MATTHEWS, JOHN, homme politique, né probablement en Angleterre ; décédé le 20 août 1832, peut-être dans le même pays.
D’après ses récits de jeunesse, John Matthews devait venir d’un milieu distingué. Il disait avoir étudié dans un collège anglais à Paris et il fréquenta, après 1779, la Royal Military Academy de Woolwich (Londres). Membre de l’artillerie royale durant 27 ans, il la quitta avec un grade de capitaine et une pension lorsque son bataillon fut licencié en mars 1819. Cependant, il ne fit pas continuellement du service actif : à un moment donné, pendant les guerres napoléoniennes, il exploita une ferme dans l’espoir de « relever la mauvaise situation de [sa] famille », mais la crise agricole qui suivit la fin des hostilités le ruina. Il rejoignit alors son bataillon pour toucher sa solde et y resta 18 mois, jusqu’au licenciement de celui-ci, après quoi il s’embarqua pour le Canada.
Matthews arriva à Québec peu avant la mort du gouverneur en chef, le duc de Richmond [Lennox*], en août 1819. Il se présenta à sir Peregrine Maitland*, lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, comme un vieil ami du duc, qui était le beau-père de Maitland, et allégua qu’il était venu parce que Richmond lui avait promis de le placer à la tête d’une colonie militaire que l’on projetait de fonder. Il demanda à Maitland de l’aider à s’établir dans le Haut-Canada et s’installa temporairement près de Queenston.
Maitland était disposé à lui porter assistance, mais Matthews se révéla difficile à satisfaire, et leurs relations ne tardèrent pas à se détériorer. Le lieutenant-gouverneur lui recommanda successivement plusieurs terres sur les bords des lacs Simcoe et Rice. Matthews les refusa mais en réclama d’autres, qui étaient toutes réservées ou frappées d’un droit de préemption. À la fin, le Conseil exécutif le convoqua et le pressa d’accepter un domaine de 800 acres sur la Thames, dans le canton de Lobo.
En octobre 1820, Matthews se mit en route avec sa famille et ses domestiques. Ils formaient une caravane de « près de trente personnes [...] six chariots, une voiture, vingt-quatre chevaux, un troupeau de moutons et quelques vaches ». Dès son arrivée dans le canton de Lobo, Matthews fit part de sa déception au gouvernement. Après avoir perdu 1 000 guinées en vendant ses propriétés de Grande-Bretagne en toute hâte pour répondre à l’appel de Richmond, voilà qu’il se trouvait sur des plaines rocailleuses et des taillis de chêne qui ne valaient que un dollar l’acre. « Cela, Monsieur, écrivit-il au major George Hillier*, secrétaire civil du gouverneur, n’était assurément pas le genre de service que le duc avait l’intention de me rendre. » Il craignait que Maitland, malgré ses bonnes intentions, ne se soit laissé freiner par des personnes dont il ne pouvait combattre l’influence. Cette plainte, prononcée discrètement cette fois-là, allait devenir un des leitmotive de son discours politique.
Matthews ne tarda pas à lorgner du côté de son voisin, le magistrat Daniel Springer, qu’il accusa d’agrandir ses propriétés par la force et par la fraude. Il cessa d’en parler lorsqu’il apprit que Thomas Talbot*, qui régnait en maître sur le district de London, avait certifié les titres prétendument frauduleux de Springer, mais il n’en continua pas moins de harceler le magistrat en l’accusant de mauvaise conduite dans sa vie privée et dans l’exercice de ses fonctions. Il revenait sans relâche, dans une série de lettres, sur l’indolence, l’ivrognerie, la rapacité et la fourberie de Springer ; il s’en prenait aussi au fait qu’il était le père putatif de son compagnon d’infamie, l’arpenteur adjoint Roswell Mount. Une fois, il fit même allusion à la « malheureuse condition » de sa fille aînée (ce à quoi Matthews, qui avait lui-même des filles, devait être particulièrement sensible).
Matthews se mit aussi à se quereller avec les commissaires responsables des propriétés confisquées et leur secrétaire, James Buchanan Macaulay*, au sujet de deux lots qu’ils lui avaient vendus. Dans un cas, ils lui avaient remis un titre de propriété sur un lot différent de celui qu’il prétendait avoir acheté ; dans l’autre cas, ils étaient tout simplement incapables de produire un titre adéquat. Maitland soutint Matthews dans ce deuxième cas, non sans le réprimander pour son insolence envers les commissaires. Il demanda à ceux-ci de rembourser le prix d’achat mais, à son grand regret, ils refusèrent lorsque le solliciteur général Henry John Boulton* les avisa que la loi ne les habilitait pas à le faire. Matthews ajouta donc tout de suite Boulton à la liste de ses ennemis, avec le procureur général John Beverley Robinson*, qui n’avait pas pris au sérieux ses accusations contre Springer. « Un réseau jaloux d’amis, de parents et de personnes liées par des intérêts communs s’étend sur toute la province, disait Matthews à Maitland en 1822, et, dans ce contexte, la moindre de mes paroles est rapportée faussement et le moindre de mes actes est travesti avec une impudence vraiment incroyable. » Ses calomniateurs étaient d’autant plus hardis, écrivait-il, qu’ils savaient que Maitland ne le soutenait pas.
En dénonçant Springer et en parlant des abus d’une oligarchie et de l’usurpation du pouvoir sur le plan local, Matthews trouva une oreille attentive parmi ceux de ses voisins qui se sentaient pareillement lésés. Il se fit le porte-parole de ces mécontents, qui comptaient même les Indiens de l’endroit ; il élargit aussi son auditoire en épousant les intérêts particuliers du nord du comté de Middlesex. Aux élections générales de 1824, Matthews et John Rolph* évincèrent les députés de Middlesex, Mahlon Burwell* et John Bostwick*, qui étaient tous deux des protégés de Talbot. Celui-ci rapporta à Hillier que Matthews avait eu le soutien de « tous les radicaux de la mère patrie et des États yankees ».
Quelques mois plus tard, Talbot dut écrire de nouveau à Hillier. Matthews avait emmené des témoins aux assises tenues dans le district de London en septembre 1824 pour se plaindre de Springer devant le jury d’accusation. La déclaration que les jurés avaient faite après les avoir entendus persuada apparemment le gouvernement qu’une enquête était souhaitable. Talbot conseilla de la confier à trois hommes dignes de foi (qu’il nomma) plutôt qu’à l’ensemble de la magistrature du district, étant donné que la plupart des magistrats allaient « pencher du côté de Matthews ». En outre, il pressa Hillier de ne discuter de sa proposition qu’avec Maitland et Robinson, car il « désir[ait] ne pas être mêlé à ces sales histoires ».
Toutefois, un incident auquel le nom de Matthews est particulièrement lié se produisit le 31 décembre 1825. Pendant la soirée, il se trouvait parmi un groupe de députés réunis pour assister à une représentation théâtrale donnée par une compagnie américaine. En attendant que les acteurs soient prêts, les musiciens jouaient des airs populaires. Ils avaient commencé par God Save the King ! et Rule, Britannia ! mais, bientôt, plusieurs députés réclamèrent une chanson jacobite, Hail, Columbia ! , et Yankee Doodle. Ce jour-là, la chambre d’Assemblée, agitée par le Naturalization Bill de Robinson, avait humilié le gouvernement provincial en adoptant des propositions contraires à sa position, qui était de considérer comme des non-naturalisés les immigrants américains venus après les vagues loyalistes. Un ou deux députés favorables au gouvernement prirent mal que l’on demande de jouer Yankee Doodle. Il y eut un peu de bousculade lorsqu’un réformiste s’en prit à un tory pour lui enlever son chapeau, mais la pièce commença ensuite et le calme revint.
C’était un incident banal dans lequel Matthews joua un rôle mineur. Pourtant, trois mois plus tard, il fut officiellement informé que lord Dalhousie [Ramsay*], successeur de Richmond au poste de gouverneur en chef, avait lu dans les journaux que lui-même et d’autres personnes avaient, « d’une manière bruyante et outrageante, réclamé les airs et chants patriotiques des États-Unis [...] en pressant les gens présents de se découvrir, comme c’est la coutume dans les possessions britanniques lorsqu’on joue l’hymne national God Save the King ». Ayant obtenu « entière confirmation » de ces rumeurs, Dalhousie avait l’intention de rapporter l’incident au commandant en chef de l’armée, mais il souhaitait permettre à Matthews de transmettre, par l’intermédiaire de Maitland, « toute explication susceptible d’atténuer (si possible) ce compte rendu de sa conduite ».
Matthews protesta : de toute évidence, on l’avait condamné sans l’avoir entendu. L’incident n’avait rien eu de « violent » ni d’ « outrageant » ; « ce n’était que divertissements et fredaines ». L’interprétation que ses calomniateurs en avaient faite devait « provenir de petits dépits politiques et d’une grande bassesse, d’une grande malveillance de cœur ». Il admettait cependant que les événements politiques de la journée avaient coloré ceux de la soirée. En faisant suivre cette réponse, Maitland profita de ce que Matthews reconnaissait ce fait pour présenter sa conduite sous les dehors les plus sombres.
En septembre 1826, le Board of Ordnance exigea que Matthews rentre en Angleterre par le premier bateau qui partirait au printemps et, en attendant, qu’il se rende tout de suite à Québec. Cet ordre lui fut transmis de Québec le 8 décembre 1826, soit trois jours après l’ouverture de la nouvelle session législative. La chambre d’Assemblée confia l’affaire à un comité spécial qui recueillit les témoignages de presque toutes les personnes présentes au théâtre. Dans son rapport, le comité souligna la banalité de l’incident, fit valoir que Dalhousie ne pouvait avoir obtenu « entière confirmation » d’une mauvaise conduite inexistante et signala qu’il était inique de condamner Matthews sur la foi des témoignages d’informateurs secrets. En outre, il nota qu’il était contraire aux règles de mettre Matthews en état d’arrestation à Québec pendant la session parlementaire.
La pension de Matthews avait été suspendue, et on raconte communément qu’il se rendit en Angleterre afin de la recouvrer et qu’il y mourut. En fait, elle lui fut restituée sans qu’il aille là-bas. Réélu député avec Rolph en 1828 (après avoir d’abord refusé de se présenter en raison de sa mauvaise santé), il joua comme d’habitude un rôle de premier plan durant la session de 1829, mais manqua apparemment celle de 1830. Quand sa femme mourut en avril 1830, on disait qu’il était en Angleterre ; il y resta peut-être jusqu’à sa mort.
Comme d’autres Britanniques arrivés dans le Haut-Canada après la guerre, Matthews éprouvait envers le gouvernement provincial une hostilité qui provenait en partie de ce que ses rêves de fortune avaient été déçus et de ce qu’il constatait dans la colonie la présence d’une élite qui ne lui inspirait qu’un mépris teinté de jalousie. Sa qualité de dissident religieux joua aussi, comme dans le cas de Charles Fothergill* (il était unitarien et Fothergill, quaker), car elle alimenta leur aversion pour l’étroite orthodoxie anglicane de l’establishment provincial. Matthews, a-t-on dit, était un égoïste qui s’illusionnait sur lui-même et qui se laissait souvent emporter par sa rhétorique boursouflée ; c’était un simulateur aux mœurs dissipées, un défenseur d’idéaux sociaux empreints de paternalisme, démodés, contradictoires et désespérément utopiques. Or, il y a des motifs de croire que cette description le sous-estime. Rien n’indique qu’il ait mené une existence plus déréglée que les gens de son époque et de son rang. Ses problèmes de santé, qu’il attribuait en partie à une chute de chariot survenue en 1820, étaient assez réels pour inquiéter ses amis. Et surtout, son intelligence était manifestement trop grande pour qu’on lui dénie toute lucidité politique.
En fait, la personnalité de Matthews était plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, et sa rhétorique paternaliste exprimait peut-être à la fois son adhésion sincère à l’idéal et l’ironie que lui inspirait une société incapable d’atteindre ce niveau. La franchise avec laquelle il affichait ses positions unitariennes, qui convenait si mal à sa situation de vieux militaire et qui avait poussé un de ses collègues députés à le surnommer « le révérend John Matthews », explique partiellement la complexité de son caractère. Son goût de l’ironie subversive y est aussi pour quelque chose. Quand Maitland écarta ses premières accusations contre Springer, Matthews annonça solennellement que désormais il ne dirait rien des abus qui lui seraient signalés, « peu importe la conviction avec laquelle [il] sentira[it] de [son] devoir de les exposer à Son Excellence ». Un jour où il était invité à dîner chez Maitland en sa qualité de député, il refusa en disant sèchement que sa présence ne pourrait faire plaisir à personne ; par contre, il fit cérémonieusement parvenir à lady Sarah Maitland (fille de son ancien protecteur) un mot dans lequel il disait regretter les circonstances qui l’empêchaient de « présenter encore une fois [ses] humbles et très respectueux hommages à Madame ». Même dans la lettre qui était censée le disculper de l’accusation de s’être conduit de manière scandaleuse au théâtre, il disait que les propositions adoptées ce jour-là sur la question des non-naturalisés signifiaient que « le roi comptait parmi ses bons et loyaux sujets des milliers de personnes de plus que nombre de ses amis n’étaient prêts à lui en concéder ». Ce fut Matthews qui, en 1828, présenta à l’Assemblée la pétition satirique de Timothy Street contre la fonderie de Marmora, et il est fort possible qu’il ait aidé à l’écrire.
Les incursions occasionnelles que Matthews fit à la Cour des requêtes locale pour dénoncer les juges qui présidaient ce tribunal suggèrent que ses instincts subversifs s’alliaient à un sens du théâtre qui ne manquait pas de faire effet sur le plan politique. Il est probable que cette propension au spectacle (un peu compulsive peut-être, mais pas totalement débridée) dominait sa personnalité, et que sa grandiloquence « falstaffienne », son émotivité shandéiste étaient, du moins en partie, des poses inspirées des modèles culturels de son temps. Bref, Matthews, qui avait une bibliothèque remarquable, était plus intelligent qu’il ne voulait bien le montrer, et sa bouffonnerie était très probablement une forme d’excentricité authentiquement anglaise face à une société à l’égard de laquelle il éprouvait un sentiment d’aliénation.
Sous ce masque apparaît en outre une détermination courageuse. Infatigablement, chaque fois qu’il écrivait à Maitland, il vilipendait ceux de ses ennemis qui avaient la confiance du lieutenant-gouverneur. « Le capitaine Matthews est violent, faisait observer William Lyon Mackenzie* en 1828, mais c’est un soutien précieux pour les gens de l’Assemblée. » « En politique, commentait un observateur neutre, Matthews est du type viril, car il a toujours agi comme il a dit qu’il le ferait. » Quant à Maitland et Talbot, ils n’étaient sûrement pas portés à le considérer comme un clown. En subvertissant l’ordre établi dans le comté de Middlesex, il s’était révélé l’un des hommes les plus dangereux de la colonie.
Voici maintenant le contexte particulier dans lequel il faut évaluer la façon dont John Matthews fut traité en 1826. Il est inconcevable que l’incident du théâtre soit parvenu à l’attention de Dalhousie sans la connivence d’hommes proches de Maitland. On connaît deux informateurs qui parlèrent contre Matthews : John Beikie, greffier du Conseil exécutif, et Charles Richardson, étudiant en droit dans le cabinet de Robinson, qui allait bientôt prendre part à la destruction de l’atelier d’imprimerie de Mackenzie. Beikie, de son propre aveu, était entré au théâtre au milieu de l’incident, et son récit était tout à fait superficiel et décousu. Celui de Richardson montrait un parti pris contre Matthews, mais n’arrivait pas à masquer la banalité de l’incident. Les rapports qui subsistent de ces deux hommes furent écrits à la demande d’une tierce personne. Bien qu’il soit impossible de déterminer d’où vint l’initiative, Maitland profita de l’occasion du mieux qu’il put en ajoutant un commentaire sournois à la lettre de justification de Matthews et en y joignant les remarques tendancieuses de Beikie et de Richardson. Comme les autres vengeances dirigées à l’époque par le gouvernement et ses partisans contre les grands critiques du régime, ce coup se retourna contre ses auteurs en éveillant la méfiance de l’opinion publique. Typique de Maitland et de ses conseillers, la mesquinerie de l’attaque laisse aussi entrevoir à quel point Matthews leur semblait dangereux.
La principale source pour l’étude de la carrière de John Matthews est constituée des documents conservés aux APC, RG 5, A1, 45–87 (le vol. 81 lui est entièrement consacré) ; les fonds RG 1, E3, 48a : 24–54 et RG 7, G16C, sont aussi utiles. L’appendice P du Journal (1826–1827) de la chambre d’Assemblée du Haut-Canada s’avère le principal document qui relate l’« affaire ». On peut retracer la carrière politique de Matthews à travers le Journal de la chambre d’Assemblée, 1825–1829, le Colonial Advocate, 1824–1829, le Weekly Register (York [Toronto]), 1823–1824, et la Gore Gazette, and Ancaster, Hamilton, Dundas and Flamborough Advertiser (Ancaster, Ontario), avril–juin 1828.
Parmi les études à consulter, celle de Patterson, « Studies in elections in U.C. », 47–86, dépeint la personnalité de Matthew et souligne l’importance du personnage dans la vie politique du Middlesex ; J. C. Dent, dans The story of the Upper Canadian rebellion ; largely derived from original sources and documents (2 vol., Toronto, 1885), 1 : 144–150, saisit le mieux l’atmosphère de l’« affaire ». Signalons d’autres études utiles : Craig, Upper Canada, 119–120 ; et Aileen Dunham, Political unrest in Upper Canada, 1815–1836 (Londres, 1927 ; réimpr., Toronto, 1963), 108–109. [p. r.]
Paul Romney, « MATTHEWS, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/matthews_john_6F.html.
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Auteur de l'article: | Paul Romney |
Titre de l'article: | MATTHEWS, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |