McSWINEY, EDWARD, commis et milicien ; il se maria et eut quatre enfants ; circa 1812–1815.
L’un des aspects importants du début du Canada, selon les Loyalistes du xixe siècle, fut le rôle joué par les habitants du Haut-Canada et par la milice, qui repoussèrent les envahisseurs américains pendant la guerre de 1812. Mais, en fait, ce mythe loyaliste (depuis longtemps discrédité) fut en partie lancé par des contemporains comme John Strachan*, qui craignaient la perte de la province par suite de l’action des éléments déloyaux. Les désaffections constituaient à l’époque le plus grand problème du gouvernement civil et du commandement militaire [V. Jacob Overholser]. Il ne faut pas se surprendre qu’une extraordinaire démonstration de loyauté, peu importe du reste qu’elle ait été suspecte, pût susciter une récompense au sein d’une société à la recherche d’exemples de vive adhésion à la couronne. L’histoire, inédite jusqu’ici, du sergent Edward McSwiney vient illustrer ce fait.
Parti du Bas-Canada, McSwiney, « Européen britannique » de naissance, alla se fixer dans le Haut-Canada pour servir de commis à l’arpenteur Reuben Sherwoad. Peu après le début de la guerre, en juin 1812, McSwiney s’enrôla et devint sergent dans la compagnie de son employeur, la 1 st Leeds Militia. Le 10 octobre, il était de garde au dépôt d’armes de la garnison d’Elizabethtown (Brockville). Un de ses collègues de la milice, Andrew Fuller, essaya de prendre plusieurs objets sans autorisation. McSwiney l’interpella. Après un échange de gros mots, les deux hommes se battirent. Daniel Cloud, un ami de Fuller, encourageait ce dernier à corriger « le maudit coquin ». Dés lors, menacé par deux hommes, McSwiney déchargea son fusil, blessant mortellement Fuller. Arrêté, McSwiney fut remis au shérif du district.
Après avoir longtemps séjourné en prison, McSwiney fut inculpé par le jury d’accusation, aux assises du district de Johnstown, le 7 septembre 1813, et fut jugé trois jours plus tard par William Campbell*. Après avoir entendu la preuve présentée par huit témoins de la couronne et un témoin de la défense, le jury de jugement déclara McSwiney coupable. Campbell le condamna à être pendu le 18 octobre – ce qui donnait le temps nécessaire à la présentation des recours habituels en grâce, au nom de McSwiney. Campbell affirma à l’administrateur de la province qu’il n’y avait aucun fondement juridique qui pût « induire [les autorités] à atténuer son sort », tout en mentionnant que McSwiney avait « refusé de saisir l’occasion de s’enfuir que lui avait fournie l’ennemi le 6 février précédent ». Le 17 septembre, « de sa propre main », McSwiney rédigea avec éloquence une première pétition – plusieurs autres devaient suivre – pour obtenir le pardon du roi.
Ces pétitions révèlent un esprit vif. Voilà un homme qui savait défendre sa cause ! Il fit appel aux lieux communs propres aux documents du genre – souffrances et disgrâce personnelles, situation de sa famille – mais son trait de génie fut de mettre en valeur des aspects de son cas qui, sur un plan plus vaste, correspondaient pour la province à des préoccupations liées aux exigences de la guerre. Dans le district, dont on dira plus tard qu’il était le plus dissident de la province, voilà un homme qui cherchait « à conserver la vie uniquement pour pouvoir se dévouer pour son pays et le défendre contre la poigne d’un ennemi méchant et implacable ». Revêtant le manteau de la loyauté, il peignit tant sa victime que le jury saur les traits noirs de la trahison. Fuller, venu « récemment des États-Unis, [était] un mercenaire ou un substitut payé pour remplacer un milicien, [un homme] réputé dissolu et méprisable, et fortement soupçonné d’être hostile à Sa Majesté et au gouvernement ». S’en prenant à l’épidémie de désertions qui avait sévi au sein de la milice coloniale depuis le début de la guerre, McSwiney rattacha l’action de Fuller aux « désertions quotidiennes d’hommes qui passaient à l’ennemi ». Quant au complice de Fuller, Cloud, dont McSwiney nota plus tard, dans une autre de ses pétitions, qu’il avait déserté et rejoint l’ennemi, celui-là lui était hostile à cause de ses « enquêtes serrées » sur le frère de Cloud, déserteur lui aussi. Mû uniquement par des motifs purs et patriotiques, McSwiney nia toute malice de sa part dans le coup de fusil fatal, qui s’était produit « dans la chaleur d’un moment de passion [et avait comme causes] son zèle pour le service, sa loyauté et un très vif attachement pour son souverain bien-aimé et pour son pays ».
Pendant la guerre, les actes héroïques ne se produisirent pas sur les champs de bataille. La preuve irréfutable du loyalisme ardent de McSwiney se trouverait dans l’incident mentionné par Campbell, survenu dans la nuit du 6 février 1813. Les troupes américaines menaient alors un raid contre Elizabethtown ; elles firent plusieurs captifs et, selon McSwiney, « libérèrent les prisonniers de la geôle ». Elles les libérèrent tous, à vrai dire, sauf un. Animé par l’amour de sa patrie, McSwiney resta dans une prison vide ; il écrivit qu’il avait « repoussé la pensée de devenir un fugitif sur la terre de son roi et de son pays, et [de vivre] au milieu de leurs ennemis ». Mais le jury n’avait pas tenu compte de son refus de quitter la prison parce qu’il était « prévenu contre lui. [...] Eût-il été yankee, ou imbu des principes yankees [...] les témoignages eussent été moins incriminants, et le verdict moins sévère. »
Mais ce véritable exemple de loyauté de McSwiney avait eu un grand impact sur les officiers de la milice locale et sur les membres en vue de la société du district de Johnstown. Chacune de ses pétitions était appuyée par des membres de l’élite locale, dont Archibald McLean* et Jonas Jones*. L’art avec lequel McSwiney composa ses pétitions eut l’effet escompté. Recevant la première pétition, l’administrateur de la province, Francis Rottenburg*, « se sentit enclin à lui pardonner ». Le procureur général intérimaire John Beverley Robinson* l’informa que le pardon était une prérogative royale et que la meilleure chose à faire dans les circonstances était de remettre l’exécution et de recommander McSwiney à « la grâce de Sa Majesté ». Cela choqua le juge Campbell. Il était incapable de « faire état de quoi que ce fût en faveur » de McSwiney, et considérait même le simple appel à la clémence comme « tout à fait immérité ». L’exécution fut néanmoins ajournée, « jusqu’à ce qu’on apprît le bon plaisir de Sa Majesté ». Ce qui était en cause, ce n’était pas le côté judiciaire de l’affaire – ni Campbell ni Robinson n’étaient très sensibles aux réclamations de McSwiney à cet égard – mais la loyauté manifeste de celui-ci dans la nuit du 6 février. Tout le monde, cependant, ne fut pas aussi impressionné par ce geste que le furent les administrateurs de la province. En peu de mots, le geôlier qui était en fonction durant cette soirée fatidique nota que McSwiney, quoi qu’il en dît, était « le seul [en prison] au moment où les Américains passèrent par là ; il lui était impossible de s’enfuir à moins d’être délivré, étant dans les fers et enchaîné ».
Dans cette conjoncture, la cause de McSwiney se compliqua, du fait d’un changement dans l’administration (George Cordon Drummond* succéda à Rottenburg en décembre 1813), de l’état rudimentaire du bureau du procureur général et de détails de procédure. McSwiney insistait pour dire que le sursis avait valeur de pardon, mais tin n’avait pas d’exemplaire de ce document à York (Toronto) et la question resta en suspens jusqu’en janvier 1814. Après en avoir reçu un exemplaire du shérif du district de Johnstown, Robinson informa Drummond que le condamné se trompait. McSwiney continua de languir en prison, « dans les fers – mains et jambes – et enchaîné au plancher », pendant que Robinson tentait de démêler cette affaire. L’exécution de la sentence fut continuellement repoussée jusqu’au 25 octobre 1814, jour où le secrétaire du gouverneur Prevost avisa Drummond que la cause relevait entièrement de la juridiction du Haut-Canada.
Finalement, le 2 janvier 1815, Drummond adressa au ministère des Colonies le plaidoyer de McSwiney pour l’obtention de sa grâce, avec, à l’appui, des pétitions et sa propre recommandation. Les pétitions locales réclamant la clémence du tribunal furent d’une extrême importance. Drummond en parla comme venant de « gentlemen [...] du rang le plus respectable [...], et témoignant fortement de la loyauté et du zèle dont il [McSwiney] avait fait preuve pour servir son roi et son pays ». Drummond ajouta que le jury avait des « préjugés contre McSwiney, non seulement à cause de sa loyauté et de son activité en faisant traduire les séditieux devant les tribunaux [...] mais [aussi] parce que l’homme qui avait [...] provoqué cet événement [...] était à leur image ». Cette requête fut envoyée sur-le-champ au ministère de l’Intérieur, où elle fut remise pour examen au prince régent et au Conseil privé. Une fois de plus, l’habile travail de McSwiney se révéla tout à fait convaincant : une lettre de grâce fut rédigée le 29 juin. Puis elle descendit tous les niveaux d’autorité, et le procureur général D’Arcy Boulton* décréta l’autorisation de relâcher McSwiney le 30 octobre. Peu après, ce dernier disparut ; il quitta vraisemblablement la province.
Le cas d’Edward McSwiney est un exemple étonnant de finesse personnelle. Obtenir son pardon était certes un exploit. Petit sergent, il dut triompher de l’opinion juridique de Campbell, selon laquelle il n’y avait pas la moindre preuve à l’appui de ses extravagantes prétentions. De surcroît, Robinson se montrait tout à fait antipathique à la cause de McSwiney, et probablement pour des raisons semblables à celles de Campbell. Mais des hommes moins férus de droit se laissèrent facilement gagner. Le succès finalement remporté par les pétitions de McSwiney, sans recommandations judiciaires, reflète la mentalité d’une administration tourmentée ; un homme comme Drummond était tout aussi désireux de récompenser la loyauté que de venir à bout de la désaffection. Eût-on été plus sûr de la fidélité des colons, il est possible que les séduisantes productions du plus habile des fins matois, Edward McSwiney, ne lui eussent point valu, de la part de tous ceux qui avaient leur mot à dire dans son affaire, un bien long délai.
AO, RG 22, ser. 134, 4 : 132, 135.— APC, RG 5, A1 : 7741, 8859–8930, 10596s., 10678s., 10860s. ; RG 7, G1, 57 : 108–110.— PRO, CO 42/356 : 3–5, 260s., 266s.— Select British docs. of War of 1812 (Wood), 2 : 13–24.— Hitsman, Incredible War of 1812, 105–120.
Robert L. Fraser, « McSWINEY, EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mcswiney_edward_5F.html.
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Auteur de l'article: | Robert L. Fraser |
Titre de l'article: | McSWINEY, EDWARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |