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McDOWELL, EUGENE ADDISON, acteur et directeur de théâtre, né en 1845 à South River, New Jersey ; décédé le 21 février 1893 à Bloomingdale, New York.
Eugene Addison McDowell fit ses débuts sur scène vers 1865 à St Louis, au Missouri. De 1872 à 1875, à New York, il donna la réplique à des vedettes comme Helena Modjeska, Edwin Thomas Booth, James O’Neill et la Canadienne Clara Morris. En outre, il se fit d’autres relations dans le monde du théâtre et étudia plusieurs pièces populaires. En 1874, il profita de la relâche estivale pour aller aider William Nannary à l’administration de l’Academy of Music de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, et pour jouer un mois à Halifax.
Encouragé par ce fructueux séjour au Canada, McDowell – au mépris du droit d’auteur, comme c’était courant à l’époque – présenta à Toronto, au printemps de 1875, une pièce bien connue de Dion Boucicault, The shaughraun. Bel homme, il avait énormément de présence sur scène, et le magazine Grip trouva qu’il interprétait avec « beaucoup d’humour et d’entrain » le rôle titre, celui de l’Irlandais Conn the Shaughraun. Toujours d’après le Grip, la production remporta un « succès éclatant », mais elle connut de graves difficultés financières pendant sa tournée au pays jusqu’à ce que, contre toute attente, les spectateurs de Québec lui réservent un accueil enthousiaste. McDowell avait fait une telle impression dans le rôle de Conn que, dès lors, on le désigna sous le nom de directeur de la « Shaughraun Company ».
Influencé par les acclamations de la critique, l’homme d’affaires montréalais sir Hugh Allan* embaucha McDowell à la fin de 1875 pour qu’il ouvre et administre l’Académie de musique de Montréal. À peine 18 mois plus tard, en mai 1877, l’établissement connaissait un désastre financier et devait fermer ses portes. « Nos concitoyens, disait l’Evening Star de Montréal, ne sont pas vraiment portés sur le théâtre. » Pour les attirer, McDowell s’était lancé dans un programme bien trop ambitieux – 80 pièces et 15 levers de rideau – et avait manifestement sacrifié la qualité. Même si en principe il soutenait l’académie, l’Evening Star dut souvent se montrer sévère à l’endroit des productions. Et puis, malgré la diversité des rôles, les spectateurs se lassèrent de voir toujours les mêmes têtes et se mirent à préférer les troupes de tournée. Selon Felix Morris, un acteur mal payé, McDowell « avait le tour de disparaître derrière les portes et de s’éclipser dans les tournants ». Néanmoins Morris finit par lui mettre la main dessus, et McDowell lui prouva, à l’aide de « calculs abstrus et étonnants », et en lui exhibant « de nombreux petits bouts de papier auxquels il n’y avait rien à comprendre », qu’il ne lui devait à peu près rien. Puis, raconte Morris, il lui déclara « qu[`il] avai[t] un bel avenir [...] et disparut tranquillement de [sa] vue après une chaleureuse poignée de main et un sourire tout à fait angélique ». Les comédiens prirent la direction de la troupe mais, après avoir d’abord réussi à se tirer d’affaire, ils échouèrent eux aussi.
Avant de quitter Montréal, McDowell avait épousé le 30 janvier 1877 une soubrette extrêmement populaire de sa troupe, la jolie Fanny Reeves. L’événement, dont « on parlait beaucoup », eut lieu à l’église St James the Apostle, en présence d’« une foule monstre » où dominaient les « jeunes filles, les jeunes dames et les matrones ». Leur excitation devint telle que le rector, par crainte qu’on n’abîme son église, menaça d’appeler la police. Sir Hugh Allan, qui devait conduire la mariée à l’autel, arriva en retard à l’église. En 1878, les McDowell eurent leur unique enfant, Claire ; quelques mois plus tard, ils lui firent commencer ce qui allait être une longue carrière de comédienne.
Lorsque McDowell avait pris la direction de l’Académie de musique de Montréal, en 1875, les troupes à demeure perdaient déjà la faveur du public au profit des troupes de tournée, venues surtout de New York pour jouer dans les théâtres canadiens un soir ou une semaine, selon les circonstances. De 1875 à 1900, plus de 135 troupes itinérantes se produisirent dans les provinces centrales du Canada [V. Margaret Finlayson]. Après son échec montréalais, McDowell fit 14 saisons au pays au cours desquelles il mit sur pied quelques-unes de ces troupes. Contrairement aux troupes à demeure, les troupes de tournée n’ennuyaient pas l’auditoire en présentant toujours les mêmes acteurs, mais elles avaient leurs propres problèmes : obligés de s’adapter constamment, les comédiens et les directeurs s’épuisaient. Toujours sur la route, celles de McDowell visitaient non seulement les grandes villes du circuit habituel – Toronto, Montréal, Québec, Halifax – mais des douzaines de petites localités dont la population, grâce à lui, fut initiée au théâtre professionnel. Ainsi il fut le premier à emmener des comédiens de métier dans l’Ouest : il se rendit à Winnipeg et dans les villages environnants en 1879, puis y retourna à trois reprises. À Emerson, il arriva que sa troupe joue deux pièces le même soir dans un entrepôt désaffecté. On utilisait des caisses de savon et de bougies pour les places les moins chères, des caisses de champagne et de brandy pour les plus chères ; un orgue d’église tenait lieu d’orchestre.
Comme la diversité était l’une des clés du succès, les compagnies de tournée devaient avoir un vaste répertoire. De 1877 à 1890, McDowell produisit plus de 200 pièces, mais il reprit souvent bon nombre d’entre elles, si bien qu’à la fin elles atteignirent une qualité exceptionnelle. Son répertoire reflétait ce que les spectateurs d’un peu partout dans le monde préféraient en matière de comédie, de mélodrame et de comédie musicale. Il monta trois pièces canadiennes dont l’une, H.M.S. Parliament or the lady who loved a government clerk de William Henry Fuller, parue à Ottawa en 1880, fit fureur un petit moment cette année-là. Inspirée de la pièce alors en vogue de Gilbert et Sullivan, H. M. S. Pinafore or the lass that loved a sailor, elle tournait en dérision des hommes politiques fédéraux (notamment sir John Alexander Macdonald et sir Samuel Leonard Tilley) et la politique fédérale (la Politique nationale surtout). La tournée au cours de laquelle McDowell la présenta fut l’un des moments forts de sa carrière.
S’adapter aux goûts des habitants des localités où l’on passait n’était pas moins nécessaire. McDowell dressait son programme en fonction de son itinéraire, en y ajoutant des thèmes locaux. Ayant noté par exemple que plus on s’éloignait d’Ottawa, moins H.M.S. Parliament suscitait de réactions dans la salle, il n’en fit qu’une attraction parmi bien d’autres à Winnipeg, où il monta une pièce écrite par un auteur du lieu. Des critères moraux entraient aussi en ligne de compte. En juin 1880, le Daily Free Press de Winnipeg trouva que The pink dominoes, de James Albery, était « trop épicé – du moins pour cette ville ». À un ballet présenté sans incident à Montréal en 1876–1877, un journal de Halifax réagit en 1878 en parlant d’« atroce attentat à la pudeur féminine, [de] choquante exposition de corps féminins contorsionnés [... et de spectacle] vulgaire et indécent ». En général, le public ontarien et québécois était plus tolérant que celui de l’Ouest et des Maritimes.
Pour attirer davantage de spectateurs, McDowell adaptait ses productions de manière à engager des figurants sur place et donnait des spectacles au bénéfice de causes locales. De plus, il embauchait des Canadiens parmi ses comédiens réguliers – Julia Arthur [Ida Lewis*] par exemple –, leur donnant ainsi la chance d’acquérir de l’expérience. Malgré le talent et la polyvalence de ses acteurs, il se devait, comme tous les producteurs de son époque, de présenter d’imposants décors, de beaux costumes et de spectaculaires effets spéciaux pour impressionner l’assistance et les critiques. Quand H.M.S. Parliament était au programme, c’était toute une affaire que de trimbaler de Winnipeg à Halifax la reconstitution de l’extérieur et de l’intérieur des édifices du Parlement !
