MOLSON, THOMAS, brasseur, distillateur, propriétaire de meunerie et marchand, né le 1er septembre 1791 à Montréal, deuxième fils de John Molson* l’ancien et de Sarah Insley Vaughan, décédé à Montréal le 22 février 1863.

Le silence de la documentation ne permet pas de connaître les circonstances de l’enfance et de l’adolescence de Thomas. La première mention que nous ayons de lui date de 1811, quand son frère aîné, John*, écrit à son père, John l’ancien, qui se trouve en Angleterre pour l’achat du moteur du deuxième bateau à vapeur des Molson, le Swiftsure, qui sera lancé en 1812 : on apprend que les deux frères s’occupent de la brasserie à Montréal.

En 1816, Thomas s’est rendu en Angleterre où il a épousé Martha Molson, sa cousine germaine, en négligeant de passer un contrat de mariage. À son retour à Montréal, il entre en société avec son père et ses deux frères, John et William*, sous la raison sociale de John Molson and Sons. Thomas sera particulièrement responsable de la brasserie et se félicitera de ses succès rapides : « La bière que nous mettons actuellement en vente et que nous avons vendue le mois dernier est de beaucoup supérieure à toute autre produite à Montréal, soit celle de [Miles] Williams, de [Francis et John] Chapman et de [James] Stevenson, suivant l’opinion des clients et le fait qu’ils l’achètent de nous, John Molson & Sons. Elle est brassée par Thomas Molson », inscrira-t-il à son carnet de notes en décembre 1816. La société, qui devait durer sept ans, gérait tous les actifs de la famille (qui appartenaient en grande partie au père) : la brasserie, les navires, les quais et entrepôts à Montréal et à Québec, l’hôtel, etc. Un inventaire des établissements de 1816 révèle en outre la présence d’un alambic. On sait, par ses carnets de notes, que Thomas procédait à des expériences de distillation dès 1822 et qu’il tenta une exportation de whisky en Angleterre par l’intermédiaire de son frère William qui habitait alors à Québec. En 1822 également, était fondée la St Lawrence Steamboat Company, par laquelle les Molson allaient dominer toute la navigation à vapeur sur le Saint-Laurent ; les Molson collectivement détenaient 26 des 44 actions de la compagnie et individuellement six actions et demie.

Lorsque la société John Molson and Sons vint à son terme en 1823, Thomas décida de s’installer hors du Bas-Canada où la loi du mariage imposait la communauté des biens aux époux qui se mariaient sans contrat de mariage. Après avoir pensé s’installer en Angleterre, il décida finalement de s’établir à Kingston, dans le Haut-Canada. Il fit deux voyages en Angleterre en 1823 et y acheta de l’équipement de brasserie. En juillet 1824, il acheta la brasserie et les terrains de Henry Murney, à Kingston. Il s’y installa avec sa famille, voisin de Thomas Markland*, qui avait participé à la fondation de la Bank of Upper Canada et qui, après la fermeture de cette banque, était devenu agent de la Banque de Montréal, jusqu’en 1824, quand une loi du Haut-Canada interdit sur son territoire toute succursale de banque définie par une loi promulguée par un autre gouvernement. Durant les dix années qu’il passa à Kingston, Thomas mena une vie relativement retirée. Aucun de tous les journaux de la ville ne mentionne d’autres activités que celles de brasseur et de distillateur. En 1831, il acheta un deuxième établissement, la Kingston Brewery and Distillery de Thomas Dalton*. À la manière anglaise, il devint propriétaire des tavernes de l’entreprise à Kingston. Il fit quelques placements fonciers en dehors de Kingston : en 1828, il acheta, à Ameliasburg, une terre de, 100 acres et en 1829, à Portland, proche du lac Rideau, une terre de 300 acres. En 1832, il participa à la fondation de la Commercial Bank of the Midland District. Six des onze enfants de Thomas et de Martha naquirent à Kingston, parmi lesquels cinq leur survécurent : Martha Ann (1824), John Henry Robinson (1826), Mary Ann Elizabeth (1828), Harriet Bousfield (1830), et William Markland (1833). John Thomas, qui devait aussi leur survivre, naîtra à Montréal en 1837.

Thomas revint à Montréal en 1834 pour s’associer à son père et à son frère William ; celui-ci venait de commencer la distillation dans les établissements de Montréal et c’est sans doute à cause de son expérience dans la distillerie que l’on fit appel à Thomas. De plus, John Molson l’ancien, qui allait bientôt mourir (1836), avait trouvé une façon de contourner les conséquences du mariage en communauté de biens de Thomas et de Martha : il ferait de leur fils aîné, John Henry Robinson, son légataire par substitution des établissements de la brasserie de Montréal, à charge par Thomas et William de les administrer jusqu’à l’arrivée à majorité du petit-fils. La biographie de William Molson[V. DBC, X] décrit les circonstances de la longue association des deux frères depuis 1834 jusqu’à 1852 dans des entreprises communes de brassage et de distillation : John Molson and Company (1834), Thomas and William Molson (1837), Thomas and William Molson and Company (1838), Thomas and William Molson and Company (1848). On y trouvera aussi les péripéties de la très difficile succession de leur père et de leurs différends avec leur frère John Molson l’aîné, de leur impression illégale de monnaie, de leurs tentatives infructueuses d’obtenir un permis de banque privée et des luttes de la Banque de Montréal contre eux. On verra aussi les raisons de leur séparation, en 1852, peu avant la fondation de la Banque Molson, dont William sera le président jusqu’à sa mort en 1875.

Durant toute cette période Thomas diversifia ses intérêts en plus d’accroître les actifs qu’il partageait avec son frère William dans la distillerie de Montréal. Il acheta plusieurs terrains et plusieurs maisons dans le quartier environnant sa distillerie durant les années 40 : son compte de taxes foncières envers la ville de Montréal, en octobre 1850, visait 68 lots et maisons. Il acheta une grande ferme à Sherrington, dans le comté de Huntingdon. En 1847, fut formée la Nouvelle Compagnie du gaz de la cité de Montréal, concurrente de la Compagnie de l’éclairage par le gaz de Montréal, fondée en 1836. Thomas siégea dès le début au conseil d’administration de la nouvelle compagnie qui, en 1848, se porta acquéreur de tout l’actif de la première ; il en deviendra le président en 1857 et recevra, en 1859, en témoignage des services prolongés, précieux et désintéressés rendus à la compagnie, un ensemble de vaisselle d’argent d’une valeur de £250 ($1 000). Dès 1846, il s’intéressera à un nouvel investissement dans le Haut-Canada (il conservera jusqu’à la fin de sa vie tous ses établissements de Kingston qui avaient été donnés en location depuis son départ en 1834). Cette fois c’est à Port Hope qu’il acheta d’abord une distillerie, la Crawford’s Distillery, puis, en 1851, les grands établissements connus sous le nom de Brownston Mills, comprenant une meunerie, un moulin à scier et une distillerie. Il donnera les deux distilleries à bail, mais il dirigera jusqu’à la fin de sa vie, par l’intermédiaire d’un gérant, Robert Orr, les deux établissements de sciage du bois et de production de farine ; il s’occupera lui-même de la vente de la farine à Montréal, à l’Association de la halle au blé de Montréal (Corn Exchange), par l’entremise de ses courtiers, John et Robert Esdaile ; cette farine était destinée à l’exportation en Angleterre. Quand la Banque Molson fut créée en 1853, selon la loi des banques privées de 1850, et qu’elle se transforma en banque à charte en 1855, Thomas contribua à l’essor de la nouvelle institution en diffusant ses billets dans la région de Port Hope, et même dans le Midwest américain lorsqu’il se procurera des grains à Chicago.

Avec son frère William, Thomas avait fait construire, durant les années 1840, l’église St Thomas, dans le quartier Sainte-Marie, à Montréal. L’église fut détruite (avec 49 autres maisons de Thomas) dans le grand incendie de 1852. Thomas construisit une nouvelle église en 1855, mais entra en conflit avec l’évêque de Montréal de l’Église d’Angleterre, Francis Fulford, car il désirait nommer lui-même le curé de son église. Il introduisit alors une nouvelle secte méthodiste de nature aristocratique, la Countess of Huntingdon’s Connexion, fondée en Angleterre vers le milieu du xviiie siècle. En 1857, le parlement reconnut aux ministres de cette Église le droit de tenir les registres des baptêmes, mariages et sépultures et celui de procéder à la célébration des mariages. La même année, Molson fit construire un collège pour la formation du clergé de la nouvelle secte ; celui-ci recevait une vingtaine d’élèves en 1858. Toutefois, en 1860, le pasteur de l’église, Alfred Stone, démissionna et, à l’arrivée des troupes britanniques à Montréal, durant la guerre civile américaine, Thomas loua son collège et plusieurs maisons comme baraquements de l’armée ; le contrat de location fut renouvelé en février 1863 : il comprenait cette fois l’église elle-même. Comme l’Église d’Angleterre avait modifié ses structures et permettait maintenant à des groupes d’être propriétaires de leur église et de nommer leur pasteur, Thomas, dans son testament, lui fit don du temple ainsi que de onze maisons.

Le fils aîné de Thomas, John Henry Robinson, était entré en association avec son père et son oncle William dans la firme constituée en 1848, Thomas and William Molson and Company ; à la même occasion, par deux autres contrats, le jeune homme recevait la possession de la brasserie que lui avait léguée son grand-père et était déchargé des obligations du contrat d’apprentissage auxquelles il avait été tenu depuis 1844 envers Thomas et William. Une nouvelle société portant le même nom fut formée en 1853, au moment du départ de William, qui regroupait le père et son fils aîné. En 1859, un nouveau contrat permettait l’association du deuxième fils de Thomas, William Markland, dans la firme qui ne changeait toujours pas de nom. Toutefois, une nouvelle association était formée en 1861, John H. R. Molson and Brothers ; avec l’arrivée du cadet, John Thomas, les trois frères se regroupaient, mais Thomas n’apparaissait plus comme associé ; il donnait à bail sa distillerie et consentait un prêt à la nouvelle société.

Le 25 août 1859 Thomas avait épousé, en secondes noces, Sophia Stevenson, de Port Hope. Durant le voyage qu’il fit avec elle en Angleterre, il projeta de présenter à la reine une demande d’anoblissement. On peut conjecturer que la demande ne fut pas présentée car aucune trace n’en est restée ni au Public Record Office, ni au ministère de l’Intérieur, ni au Conseil privé. Thomas Molson mourut le 22 février 1863 et fut enterré dans le caveau familial du cimetière protestant du mont Royal, que lui et ses frères avaient fait ériger en 1860, au coût de $15 000, pour y recevoir les restes de leurs parents et les leurs.

En termes de typologie des entrepreneurs et en tenant compte des étapes de l’évolution du capitalisme dans les colonies au xixe siècle, on peut dire de Thomas Molson qu’il fut, toute sa vie durant, en réaction contre les structures de l’économie dominante, le capitalisme du grand commerce d’export-import, et qu’il ne sut pas s’adapter aussi bien que son frère William à la structure de la compagnie par actions qui se développait au milieu du xixe siècle. Certes, il participa au grand commerce d’exportation de la farine, mais en vendant son produit à Montréal ; il fut aussi actionnaire de certaines compagnies comme, par exemple, la Nouvelle Compagnie du gaz de la cité de Montréal, la Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc du Canada et la Banque Molson. Mais ses activités principales furent toujours et avant tout celles du producteur industriel qui, sauf quelques exceptions, finance lui-même ses entreprises, les administre directement et voit personnellement à toutes les phases de la production et de la mise en marché. Thomas Molson laissera très peu de liberté à son gérant dans l’administration des scieries et de la meunerie de Port Hope. Quoiqu’il put laisser une fortune relativement importante (que nous ne pouvons fixer qu’au minimum à $1 000 000), il ne fut pas toujours capable de surmonter la contradiction fondamentale de l’entreprise familiale qui confond les relations fonctionnelles de l’entreprise et les relations affectives de la famille ; les difficultés incessantes qui l’opposèrent d’une part à son frère aîné, d’autre part à ses fils en sont l’illustration. Cependant, par sa détermination, il sut, envers et contre tous, assurer sa destinée.

Alfred Dubuc

Les sources de renseignements concernant Thomas Molson sont réparties dans plusieurs dépôts d’archives. Parmi les plus importantes, mentionnons : les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration et des assemblées des actionnaires, aux Archives de la Banque Molson (conservées au siège social de la Banque de Montréal, Montréal) et aux Archives de la Banque de Montréal ; les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration aux Montreal Board of Trade Archives ; les procès-verbaux du conseil municipal aux AVM ; les greffes des notaires Thomas Barron, I. J. Gibb, Henry Griffin, J. C. Griffin, J. S. Humer, William Ross et James Smith, aux ANQ-M ; les documents Molson au Château de Ramezay (Montréal) et au Musée McCord ; le fonds William Molson aux McGill University Libraries ; enfin à Kingston, la section des manuscrits des QUA et le Bureau d’enregistrement des titres immobiliers au palais de justice.

Le dépôt le plus important est sans contredit les Archives Molson (Brasserie Molson, Montréal), décrites dans un inventaire préparé en 1955 par la Brasserie Molson (copie aux APC, MG 24, D1). Pour cette étude, les volumes suivants ont été consultés : 144, 321–323, 327–328, 350–352, 355–357, 360–370, 372–374, 383–391. Les papiers Shortt, aux APC (MG 30, D45), contiennent aussi des informations très intéressantes sur Molson.  [a. d.]

Merrill Denison, Au pied du courant ; l’histoire Molson, Alain Grandbois, trad. ([Montréal], 1955) ; Première banque an Canada.— Alfred Dubuc, Thomas Molson, entrepreneur canadien : 1791–1863 (thèse de doctorat, université de Paris, 1969 ; en cours de publication).— Father’s rest (Montréal, s.d.).— Georges Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne (Paris, 1946).— B. K. Sandwell, The Molson family, etc (Montréal, 1933).— B. E. Walker, A history of banking in Canada ; reprinted from A history of banking in all nations [...] (Toronto, 1909).— F. W. Wegenast, The law of Canadian companies (Toronto, 1931).— G. H. Wilson, The application of steam to St Lawrence valley navigation, 1809–1840 (thèse de m.a., McGill University, Montréal, 1961).— Alfred Dubuc, The advent of banking credit on the guarantee of warehouse receipts in Canada, Canadian Banker (Toronto), 70 (1963) : 51–54 ; La crise économique au Canada au printemps de 1848 ; quelques considérations tirées de la correspondance d’un marchand, Recherches sociographiques (Québec), III (1962) : 317–322 ; Montréal et les débuts de la navigation à vapeur sur le Saint-Laurent, Revue d’histoire économique et sociale (Paris), XLV (1967) : 105–118.

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Alfred Dubuc, « MOLSON, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/molson_thomas_9F.html.

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Auteur de l'article:    Alfred Dubuc
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
Année de la révision:    1977
Date de consultation:    28 novembre 2024