MOLLEUR, LOUIS, instituteur, homme d’affaires et homme politique, né le 7 juillet 1828 à L’Acadie, Bas-Canada, fils de Louis Molleur, cultivateur, et de Marie-Angèle Mailloux ; le 20 septembre 1851, il épousa à L’Acadie sa cousine Aurélie Molleur, et ils eurent une fille, puis le 18 janvier 1898, à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec), Elmina Mathieu, veuve de François-Henri Marchand ; décédé le 17 août 1904 à Saint-Jean.

Louis Molleur grandit à L’Acadie, y fit ses études et y enseigna de 1848 à 1853. Puis il s’établit comme marchand, d’abord dans une localité voisine, Saint-Valentin, et dix ans plus tard, à Henryville, où il resta jusqu’en 1865. Son sens des affaires se manifesta très tôt : il acheta, à Saint-Valentin, plusieurs terres qu’il revendit par la suite avec profit.

Molleur et sa famille s’installèrent ensuite à Saint-Jean, où il devint entrepreneur et homme politique. Après avoir rempli la fonction de marguillier, il assuma celle de conseiller municipal, et en 1867, fut élu, à l’Assemblée législative, député libéral de la circonscription voisine, Iberville. Il occuperait ce siège jusqu’en 1881. Il s’était probablement porté candidat dans Iberville pour permettre à son ami et associé Félix-Gabriel Marchand* de représenter Saint-Jean.

Marchand et, dans une moindre mesure, Molleur incarnaient la forte tradition libérale de la région de Saint-Jean. Après la Confédération, le Québec connut, entre de longues années de pouvoir conservateur, de brefs intervalles au cours desquels d’autres partis gouvernèrent. Deux de ces trois gouvernements non conservateurs eurent à leur tête des hommes politiques de la région de Saint-Jean : Honoré Mercier*, chef du Parti national et premier ministre de 1887 à 1891, et Marchand, premier ministre de 1897 à 1900.

La carrière politique de Molleur fut beaucoup moins prestigieuse, mais sa popularité locale ne fléchit jamais. Il contribua à l’adoption, en 1869, d’un projet de loi qui régissait la circulation des véhicules d’hiver sur les chemins publics. Bien au fait, dit-on, des finances publiques et des affaires municipales, il aida en 1871 à dévoiler le scandale de l’asile de Beauport, dans lequel le gouvernement était impliqué [V. Joseph-Édouard Cauchon*]. À l’Assemblée, Molleur faisait partie d’un petit groupe d’hommes d’affaires d’envergure locale voués à l’industrialisation du Québec comme moyen de freiner l’émigration vers les manufactures de la Nouvelle-Angleterre. Partisan d’un tarif protecteur et de primes pour les industries québécoises, il s’opposait aux projets de colonisation et de construction ferroviaire des gouvernements conservateurs.

Les ambitions de Molleur visaient davantage les affaires locales que la politique. Pendant plusieurs années, il fut l’un des administrateurs de la Canada Agricultural Insurance Company. En 1868, lui-même et neuf autres notables de Saint-Jean, dont Marchand, formèrent la Société permanente de construction du district d’Iberville. Molleur, premier vice-président de la société et par la suite président, était le seul homme d’affaires du groupe ; les autres étaient avocats ou notaires. Par ailleurs, sur les dix fondateurs, huit, dont Molleur, avaient été ou seraient conseillers municipaux ou maires de Saint-Jean à la fin du xixe siècle et au début du xxe. À défaut d’expérience des affaires, ils jouissaient d’une influence politique qui pouvait être mise au service de la promotion de leur société. En 1871, Molleur et quelques-uns de ses associés devinrent actionnaires de la Compagnie de l’aqueduc de Saint-Jean. L’année suivante, probablement avec l’aide de leurs amis du conseil municipal, ils obtinrent le monopole de l’approvisionnement de Saint-Jean en eau. Rien n’indique qu’il y eut d’autres soumissionnaires.

Malgré les appuis politiques dont elles bénéficiaient, ni la société de construction ni l’usine de distribution d’eau ne connurent beaucoup de succès. Depuis la construction du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique, la prospérité initiale de Saint-Jean et sa réussite commerciale n’avaient pas fait long feu devant la concurrence que lui opposaient Saint-Hyacinthe et Sherbrooke. Comme d’autres localités, Saint-Jean essayait bien d’attirer des entreprises ferroviaires ou industrielles en offrant, par exemple, des exemptions de taxe et des primes, mais sans grand succès. Aussi n’est-il pas étonnant qu’aucun homme d’affaires de l’endroit ne se soit associé aux initiatives de Molleur.

Les quatre autres actionnaires de l’usine de distribution d’eau se départirent de leurs intérêts pendant la dépression des années 1870 ou après le grave incendie qui ravagea, en 1876, le centre-ville de Saint-Jean. Les accusations s’accumulaient contre l’usine : inefficacité, eau porteuse du typhus, conflit d’intérêts entre les actionnaires et le conseil municipal. En 1877, Molleur était l’unique propriétaire de l’usine. Deux ans plus tard, il offrit des services semblables à Iberville, mais en dépit de ses pressions répétées, on rejeta son offre. De toute évidence, son influence ne s’étendait pas jusque sur le conseil de cette municipalité. Finalement, en 1917, le gouvernement provincial allait exproprier l’usine de distribution d’eau et indemniser les descendants de Molleur.

En 1873, Molleur et bon nombre de ses associés de la société de construction et de l’usine de distribution d’eau fondèrent ce qui, selon lui, était l’œuvre de sa vie, la Banque de Saint-Jean. Comme Ronald Rudin le montre dans son étude des banques canadiennes-françaises, les banques anglaises, à l’époque, ne desservaient pas les petits centres canadiens-français. Néanmoins, la situation économique de Saint-Jean n’était pas propice à la création d’une banque. Dès sa fondation, les marchands de l’endroit la boudèrent. Dans leur première demande de charte, les promoteurs indiquaient un capital souscrit de 540 000 $, dont une portion de 479 000 $ devait être achetée par la société de construction, qui disposait elle-même d’un actif inférieur à 127 000 $. Le Conseil du Trésor à Ottawa rejeta la demande parce qu’il s’opposait à ce qu’une société détienne 90 % des actions d’une banque. Il accepta cependant la deuxième demande, même s’il avait des doutes quant à environ 36 % du capital souscrit, et la banque ouvrit ses portes en octobre 1873. Au fil de son existence, elle déclara un capital versé supérieur au montant réellement reçu, publia peu de rapports annuels et, semble-t-il, ne tint ni procès verbaux ni livres. En somme, c’était dans leur propre intérêt, et non pour desservir la collectivité, que quelques opportunistes de la région, dont Molleur, président de la banque jusqu’en 1904, avaient demandé et obtenu une charte.

La banque survécut à la dépression des années 1870 et enregistra même des profits dans les années 1880, mais elle fut durement frappée par la récession de 1885. Elle outrepassa ses possibilités en ouvrant trois succursales dans la région et accumula les mauvaises créances. Par exemple, elle prêta 350 000 $ à la Compagnie du chemin de fer de la vallée-est du Richelieu, dont le président, Philippe-Honoré Roy, était le gendre de Molleur et le principal actionnaire de la banque ; il allait de plus lui succéder à la présidence de celle-ci. De 1900 à 1906, Molleur, puis Roy, versèrent des dividendes de 6 %, mais on peut douter que cet argent soit venu du bénéfice. Il est plus vraisemblable que les deux hommes le puisaient à même les dépôts afin de masquer la piètre situation financière de la banque et de préserver leur réputation.

Lorsque la banque ferma, en avril 1908, la presse crut d’abord que c’était parce qu’elle ne pouvait plus soutenir la concurrence des grandes banques et qu’elle avait trop investi dans le chemin de fer, et non parce que ses administrateurs avaient fait des gestes irresponsables. Mais bientôt, Roy dut subir une enquête, puis un procès, et fut emprisonné. Au bout du compte, les conséquences de l’opportunisme de Molleur et de Roy retombèrent sur les épargnants ; une fois les créanciers privilégiés remboursés, il restait peu d’argent pour eux.

La seule percée que tenta Molleur dans le secteur manufacturier se solda aussi par un échec. La Compagnie manufacturière de Saint-Jean, fabrique de chaussures dont il était président et actionnaire, dura une seule année, 1875. L’entreprise n’étant pas rentable, il la vendit en 1876 à Louis Côté*, de Saint-Hyacinthe, pour 11 000 $.

Sans doute Louis Molleur ne fut-il pas un personnage de premier plan, mais il n’en est pas moins représentatif de ces hommes d’affaires des petites localités du Québec qui, au xixe siècle, tentèrent de satisfaire leurs propres ambitions au lieu d’établir une solide industrie régionale, héritage qui pèse lourd aujourd’hui.

Kathleen Lord

AC, Iberville (Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec), État civil, Catholiques, Saint-Jean-l’Évangiliste (Saint-Jean-sur-Richelieu), 18 janv. 1898, 20 août 1904.— ANQ-M, CE4-1, 8 juill. 1828 ; 20 sept. 1851.— Arch. de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, Procès-verbaux, 1848–1914.— Le Canada français (Saint-Jean-sur-Richelieu), 26 janv. 1977.— Pierre Brault, Histoire de L’Acadie du Haut-Richelieu (Saint-Jean-sur-Richelieu, 1982).— Lionel Fortin, Félix-Gabriel Marchand (Saint-Jean-sur-Richelieu, 1970).— M. Hamelin, Premières Années du parlementarisme québécois.— Kathleen Lord, « Municipal aid and industrial development : Saint-Jean, Quebec, 1848–1914 » (thèse de m.a., Concordia Univ., Montréal, 1981) ; « Nineteenth century corporate welfare : municipal aid and industrial development : Saint-Jean, Quebec, 1848–1914 », Rev. d’hist. urbaine (Winnipeg), 12 (1984–1985) : 105–115.— Québec, Assemblée législative, Débats, 18671881.— RPQ.— Ronald Rudin, Banking en français : the French banks of Quebec, 1835–1925 (Toronto, 1985).

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Kathleen Lord, « MOLLEUR, LOUIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/molleur_louis_13F.html.

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Auteur de l'article:    Kathleen Lord
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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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