LIPSETT, LOUIS JAMES, officier, né le 14 juin 1874 à Bundoran (république d’Irlande), fils cadet de Richard Lipsett et d’une prénommée Etty ; décédé le 14 octobre 1918 près de Saulzoir, France.

Louis James Lipsett grandit à Merthyr Tydfil, au pays de Galles, patrie de la famille de sa mère. Quand cette dernière devint veuve en 1887, elle partit avec lui pour Bedford, en Angleterre, et l’inscrivit à la grammar school de l’endroit, où il put faire de bonnes études peu coûteuses. Un de ses maîtres, James Edward Morris, a rappelé qu’il avait des dons littéraires et de la facilité à s’exprimer, mais qu’il « était nul en orthographe ». Malgré ce handicap, Lipsett était déterminé à faire une carrière militaire. À force d’étudier, il réussit l’examen d’admission de l’armée et, s’étant classé trente-cinquième sur 120 cadets, put entrer en 1892 au Royal Military College de Sandhurst, en Angleterre. Dès lors, dit Morris, « il porta toujours sur lui un dictionnaire de poche ».

Le 10 octobre 1894, après avoir reçu son diplôme à Sandhurst, Lipsett obtint une commission de sous-lieutenant dans le Royal Irish Regiment. Promu lieutenant en juillet 1897, pendant qu’il était en Inde avec le deuxième bataillon de son régiment, il fit du service actif au cours de la campagne de 1897 sur la frontière nord-ouest de l’Inde, en participant aux opérations dans la chaîne de montagnes Samana et la vallée de la Kurram, puis au cours de la délivrance de Tirah (Pakistan) en 1897–1898. Il faillit mourir du choléra. Ses collègues officiers se souvenaient de lui comme d’un soldat sérieux, frugal au point de ménager sa solde en vivant de la modeste pension que sa mère pouvait lui verser, et pourtant « aussi gai, simple et aimable qu’au temps de ses jeunes années à l’école ».

En février 1901, Lipsett fut promu capitaine. Il étudia le français et l’allemand et se qualifia comme interprète de deuxième classe en français. En 1903, il entra au Staff College de Camberley, en Angleterre, et se classa deuxième parmi les étudiants qui provenaient de l’infanterie. On trouvait parmi ses instructeurs certains des généraux et officiers d’état-major qui allaient se distinguer le plus au cours de la Première Guerre mondiale. Il se fit remarquer en raison de l’enthousiasme avec lequel il dirigeait les parties de chasse du collège et quitta l’établissement avec un bon dossier. En qualité d’officier d’état-major, il fut d’abord affecté dans le sud de l’Afrique, au sein de l’armée britannique, du mois de mars 1905 à la fin de février 1907. Puis il rentra en Angleterre en tant qu’aide de camp du major-général Theodore Edward Stephenson, son commandant dans le sud de l’Afrique, qui prit la tête de la 2nd Division à Aldershot. Ensuite, durant trois ans, il servit dans son ancien régiment.

Le Canada avait besoin d’officiers d’état-major britanniques pour mettre en œuvre la politique impériale de normalisation de l’instruction militaire adoptée en 1907 et 1909. Le 27 juillet 1911, Lipsett assuma la fonction d’officier d’état-major général de l’Ouest canadien avec le grade local de major. Selon le lieutenant-colonel Archibald Cameron Macdonell*, du Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians), un des officiers canadiens qui le connut le mieux, il avait des qualités telles que, « presque du jour au lendemain, [il] contribua grandement à l’efficacité de la milice de l’Ouest, depuis Port Arthur [Thunder Bay, Ontario] jusqu’à Victoria ». Son tact, son sens de l’humour et sa passion pour le sport le rendaient populaire. Contrairement à certains officiers britanniques, notait un biographe, il semblait « résolu à aimer le pays et les gens ». L’esprit d’indépendance des habitants de l’Ouest, leur débrouillardise, leur capacité d’improvisation lui plurent d’emblée. Au fil d’une série de cours et de stages, il forma, influença et inspira bon nombre des officiers qui allaient commander les brigades et bataillons du Corps expéditionnaire canadien, dont Arthur William Currie*, Robert Gilmour Edwards Leckie et William Frederick Hart-McHarg.

En 1914, lorsque la guerre éclata, Lipsett eut d’abord pour mission d’organiser la défense de la Colombie-Britannique. On craignait que l’East Asian Cruiser Squadron, escadre allemande qui croisait dans les eaux de l’Asie de l’Est, présente un danger pour cette province. Il calma les appréhensions, exagéra l’utilité des deux sous-marins de construction américaine que le premier ministre de la province, sir Richard McBride, avait achetés à Seattle, dans l’État de Washington, et rendit superflu le maintien d’une force nombreuse sous les drapeaux. De tous les officiers britanniques en poste au Canada, il fut le seul à commander un bataillon du Corps expéditionnaire canadien, le 8th Battalion, dont la majorité des effectifs provenait du 90th Regiment (Winnipeg Rifles). D’après ses officiers, c’était un véritable tyran, car il ne tolérait aucun relâchement, mais ses hommes, dit-on, l’adoraient. Selon un contemporain, il était « toujours d’un abord facile et charmant, et pourtant quelque chose en lui inspirait le respect, et personne n’abusait jamais de sa gentillesse, sauf les quelques vieux soldats bardés d’insignes de guerre qui, avec leur mystérieuse intuition, parvenaient immanquablement à l’attendrir ».

Grâce à Lipsett, le 8th Battalion devint l’un des meilleurs bataillons de la 2e brigade d’infanterie de l’Ouest canadien, qui était commandée par Currie. À la deuxième bataille d’Ypres (Ieper, Belgique), son bataillon servit de point d’appui à la défense canadienne contre l’assaut lancé par les Allemands le 24 avril 1915 ; Lipsett fut cité parce qu’il avait ordonné à ses hommes d’uriner sur leurs mouchoirs et leurs bandoulières de coton pour s’assurer une protection minimale contre le chlore utilisé par les Allemands. On le laissa au commandement de la brigade pendant que Currie, retourné à l’amère, cherchait vainement des renforts. Après la bataille, il reconstitua son unité. En septembre, lorsque Currie fut promu commandant de la 1re division canadienne, Lipsett lui succéda à la tête de la 2e brigade. En novembre, il planifia et surveilla le premier raid d’envergure contre les tranchées allemandes.

Lipsett obtint sa principale promotion en juin 1916, après la mort du major-général Malcolm Smith Mercer, commandant de la 3e division canadienne, survenue au début de l’assaut lancé par les Allemands au mont Sorrel, en Belgique. Au cours de la dernière contre-attaque des Canadiens, qui fut couronnée de succès, la brigade de Lipsett fut notablement bien dirigée. À la fin du combat, bien que le ministre de la Milice et de la Défense, sir Samuel Hughes*, eût demandé que la 3e division soit confiée à son fils, Garnet Burk*, le commandant du Corps expéditionnaire canadien et lieutenant-général, sir Julian Hedworth George Byng*, en donna le commandement à Lipsett et le promut au grade de major-général. Formée d’éléments disparates et durement éprouvée au cours de son premier engagement sérieux, la 3e division aurait facilement pu devenir un problème. Or, Lipsett en fit l’une des deux meilleures divisions du Corps expéditionnaire canadien. Elle prit part à la bataille de la Somme, en France, en 1916, connut le succès sur la crête de Vimy le 9 avril 1917, livra en octobre 1917 à Passchendaele (Passendale, Belgique), le plus dur combat qu’eut à livrer une division canadienne et, grâce à un plan astucieux, participa à la victoire d’Amiens, en France, le 8 août 1918.

Les généraux avaient peu d’influence personnelle au cours de la Première Guerre, et pourtant, beaucoup de simples soldats gardèrent un souvenir vivace de Lipsett. William Richard Bird*, pourtant peu déférent envers ses supérieurs, n’oublia jamais que Lipsett était apparu à ses côtés à un poste de guet isolé, sur la ligne de front. Ernest Davis a évoqué un déraillement survenu à l’arrière des lignes. La voiture d’état-major de Lipsett fut la première à s’arrêter : « Ce général est descendu de sa voiture, a formé une équipe de secours en rassemblant tous ceux [qui se trouvaient là], et tout le monde, y compris le général, s’est mis à pousser pour remettre le wagon sur les rails. Je me souviens aussi que son chauffeur n’avait pas du tout l’air de vouloir faire sa part, parce qu’il craignait de se salir, mais qu’il a dû le faire [...] Je n’ai vu ce général qu’une fois, mais j’ai tout de suite compris qu’il était de ceux en qui l’on pouvait avoir confiance il n’était pas du genre à garder ses distances et à regarder ses hommes de haut. »

Bien qu’un commandant divisionnaire n’ait guère pu obtenir de faveurs pour ses hommes, Lipsett obtenait pour les siens le meilleur traitement possible. Ce n’est pas par hasard que le groupe canadien de musiciens le plus connu durant la guerre, les Dumbells, venait de sa division et en portait l’insigne. En retour, ses hommes s’entraînaient vigoureusement ; ils furent d’ailleurs les premiers à adopter les innovations tactiques et techniques grâce auxquelles les coûteux échecs de la Somme en 1916 firent place aux coûteuses victoires d’Amiens et de Drocourt-Quéant en 1918.

L’attaque lancée le 27 et le 28 août 1918 en vue de dégager les abords de la ligne de Drocourt-Quéant fut le dernier combat que Lipsett livra avec la 3e division. Deuxième en grade parmi les commandants divisionnaires du Corps expéditionnaire canadien, après le major-général David Watson*, il était aussi le seul officier britannique. Currie, alors commandant du corps, tenait à ce que tous les postes élevés soient occupés par des Canadiens. Il fut donc heureux que le commandant en chef, sir Douglas Haig, confie la 4e division d’infanterie britannique à Lipsett. À contrecœur, Lipsett prit la direction de cette petite formation le 14 septembre 1918. Un mois plus tard, le 14 octobre, tandis qu’il rampait hors du bois de Vordon, près de Saulzoir, pour avoir un meilleur aperçu du terrain que ses hommes devraient traverser le lendemain, il reçut en pleine figure une balle de mitrailleuse allemande. Il parvint à regagner le bois, où il mourut. On l’enterra le lendemain dans un cimetière militaire à Quéant. La 3e division canadienne organisa les funérailles. Les musiciens et le piquet de tir venaient de l’ancien bataillon de Lipsett ; les Canadiens, Currie en tête, assistèrent nombreux à la cérémonie.

Louis James Lipsett était « vraisemblablement le meilleur » des commandants divisionnaires du Corps expéditionnaire canadien, selon l’historien Daniel George Dancocks, et probablement le plus populaire auprès des hommes de troupe. Un de ses contemporains, auteur d’une biographie sur lui, a dit qu’il était « essentiellement un homme d’action, méthodique, à l’esprit clair ». C’était un tacticien habile et réfléchi. La conscience professionnelle dont il avait fait preuve avant les hostilités se révéla un atout sur la ligne de feu, depuis Ypres jusqu’à Amiens. Ses hommes étaient fiers de voir qu’il s’exposait aux mêmes périls qu’eux alors que d’autres généraux semblaient se protéger. Comme le notait son biographe, Lipsett comprenait la nécessité « de manifester en tout temps et en tout lieu de la bravoure et de l’audace afin de donner l’exemple à ceux [qui étaient] sous ses ordres ; en fait, conduire, et non suivre, était son idéal, et il le respecta jusqu’à la fin ».

Desmond Morton

AN, RG 24, 2513, dossier HQC 1522, 1re partie.— Arch. privées, Desmond Morton (Mississauga, Ontario), Canadian Expeditionary Force research files, Ernest Davis memoirs (photocopies), 33.— PRO, WO 76/205 : f.25 ; WO 95/148.— W. R. Bird, Ghosts have warm hands (Toronto, 1968).— D. G. Dancocks, Spearhead to victory : Canada and the Great War (Edmonton, 1987) ; Welcome to Flanders fields ; the first Canadian battle of the Great War : Ypres, 1915 (Toronto, 1988).— A. F. Duguid, Histoire officielle de l’armée canadienne dans la Grande Guerre, 1914–1919 (un seul volume en deux parties [1914–septembre 1915] a été publié, Ottawa, 1938).— H. G. Hart, The new annual army list [...] (London), 1903–11.— A. M. J. Hyatt, General Sir Arthur Currie : a military biography (Toronto, 1987).— « Major-General Louis James Lipsett, C.B., C.M.G. », Rev. canadienne de défense (Ottawa), 6 (1928–1929) : 293–300, et portrait de Lipsett en regard de la p. 287.— Desmond Morton, A peculiar kind of politics : Canada’s overseas ministry in the First World War (Toronto, 1982).— Nicholson, CEC.Ousel (Bedford, Angleterre), 27 nov. 1918.

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Desmond Morton, « LIPSETT, LOUIS JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lipsett_louis_james_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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