McDowell fit régulièrement des tournées au Canada de 1877 à 1890, mais New York demeurait son point d’attache. Les impresarios canadiens allaient chaque année y négocier des productions, et McDowell pouvait s’y tenir au courant des derniers succès théâtraux, qu’il présentait ensuite au Canada. En outre, il jouait sur les scènes new-yorkaises, se faisait des relations et engageait des comédiens. En effet, sa troupe se dispersait à la fin de chaque tournée, quoique bon nombre d’acteurs lui soient demeurés fidèles et aient renouvelé d’année en année leur engagement avec lui. Cependant, il ne remportait pas de succès financier à New York ni dans l’ensemble des États-Unis ; à son grand désespoir, ses tournées américaines dévoraient les bénéfices réalisés au Canada.
En 1890, McDowell s’imposa un programme trop chargé. Après une longue tournée canadienne, il emmena sa troupe aux Antilles et en Amérique du Sud, où il s’effondra sous le coup d’un « épuisement nerveux ». Néanmoins, il se remit et demeura actif jusqu’à quelques mois avant sa mort, survenue en 1893, et attribuable à une parésie (une forme de paralysie). « C’était un acteur très consciencieux, talentueux, qui se donnait du mal, nota le Montreal Daily Star dans sa notice nécrologique. Jamais il ne maugréait à cause de ce qu’il en coûtait de bien monter une pièce. Tout le monde l’adorait parce qu’il était aimable, accueillant, et qu’il était un ami loyal. »
En explorant des territoires neufs et en enrichissant son répertoire, en faisant preuve d’une grande faculté d’adaptation et de capacités à surmonter les revers financiers et artistiques, Eugene Addison McDowell manifesta des qualités souvent admirables et toujours essentielles sur le plan professionnel. Non seulement encouragea-t-il des comédiens et des dramaturges canadiens, mais il contribua à l’essor du théâtre au Canada en présentant des productions de qualité, adaptées au contexte local ; il fit ainsi du théâtre un divertissement de bon aloi pour des milliers de citoyens attachés aux traditions qui habitaient de petites ou grandes localités du Manitoba à la Nouvelle-Écosse.
Des portraits d’Eugene Addison McDowell se trouvent à la MTRL, Arts Dept., E. A. McDowell and Company coll., et au Musée McCord, Notman Photographic Arch., 43062-BII, 43064-BII, 43110-BII, 44781-BII. Certains de ces portraits ont été reproduits dans K. D. J. Fraser, « Theatre management in the nineteenth century : Eugene A. McDowell in Canada, 1874–1891 », Hist. du théâtre au Canada (Toronto et Kingston, Ontario), 1 (1980) : 39–54, et dans R. G. Lawrence, « Dramatic history : H.M.S. Parliament », Canadian Theatre Rev. (Toronto), n° 19 (été 1978) : 38–45.
Le texte de la pièce de W. H. Fuller, H.M.S. Parliament or the lady who loved a government clerk, est reproduit dans Canada’s lost plays, Anton Wagner et Richard Plant, édit. (4 vol., Toronto, 1978–1982), 1 : 158–193.
Felix Morris, Reminiscences (New York, [1892]), 68–73, 76–79, 84–87.— Canadian Illustrated News (Montréal), 28 févr. 1880.— Dramatic Mirror (New York), 4 mars 1893.— Grip (Toronto), 24 avril 1875.— Montreal Daily Star, 30 janv. 1877, 22 févr. 1893.— M. D. Edwards, A stage in our past, English-language theatre in eastern Canada from the 1790s to 1914 ([Toronto], 1968).— K. D. J. Fraser, « A history of the McDowell Theatre Company, 1872–1893 » (thèse de m.a., Univ. of Western Ontario, London, 1978).— G. C. D. Odell, Annals of the New York stage (15 vol., New York, 1927–1949), 7 ; 9 ; 11–12.— R. G. Lawrence, « Eugene A. McDowell and his contributions to the Canadian theatre, 1875–1890 », Dalhousie Rev., 58 (1978–1979) : 249–259.
Kathleen D. J. Fraser, « McDOWELL, EUGENE ADDISON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mcdowell_eugene_addison_12F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |