en dedans comme au dehors. Et ce silence que seuls viennent briser le tintement des grelots des carrioles ou, de temps à autre, le meuglement d’une pauvre vache à demi morte de faim. » La nomination de Jameson à titre de vice-chancelier fut confirmée, et le couple s’installa en mars dans la maison qu’il avait construite. Anna Jameson demeura à Toronto jusqu’au début de juin 1837, puis partit en excursion elle traversa le sud-ouest de la province – Niagara (Niagara-on-the-Lake), Hamilton, London, Port Talbot –, passa par Detroit, se rendit en bateau à vapeur jusqu’à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan) et en bateau à rames jusqu’à Sault-Sainte-Marie (Sault Ste Marie, Ontario), puis revint par le lac Huron et l’île Manitoulin. De retour à Toronto à la mi-août, elle écrivit à sa famille : « les gens d’ici sont très enthousiastes à mon sujet et me dévisagent comme si j’avais fait quelque chose d’extraordinaire. C’est bien M. Jameson qui est le plus surpris. » Ayant conclu un accord de séparation avec son mari, elle quitta le Haut-Canada en septembre, séjourna quelques mois aux États-Unis et, après avoir reçu et signé les documents finals de séparation, s’embarqua pour l’Angleterre en février 1838.
Winter studies and summer rambles, publié à Londres en 1838, raconte l’hiver qu’Anna Jameson passa à Toronto et le voyage qu’elle fit l’été suivant. Dans Winter studies, écrit sous forme de journal à une amie absente, elle émaille ses notes sur la rigueur du climat et la froideur de la société de portraits colorés des rares personnes (James FitzGibbon*, par exemple) qui ont gagné son affection : « Le colonel F... est un soldat de fortune – ce qui, dans son cas du moins, veut dire qu’il ne doit rien à la fortune mais tout à son propre courage, à son propre jugement et à sa propre bravoure. Il était le fils, et fier de l’être, d’un paysan irlandais [qui louait à bail une parcelle] des terres du chevalier de Glyn. Il partit à quinze ans, le mousquet à l’épaule, et rejoignit un régiment [...] Les hommes qui m’ont le plus intéressée dans ma vie étaient tous des autodidactes et ce qu’on appelle des originaux. Ce cher et bon F... est originalissime. » Analysant de manière pénétrante et avec beaucoup d’esprit les factions politiques en place au cours des mois qui précédèrent la rébellion, elle commence par une dénonciation générale : « Il règne ici un odieux esprit de faction en matière politique et, jusqu’à maintenant, je n’y ai vu ni souci du bien public, ni patriotisme, ni reconnaissance de grands ou nobles principes de politique. Le Canada est une colonie, pas un pays. » Pour combler le vide intellectuel dans lequel elle se trouvait, elle résolut de traduire un manuscrit des conversations de Johann Peter Eckermann avec Goethe et nota ses réflexions sur cet ouvrage dans son journal.
Dans Summer rambles, Anna Jameson est à son meilleur, exploratrice intrépide, enthousiaste, qui s’accommode des circonstances, curieuse de tout et profondément intéressée par tous ceux qu’elle rencontre (le colonel Thomas Talbot en est un vivant exemple). Elle se montre ravie d’avoir été « la première Européenne » à franchir les rapides de Sault-Sainte-Marie, avec un ami sang-mêlé, George Johnston. Revenant chez elle par le lac Huron dans un bateau à rames conduit par quatre voyageurs, elle est éblouie par la beauté intacte des îles qui l’entourent, ces « édens féeriques », comme elle les appelle : « Je me souviens que nous sommes entrés dans un bassin circulaire, d’environ trois milles de diamètre, tellement entouré d’îles qu’une fois à l’intérieur je ne pouvais voir ni entrée ni sortie ; c’était comme si on nous avait jeté un sort pour que nous y demeurions à jamais. » Elle pimente son récit de passages sur d’authentiques traditions indiennes dont elle a appris l’existence dans ses lectures ou par le truchement de Henry Rowe Schoolcraft et de sa famille, à Michillimakinac. La situation comparative des femmes blanches et indiennes est aussi un thème important, tout comme la nécessité d’instruire les femmes en fonction des différentes sphères d’activité qui leur étaient ouvertes. Sa description du Haut-Canada est très différente des comptes rendus de Susanna Moodie [Strickland*] et de Catharine Parr Traill [Strickland*] : Anna Jameson était un oiseau de passage sachant déjà qu’elle rejoindrait, par ses écrits, un auditoire cosmopolite. Les Strickland, pour leur part, étaient des immigrantes qui s’établissaient au pays, qui écrivaient pour instruire et, dans le cas de Susanna Moodie, pour prévenir ceux et celles qui les suivraient.
