McCREA, ROBERT BARLOW, officier et auteur, né en 1823 au Royaume-Uni ; décédé le 11 février 1897 à Ewell, Angleterre.
Robert Barlow McCrea fit des études classiques, condition habituelle d’admission à la Royal Military Academy de Woolwich (Londres), où il entra en février 1838, à l’âge de 15 ans. Le 18 juin 1842, il obtint un brevet de lieutenant en second dans le Royal Regiment of Artillery. Sa première affectation à l’étranger, cinq ans plus tard, fut Ceylan (Sri Lankâ). Il y resta jusqu’en 1849, puis passa quatre années délicieuses à Corfou (Kerkyra, Grèce).
McCrea fut affecté en 1854 à Port-Royal, en Jamaïque, en qualité de capitaine et commandant de la 1er compagnie du 8e bataillon. Dans toute sa carrière militaire, ce fut l’endroit qu’il aima le moins : « ce trou merveilleux [...] sans nourriture à se mettre sous la dent, livres à lire ni gens à qui parler ». La terrible fièvre jaune emporta plusieurs de ses amis, mais par chance il y échappa. C’est probablement au cours de son séjour en Jamaïque qu’il exécuta en Haïti les services spéciaux qui allaient lui valoir une citation dans son livret matricule et une promotion au grade honoraire de major.
Au printemps de 1859, McCrea regagna l’Angleterre et Woolwich où, durant deux ans, il savoura les joies du train-train quotidien. Puis, en décembre 1861, il subit un nouveau déracinement : comme l’affaire du Trent [V. sir Charles Hastings Doyle*] avait provoqué des tensions entre l’Angleterre et les États-Unis, on l’envoyait à St John’s, à Terre-Neuve, dans le cadre d’un renforcement général des garnisons de l’Amérique du Nord britannique. Il laissait une épouse en Angleterre.
Depuis l’éclatement de la guerre de Crimée, en 1854, on avait laissé les défenses de St John’s s’affaiblir. L’effectif de la garnison était si réduit que le gouverneur, sir Alexander Bannerman*, avait craint de manquer d’hommes pour maintenir l’ordre public après l’émeute électorale de mai 1861. Au moment où la batterie H de la 4e brigade du Royal Regiment of Artillery arriva dans la ville, en janvier 1862, on avait réglé à l’amiable l’affaire du Trent, mais le gouvernement impérial reconnaissait que, pour l’heure, des raisons aussi bien politiques que militaires justifiaient le renforcement de la garnison.
Au début des années 1860, Terre-Neuve n’était pas du tout la « contrée de poisson et de brouillard » que McCrea pensait trouver à son arrivée. Certes, la vie terre-neuvienne présentait à ses yeux bien des aspects singuliers, voire quasi primitifs, mais – surprise agréable – la colonie était accueillante et offrait tout un éventail d’activités (McCrea s’intéressait à beaucoup de choses et allait avoir énormément d’heures de loisir). Terre-Neuve, il ne tarda pas à le comprendre, traversait une période extrêmement dure. À cause d’une longue série de mauvaises saisons de pêche, l’économie était en chute libre ; les conflits interconfessionnels se répercutaient sur les affaires intérieures et politiques. Qu’à cela ne tienne, son séjour n’en était que plus agréable, plus excitant.
Durant les dernières années de la présence militaire des Britanniques à Terre-Neuve la vie de garnison comportait peu de rigueurs, et McCrea put donc consacrer beaucoup de temps à ce qu’il aimait – chasser, pêcher, faire des excursions à pied et rencontre des gens – toutes choses qu’il pratiquait avec beaucoup d’entrain. À titre de commandant de batterie puis de la garnison, il pouvait évoluer aisément dans la bonne société de St John’s. Le récit qu’il publia à Londres en 1869, Lost amid the fogs : sketches of life in Newfoundland, England’s ancient colony, montre qu’il avait observé attentivement la vie terre-neuvienne.
Il est intéressant de constater que, parmi toutes ses affectations, c’est de Terre-Neuve que McCrea a décidé de parler. L’agrément de son séjour peut expliquer en partie ce choix. De plus, il était convaincu que son récit ferait découvrir un territoire négligé par la littérature de voyage de son époque. Apparemment, il ne connaissait pas les nombreux commentaires sur Terre-Neuve qui avaient précédé les siens (par exemple, ceux de John Reeves*, Edward Chappell*, Lewis Amadeus Anspach*, Joseph Beete Jukes* et Charles Pedley*) et qui, parce qu’ils figurent en meilleure place dans l’histoire littéraire de l’île, ont quelque peu réduit l’importance de son livre. Néanmoins, c’est à titre d’auteur de Lost amid the fogs qu’il est le plus connu. Une autorité en matière de littérature terre-neuvienne a d’ailleurs reconnu des qualités à son récit et en a parlé comme d’un « compte rendu intéressant, parfois pénétrant, de Terre-Neuve ».
Lost amid the fogs débute à la manière d’un journal de voyage mais se transforme vite en un commentaire sur ce qu’étaient l’île et ses habitants dans les années 1860. McCrea connaissait bien son sujet et était très sensible à la situation terre-neuvienne. Bien que le caractère « démodé » du commerce à St John’s lui ait paru plaisant, il déplorait le fait que l’économie y soit soumise aux aléas de la pêche : le marchand, obligé d’engager de fortes mises, devenait une espèce de « grand joueur » et, par rapport à lui, le pêcheur pauvre se trouvait constamment dans une inextricable relation de débiteur à créancier. Détail intéressant, McCrea attribuait les problèmes de la pêche à l’exploitation abusive des bancs et à l’utilisation de techniques nouvelles. Il condamnait ceux qui avaient exploité Terre-Neuve et ses habitants au fil des générations, tels les marchands absentéistes et les gens instruits, qu’il accusait de faire « peu ou rien du tout pour le bien public et de s’isoler dès que possible comme [s’ils se trouvaient en présence] d’une collectivité contaminée ». Les habitants, déplorait-il, ne montraient aucune fierté civique, faille qu’il attribuait au manque de lieux propices aux échanges de courtoisie. Les institutions religieuses de l’île suscitaient en lui des sentiments partagés. Il louait le dévouement des ministres qui œuvraient dans les petits ports de pêche et admirait l’ascétisme du clergé catholique. Cependant, l’Église d’Angleterre lui semblait « inadaptée dans une large mesure aux besoins de la génération présente, et surtout à ceux des pauvres » ; elle n’avait « plus sur les gens l’ascendant [qu’il fallait] pour leur faire sentir la nécessité et la valeur de son ministère ». Il était très sévère à l’endroit de l’Église catholique qui, selon lui, avait un « caractère médiéval », exploitait ses fidèles et s’immisçait de manière scandaleuse dans la politique locale. Comme l’historien Francis Parkman, il était d’avis que « manifestement [l’Église] est terrestre, non pas céleste ». Néanmoins, il reconnaissait la popularité de l’évêque anglican, Edward Feild*, et trouvait que l’évêque catholique, John Thomas Mullock*, avait quelques qualités admirables.
Consterné par la politique coloniale, McCrea estimait que c’était « folie » d’avoir concédé le gouvernement responsable à une « collectivité de cent mille âmes [...] dont les trois quarts [étaient] des pêcheurs ignorants et superstitieux ». D’après lui, la Confédération canadienne ne donnerait que de piètres résultats ; il la comparait à un « cordage de sable » qui lierait des régions désespérément disparates dans une union « illogique » et « contraire à la bonne politique », et il félicitait Terre-Neuve de ne pas s’associer à ce projet. En fait, McCrea était un impérialiste irréductible avant même que ce ne soit à la mode. Il ne voulait rien de moins que le maintien du lien impérial et blâmait la Grande-Bretagne d’avoir la lâcheté de le rompre en toute hâte et sans raison. Manifestant une rare prescience, il proclamait : « Les véritables intérêts de Terre-Neuve et de l’Angleterre sont liés ; puissent-ils le demeurer longtemps ! »
Dans l’ensemble, les impressions de McCrea sur Terre-Neuve au milieu du siècle sont favorables, quoique passablement romantiques : « Nulle part ailleurs, écrit-il, l’homme ne peut serrer la main d’un autre homme avec une plus grande confiance, ni manger le pain de son voisin avec une plus grande certitude d’être bien accueilli. » La colonie fut le lieu d’affectation où il fut le plus heureux, et c’est avec un profond regret qu’il en partit, pour ne plus revenir.
Promu lieutenant-colonel en février 1863, McCrea s’en alla en mai 1864 pour prendre le commandement du Royal Regiment of Artillery à Québec. Il y arriva en décembre, après avoir passé l’été et l’automne en Angleterre. Commandant du district de Québec, il administrait l’artillerie en garnison dans la ville, ce qui comprenait la supervision de tout le personnel subalterne. Bien qu’il ait été à Québec pendant la période de tensions qui suivit la guerre de Sécession et fut marquée par les raids féniens, il semble qu’il s’occupa surtout de questions administratives ; aucun incident majeur ne troubla son séjour.
Robert Barlow McCrea fut affecté à Malte de 1867 à 1871 ; ce fut son dernier poste outre-mer. À la fin de son séjour là-bas, il accéda au grade de colonel, puis trois ans plus tard à celui de major général. Il se retira ensuite dans le Surrey, où il mourut en 1897 à l’âge de 74 ans.
AN, RG 8, I (C sér.), 755–765.— PRO, CO 194/155 ; 194/166–168 ; WO 17/1569 ; 17/2292 (mfm aux AN).— Battery records of the Royal Artillery, 1716–1859, M. E. S. Laws, compil. (Woolwich, Angl., 1952).— Times (Londres), 13 févr. 1897.— List of officers of the Royal Regiment of Artillery from the year 1716 to the year 1899 [...], John Kane et W. H. Askwith, compil. (4e éd., Londres, 1900).— J. [K.] Hiller, « Confederation defeated : the Newfoundland election of 1869 », Newfoundland in the nineteenth and twentieth centuries : essays in interpretation, J. [K.] Hiller et P. [F.] Neary, édit. (Toronto, 1980), 67, 75.— Patrick O’Flaherty, The Rock observed : studies in the literature of Newfoundland (Toronto, 1979).— Christian Rioux, « The Royal Regiment of Artillery in Quebec City, 1759–1871 », Parcs Canada, Direction des parcs et lieux hist. nationaux, Hist. and archaeology (Ottawa), no 57 (1982) : 3–146.
David R. Facey-Crowther, « McCREA, ROBERT BARLOW », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mccrea_robert_barlow_12F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 2 décembre 2024 |