LLOYD, JESSE, homme d’affaires, fonctionnaire, rebelle et fermier, né le 11 janvier 1786 dans le canton de Springfield, Pennsylvanie, troisième fils de William Lloyd et de Susannah Heacock ; en 1813, dit-on, il épousa Phoebe Crossley, et ils eurent au moins dix enfants ; décédé le 27 septembre 1838 dans le comté de Tippecanoe, Indiana.

D’après certains indices, William Lloyd et sa famille vinrent à Niagara (près de Youngstown, New York) en 1788, mais retournèrent bientôt aux États-Unis. Probablement immigrèrent-ils dans le Haut-Canada à peu près au même moment que Jessé, le fils cadet, c’est-à-dire au début de 1808. Certains membres de la famille s’établirent dans le canton de King, d’autres dans celui de Whitchurch, où Jessé loua un lot qui faisait partie des réserves du clergé. Issu d’une longue lignée de quakers, il se joignit en 1814 à la congrégation Yonge Street Meeting de la Société des amis, mais sans y jouer un rôle actif. En louant une terre des réserves du clergé, il enfreignait l’une des règles de la congrégation, qui s’opposait aux Églises soutenues par l’État. En revanche, justement à cause de ses convictions de quaker, il refusa qu’on réquisitionne son attelage de chevaux pendant la guerre de 1812.

En 1824, Lloyd acheta dans le canton de Tecumseth un lot sur lequel il aurait construit une scierie. Quatre ans plus tard, il s’intéressait plutôt au canton de King, où son père avait une scierie et servait à titre de fonctionnaire. Dans les cinq années suivantes, il loua, acheta ou tenta d’acheter plusieurs lots, surtout des réserves du clergé situées dans le nord-ouest du canton. Sur une superficie de 60 acres choisie dans l’un de ses lots, il construisit des moulins, qu’il ne tarda pas à vendre, et délimita de nombreux lots de ville qui trouvèrent aussi preneur. Ainsi naquit le village de Lloydtown qui, au milieu des années 1830, était l’un des plus gros et des plus prospères du nord d’York (Toronto). Lloyd lui-même construisit non loin de là une grande maison de brique. Cependant, sa réussite n’alla pas sans inconvénients. En 1836, flairant une bonne affaire, il avait disputé un lot des réserves du clergé à une veuve « pauvre », mais le Conseil exécutif trancha le litige en sa défaveur, et il perdit de l’argent. Cinq ans plus tôt, on l’avait radié de la congrégation de la rue Yonge pour cause d’absentéisme. Apparemment, il n’eut dès lors plus de liens avec les quakers, bien que sa femme et lui aient continué à porter le sobre costume de la secte.

La politique absorbait de plus en plus Lloyd. Sauf pendant un an, il occupa de 1829 à 1836 un poste électif dans le canton de King, soit celui d’inspecteur des grands chemins, de gardien de fourrière ou de commissaire de canton. Il se lança aussi dans la politique provinciale. En 1834, il fut élu à un congrès qui devait choisir des candidats réformistes en prévision des élections générales. On ignore quand et où précisément il avait fait la connaissance de William Lyon Mackenzie* et était devenu l’un de ses partisans, mais cela datait probablement des campagnes électorales qu’avait menées celui-ci au début des années 1830. Dès 1831, Mackenzie connaissait bien Lloydtown et, vers 1835, Lloyd, l’un des grands personnages de la région, était sans contredit un ami intime et un allié du leader réformiste.

Déçus des agissements du lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head*, les réformistes entreprirent en 1837, sous l’impulsion du groupe de Toronto, de former des cellules politiques pour promouvoir leur cause. Lloyd se montra actif dans la cellule de son canton et aida à en fonder d’autres dans les cantons voisins. Apparemment, dès que Mackenzie conclut à la nécessité d’une rébellion, Lloyd fut mêlé aux préparatifs. En octobre 1837, quand John Rolph* eut besoin de s’assurer que les réformistes bas-canadiens étaient prêts à se soulever, on dépêcha Lloyd à Montréal pour en obtenir la preuve. Toutefois, la lettre de Thomas Storrow Brown* qu’il rapporta ne contenait pas la déclaration voulue, mais Mackenzie affirma qu’en lisant entre les lignes on y trouvait un message de rébellion. Comme Lloyd ne le contredit pas, on peut supposer qu’il était de mèche avec Mackenzie, dont le plan consistait à pousser ses partisans à la révolte en leur donnant des renseignements erronés.

À la mi-novembre, Mackenzie rencontra plusieurs personnages influents du district de Home afin de les convaincre que le projet de rébellion comptait des sympathisants et qu’il suffisait d’une démonstration de ferme résolution pour renverser le gouvernement. Lloyd était présent et, vraisemblablement, appuya ses dires. Il participa aussi au recrutement d’un fort contingent dans la région de Lloydtown, bientôt connue comme un foyer de rebelles. On dit que ce groupe, dont il était l’un des dirigeants, était le mieux entraîné et le plus résolu de ceux qui se rassemblèrent à la taverne Montgomery, au nord de Toronto.

Après la défaite du 7 décembre, Jesse Lloyd s’enfuit aux États-Unis. Un avis du gouvernement qui offrait £500 en récompense de sa capture le décrivait ainsi : « [il a] de longs cheveux raides, assez clairsemés et grisonnants – marche très courbé, n’a presque plus de dents – l’une d’elles, remarquablement proéminente, se voit bien quand il parle, a les épaules très voûtées et parle avec un fort accent yankee, mesure environ cinq pieds dix ou onze pouces ; porte généralement un costume beige ou brun en étoffe du pays ». Le nom de Lloyd était si réputé que Mackenzie l’inscrivit sur la liste des membres du « gouvernement provisoire » qu’il dressa à l’île Navy plus tard en décembre. Cependant, Lloyd ne participa guère, sinon pas du tout, aux incidents frontaliers. En 1838, il alla s’installer dans l’Indiana, où il mourut d’une fièvre à l’automne. Malgré la réussite de Lloydtown, sa succession à lui était modeste : elle comprenait surtout du bétail, et la ferme n’était que partiellement payée. Comme il avait été un rebelle fugitif, sa veuve dut demander l’autorisation de verser le solde dû afin de pouvoir la conserver.

Ronald J. Stagg

L’auteur tient à remercier R. Douglas Lloyd qui lui a fourni des renseignements généalogiques additionnels.

La source d’information la plus évidente sur la vie de Jesse Lloyd, The bridging of three centuries : the life and times of Pheobe Crossley Lloyd – the girl bride of a rebel of 1837 ([Schomberg, Ontario, 1951] ; copie aux AO), une brochure publiée à partir de documents recueillis par Jesse M. Walton et E. Gladstone Lloyd, est peut-être aussi la plus pauvre, car elle est remplie d’erreurs. Les autres études utilisables, qui s’avèrent meilleures mais contiennent également des contradictions, sont : John Barnett, « Silas Fletcher, instigator of the Upper Canadian rebellion », OH, 41 (1949) : 7–35 ; M. E. Garbutt, « King Township, York County, 1800–1867 : a historical sketch », OH, 52 (1960) : 85–97 ; une coupure de presse non datée, tirée probablement du Banner (Aurora, Ontario), intitulée « The village of Lloydtown [...] », qu’on trouve dans le York County hist. scrapbook (AO, MU 2601, no 45, 1 : 131–133) ; et les notes sur Lloyd dans la C. R. Dent coll. (AO, MU 837).

Pour reconstituer la plus grande partie de la vie de Lloyd, il faut consulter des fragments de diverses collections de documents. Son testament, AO, RG 22, sér. 155, contient un inventaire détaillé de ses biens. Ses transactions foncières se trouvent dans APC, RG 1, L1, 37 : 514 ; L3, 148 : Canada Company : 17a ; 273A : K16/45, K17/18 ; 305 : L leases, 1799–1819/18 ; et 305A : L leases, 1801–1836/111. D’autres registres des terres sont disponibles aux AO, RG 1, C-IV, King Township ; Simcoe Land Registry Office (Barrie, Ontario), Abstract index to deeds, Tecumseth Township (mfm aux AO) ; et York North Land Registry Office (Newmarket, Ontario), Abstract index to deeds, King Township (mfm aux AO). Pour la carrière de Lloyd comme fonctionnaire municipal, voir AO, RG 21, York County, King Township, municipal minute-books, 1809–1844 (mfm). Les renseignements touchant ses liens avec les quakers proviennent de la Pickering College Library (Newmarket), Friends Coll., B-2-83–84, C-3-97, C-3-100. William Lyon Mackenzie parla de Lloyd et de Lloydtown dans le Colonial Advocate du 11 août 1831.

On peut suivre Lloyd dans ses activités réformistes dans la Dent coll. aux AO et dans le Constitution, 9 août 1837. Son rôle en 1837 est résumé dans Rebellion of 1837 (Read et Stagg). On trouve une description physique de Lloyd dans l’Upper Canada Herald, 12 déc. 1837. Les difficultés occasionnées par le partage de ses biens sont discutées dans APC, RG 1, L3, 296 : L22/21. Des informations sur des membres de sa famille apparaissent dans le testament de William Lloyd, AO, RG 22, sér. 305.  [r. j. s.]

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Ronald J. Stagg, « LLOYD, JESSE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lloyd_jesse_7F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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