Le succès que remporta Winter studies and summer rambles auprès de la critique et du public consolida la réputation d’Anna Jameson comme auteure mais, signala-t-elle, son mari en fut « contrarié ». Elle consacra les 20 dernières années de sa vie à un travail d’envergure, un énorme compendium de l’art chrétien, qui regroupe les titres suivants : Sacred and legendary art (1848), Legends of the monastic orders (1850), Legends of the Madonna (1852) et The history of Our Lord (1864). Le dernier volume fut parachevé après sa mort, en 1860, par son amie Elizabeth Rigby, lady Eastlake, épouse de sir Charles Lock Eastlake, directeur de la National Gallery. Les ouvrages étaient somptueusement illustrés par ses propres dessins et eaux-fortes et par ceux de sa nièce, Gerardine Macpherson. En 1855, Anna Jameson avait donné des conférences sur les possibilités de travail pour les femmes et, pendant les dernières années de sa vie, elle avait guidé et conseillé un groupe de jeunes femmes, dont Emily Faithfull, qui lança l’English Woman’s Journal, et Barbara Leigh Smith Bodichon, une des fondatrices du Girton Collège. Sa grande amitié avec Robert et Elizabeth Barrett Browning fut l’un des réconforts de ses dernières années. Peu après sa mort, Harriet Martineau, auteure et voyageuse anglaise bien connue, parla d’elle comme d’une femme « accomplie [...] une grande bienfaitrice de son époque par son engagement pour la cause des femmes et son intérêt pour l’art ». Ses ouvrages, et tout particulièrement les nombreuses éditions de Characteristics of women et de Sacred and legendary art, ont aidé à former et à orienter le goût du public anglais et américain, tant à l’époque où ils ont été écrits que longtemps après. Au Canada, Winter studies and summer rambles est resté un classique parmi les récits de voyages.
L’ouvrage d’Anna Brownell Jameson, Winter studies and summer rambles, fut très populaire et connut de nombreuses éditions tant au Canada qu’à l’étranger ; le texte original, paru en 3 volumes à Londres en 1838, a été réimprimé à Toronto en 1972. On trouvera d’autres notes bibliographiques relatives à ses écrits dans le National union catalog et dans le British Museum general catalogue. La biographie de Clara McCandless Thomas, Love and work enough ; the life of Anna Jameson ([Toronto], 1967), renferme une liste complète des sources.
Une partie de la correspondance d’Anna Jameson a été publiée dans Letters of Anna Jameson to Ottilie von Goethe, G. H. Needler, édit. (Londres, 1939) ; et Anna Jameson : letters and friendships (1812–1860), [B. C. Strong] e Steuart Erskine, édit. (Londres, 1915).
DNB.— Gerardine [Bate] Macpherson, Memoirs of the life of Anna Jameson (Londres, 1878).— Marian Fowler, The embroidered tent : five gentlewomen in early Canada [...] (Toronto, 1982).— Ellen Moers, Literary women (Garden City, N.Y., 1976).— A. M. Holcomb, « Anna Jameson : the first professional English art historian », Art. Hist. (Londres), 6 (1983) : 171–187.— Clara [McCandless] Thomas, « Anna Jameson : art historian and critic », Woman’s Art Journal (Knoxville, Tenn.), 1 (1980) : 20–22.— Leslie Monkman, « Primitivism and a parasol : Anna Jameson’s Indians », Essays on Canadian Writing (Downsview [Toronto]), no 29 (été 1984) : 85–95.
Clara Thomas, « MURPHY, ANNA BROWNELL (Jameson) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/murphy_anna_brownell_8F.html.
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Auteur de l'article: | Clara Thomas |
Titre de l'article: | MURPHY, ANNA BROWNELL (Jameson) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |