Titre original :  MP Samuel William Jacobs · South Asian Canadian Heritage

Provenance : Lien

Jacobs, Samuel William, avocat, auteur, philanthrope et homme politique, né le 6 mai 1871 à Lancaster (South Glengarry, Ontario), fils de William Jacobs, marchand de chevaux, et de Hannah Aronson ; le 23 avril 1917, il épousa à Baltimore, Maryland, Amy Stein, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 21 août 1938 à Montréal et inhumé le 23 à la synagogue Shaar Hashomayim, dans la même ville.

Samuel William Jacobs descend d’une famille juive, émigrée de Russie au début des années 1860. Installée en Ontario, cette dernière s’établit à Montréal en 1882. Jacobs entreprend ses études secondaires à la High School of Montreal en 1886, puis fréquente la faculté de droit de la McGill University de 1890 à 1893, où il obtient une licence en droit civil. L’année suivante, il s’inscrit en droit à l’université Laval à Montréal dans le but d’améliorer sa connaissance du français ; l’établissement lui délivrera un baccalauréat en droit en 1895. Jacobs devient membre du Barreau de la province de Québec en septembre 1894 et conseiller du roi en 1908. Tout au long de sa carrière d’avocat, qu’il mènera à Montréal, il s’associera à plusieurs confrères, dont Léon Garneau, Alexander Rives Hall, Gui-Casimir Papineau-Couture et Louis Fitch. À la fin de sa vie professionnelle, ses partenaires seront Lazarus Phillips*, Lionel A. Sperber, Louis Mortimer Bloomfield et Hyman Carl Goldenberg. Jacobs publie, en 1903, une édition annotée du code de procédure civile de la province de Québec avec son associé Garneau. Son œuvre marquante demeure cependant une monographie intitulée The railway law of Canada, parue en 1909 à Montréal. Cet ouvrage volumineux présente un droit en plein développement au tournant du siècle.

La pratique professionnelle de Jacobs est diversifiée. Elle couvre à la fois le droit civil, le droit commercial, le droit public et le droit criminel. À titre d’un des premiers avocats issus de la communauté juive, Jacobs est fréquemment appelé à représenter ses coreligionnaires. Durant sa carrière, il prend part à des procès célèbres, où il défend notamment les droits des minorités. Ses confrères l’éliront trésorier du barreau de Montréal pour l’année 1916–1917.

Au début du xxe siècle, l’accroissement de la population d’origine juive pose le problème de l’intégration des enfants de cette communauté au système scolaire confessionnel de la province de Québec. En effet, ce système divisé en deux réseaux, l’un catholique, l’autre protestant, ne facilite guère l’insertion des Juifs. La difficulté, latente, éclate au grand jour lorsque le Bureau des commissaires des écoles protestantes de la cité de Montréal refuse une bourse d’études à Jacob Pinsler dont le père, de religion juive, n’est pas propriétaire foncier et qui, en conséquence, ne verse pas de taxes scolaires. Chargé de l’affaire, Jacobs intente alors un recours afin de forcer la commission scolaire à attribuer la bourse au jeune Pinsler. Le pourvoi est rejeté en 1903 par la Cour supérieure de la province de Québec. Amédée Robitaille, député libéral et secrétaire provincial, propose une loi, sanctionnée cette année-là, qui a pour effet d’assurer aux élèves de confession juive les mêmes droits et traitements que ceux offerts aux protestants. Loin de connaître ainsi son dénouement, la question des écoles juives se prolongera de nombreuses années.

Jacobs est aussi lié à l’affaire du notaire Jacques-Édouard Plamondon*. Celui-ci a prononcé, à Québec, en 1910, une conférence à caractère antisémite, diffusée ensuite sous forme d’une brochure par l’imprimeur René Leduc. La communauté juive prend la chose au sérieux. Louis Lazarovitz, président de la congrégation Baïs Israël, et Benjamin Ortenberg, commerçant, intentent un recours en dommages-intérêts pour libelle diffamatoire contre le conférencier et l’imprimeur. Jacobs, l’un des trois avocats montréalais à défendre Lazarovitz, est maître d’œuvre du dossier. Il veille même à trouver le financement du procès auprès de la communauté juive montréalaise. En mai 1913, au terme de l’audition, il prononce sa plaidoirie. D’entrée de jeu, il soutient que la cause n’est pas une simple opposition d’opinions entre un catholique et un Juif : elle est une affaire de droit et, pour cette raison, elle doit être résolue sur le terrain du droit. Jacobs réfute les propos tenus par Plamondon et met en doute la crédibilité des témoins de la défense. Il ne manque pas de rappeler que, dès 1832, la province du Bas-Canada reconnaissait aux Juifs des droits identiques à ceux des autres citoyens, et ce, pour la première fois dans tout l’Empire britannique. Il qualifie cette loi de Grande Charte des droits des Juifs dans le pays. Les demandeurs sont déboutés en première instance, mais obtiennent gain de cause en appel en décembre 1914.

Jacobs représente également Annie Langstaff [Macdonald*], première femme diplômée en droit au Québec, dans sa bataille pour devenir membre du barreau. Sténographe judiciaire rattachée au cabinet de Jacobs, Langstaff termine ses études de droit à la McGill University en 1914. Aussitôt, elle veut, à l’instar de ses confrères, être soumise aux examens de l’ordre professionnel. Le bureau des examinateurs du barreau refuse son admission. Les tribunaux civils sont alors saisis de la cause. Jacobs représente Annie Langstaff et, en janvier 1915, demande à la Cour supérieure de forcer le barreau à l’admettre aux examens. Débouté en première instance, l’avocat porte l’affaire en appel, mais ne réussit pas davantage à convaincre la majorité de la cour qui, en novembre, rejette le pourvoi. En février 1916, Lucien Cannon, député à l’Assemblée législative, prend l’initiative de soumettre un projet de loi afin de modifier la loi sur le barreau pour permettre l’admission des femmes à l’ordre professionnel. Le projet est étudié par un comité de l’assemblée qui entend des témoins. Jacobs s’y présente et défend avec conviction la cause des femmes. Le projet de loi ne recueille pas une majorité de voix.

En marge de sa pratique du droit, Jacobs participe activement à la vie de la communauté juive, tant montréalaise que canadienne. Conscient de l’importance de créer plus de cohésion au sein de ce groupe et de contrer l’antisémitisme, il a fondé, en 1897, avec l’homme d’affaires Lyon Cohen, un bihebdomadaire montréalais intitulé Jewish Times. Tout au long de son existence, il est présent dans de multiples organismes philanthropiques. Dans le but de faciliter l’établissement des immigrants juifs au Canada, il concourt à l’organisation de la Jewish Immigrant Aid Society of Canada, dont il sera président honoraire de 1920 à 1938. Il préside le Baron de Hirsch Institute and Hebrew Benevolent Society of Montreal de 1912 à 1914, et le Congrès juif canadien de 1934 à 1938. Grâce aux fonctions qu’il exerce dans ces associations, il noue des relations tant au Canada qu’à l’étranger. Avec la montée de l’antisémitisme, Jacobs se fait un devoir de manifester son indignation lorsqu’il est témoin de comportements répréhensibles à l’égard des Juifs, notamment à la suite de la parution d’articles à caractère antisémite dans des journaux.

Leader bien en vue de la communauté juive, Jacobs exprime également les revendications de son groupe auprès du gouvernement de la province de Québec. En 1904, il a obtenu l’intervention du député libéral Lomer Gouin*, pour que le projet de loi sur les licences de mariage soit amendé afin de faciliter les mariages juifs. Dans le projet de loi adopté en 1907 sur l’observance du dimanche comme jour de repos, une dérogation est accordée aux Juifs qui respectent le sabbat. En 1909, dans le dossier des écoles juives, Jacobs défend une meilleure représentation des Juifs dans le système scolaire.

Candidat libéral à l’élection fédérale de décembre 1917, Jacobs est élu député de la circonscription montréalaise de George-Étienne Cartier, qui comprend une forte population d’origine juive. Réélu à cinq reprises, il représentera ses électeurs jusqu’à sa mort. Il est l’un des premiers Juifs à siéger à la Chambre des communes, où il préside le comité des comptes publics de 1926 à 1930. Ses talents d’orateur sont reconnus. Doté d’un sens de l’humour peu commun, il est surnommé le Mark Twain de la Chambre. Malgré sa popularité, il n’accède toutefois pas au cabinet, ce qui n’est pas sans mécontenter la communauté juive. En dépit de son ancienneté, il n’est pas invité à se joindre à la délégation qui se rend à Londres pour assister au couronnement du roi George VI en 1937. Jacobs, la Gazette et la communauté juive de Montréal voient dans cette exclusion une preuve d’antisémitisme.

Au cours de sa carrière politique, Jacobs prend une part active aux travaux parlementaires. Il intervient souvent à la Chambre et participe aux comités. Peu après sa première élection, même s’il siégeait à titre de député de l’opposition, il a présenté un projet de loi sur la faillite qui a été repris par le gouvernement et adopté en 1919. Jacobs se prononce en faveur de l’égalité juridique des femmes et des hommes quand, en 1924, le député fédéral Joseph Tweed Shaw propose une résolution qui demande la présentation d’un projet de loi pour l’assujettissement du divorce aux mêmes causes, peu importe le sexe du demandeur. Son intérêt pour le processus électoral l’amène à formuler des modifications législatives. Le 23 avril 1931, il soumet ainsi un projet de loi privé afin d’abolir l’obligation, pour un membre de la Chambre des communes, de se faire réélire lorsqu’il accède au cabinet. Le projet de loi est repris par le gouvernement et voté par la Chambre la même année.

La stature que Jacobs acquiert comme parlementaire lui permet fréquemment d’agir à titre de représentant de sa communauté et de prendre la défense de ses intérêts, notamment sur la question de l’immigration. Dans un discours prononcé en 1920, il a défini des problèmes qui, à son avis, compliquent inutilement l’immigration au Canada. Il s’élève également contre la préférence accordée aux immigrants d’origine anglo-saxonne. Il insiste sur l’avantage d’une politique libérale qui, en favorisant l’accroissement de la population, contribuerait à alléger le fardeau de la dette publique du Canada. Durant les années 1920 et 1930, tandis que le pays restreint l’immigration, Jacobs, souvent accompagné de meneurs de la communauté, intercède en faveur de ses coreligionnaires auprès de fonctionnaires ou de ministres afin d’obtenir des dérogations à l’application rigide de la loi. Ses efforts permettent, certaines années, l’entrée de quelques milliers de Juifs. Cette préoccupation n’est cependant pas partagée par tous, surtout pendant la crise économique des années 1930. Jacobs s’attire parfois des critiques dans la presse, entre autres dans des journaux d’extrême droite (l’hebdomadaire montréalais le Patriote, par exemple). Lié au milieu des affaires, il est membre du conseil d’administration de la Montreal Life Insurance Company, de la Laurentian Insurance Company et de la Textile Company of Canada, Limited.

Samuel William Jacobs a fait une carrière remarquable à titre d’avocat, dans laquelle il s’est notamment illustré dans la défense des droits des minorités. Sa notoriété l’a naturellement désigné pour siéger à la Chambre des communes. Jacobs ne s’est toutefois pas satisfait de cette réussite personnelle et s’est efforcé, par de nombreuses initiatives, de venir en aide à sa communauté. Ce dévouement, hors de l’ordinaire, explique qu’il soit rapidement devenu un des grands leaders de la communauté juive canadienne.

Sylvio Normand

Samuel William Jacobs est aussi l’auteur de : The Quebec Jewish libel case [...] (Montréal, 1913) et « A Canadian Bankruptcy Act – is it a necessity ? », Canadian Law Times (Toronto), 37 (1917) : 604–609. L’ouvrage que Jacobs a cosigné avec Léon Garneau s’intitule Code of civil procedure of the province of Quebec : text French and English [...] (Toronto et Montréal, 1903).

L’acte d’enregistrement de la naissance de Jacobs, créé le 15 novembre 1917, a été ajouté au registre de 1871, conservé à BAnQ-CAM, CE601-S96.

Arch. juives canadiennes Alex Dworkin (Montréal), P0093.— BAC, R4654-0-5.— BAnQ-Q, TP9, S1, SS5, SSS1, dossier 940 (1914) (Ortenberg c. Plamondon) (versement 1960-01-352/157) ; TP11, S1, SS2, SSS1, dossier 778 (1910) (Ortenberg c. Plamondon) (versement 1960-01-053/563).— Le Devoir, 22 août 1938.— Gazette (Montréal), 22–23 août 1938.— La Presse, 24 août 1938.— Irving Abella et Harold Troper, None is too many : Canada and the Jews of Europe, 1933–1948 (Toronto, 1983).— Herman Abramowitz, « Samuel William Jacobs », American Jewish Year Book (Philadelphie), 41 (1939–1940) : 95–110.— L.-P. Audet, Histoire de l’enseignement au Québec (2 vol., Montréal et Toronto, 1971).— S. [I.] Belkin, Through narrow gates : a review of Jewish immigration, colonization and immigrant aid work in Canada (1840–1940) ([Montréal, 1966]).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1918–1938.— Canadian directory of parl. (Johnson).— Canadian Jewry, prominent Jews of Canada [...], Zvi Cohen, édit. (Toronto, [1933]).— The Canadian law list (Toronto), 1913.— Arlette Corcos, Montréal, les Juifs et l’école (Sillery [Québec], 1997).— Bernard Figler, Sam Jacobs, member of Parliament (Samuel William Jacobs, K.C., M.P.) 1871–1938 (Ottawa, 1970).— Gilles Gallichan, les Québécoises et le barreau : l’histoire d’une difficile conquête, 1914–1941 (Sillery, 1999).— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, vol. 4.— Histoire du catholicisme québécois, sous la dir. de Nive Voisine (2 tomes en 4 vol. parus, Montréal, 1984–    ), tome 3, vol. 1 (Jean Hamelin et Nicole Gagnon, le xxe siècle (1898–1940), 1984) : 177–215.— The Jew in Canada : a complete record of Canadian Jewry from the days of the French régime to the present time, A. D. Hart, compil. (Toronto et Montréal, 1926).— Joe King, les Juifs de Montréal : trois siècles de parcours exceptionnels, Pierre Anctil, trad. (Montréal et Outremont [Montréal], 2002).— Jacques Langlais et David Rome, Juifs et Québécois français : 200 ans d’histoire commune (Montréal, 1986).— Langstaff c. Bar of the province of Quebec (1915), Rapports judiciaires officiels de Québec, Cour supérieure (Montréal), 47 : 131.— Langstaff (Macdonald) c. Bar of the province of Quebec (1916), Rapports judiciaires officiels de Québec, Cour du banc du roi (Québec), 25 : 11.— Mario Nigro et Clare Mauro, « The Jewish immigrant experience and the practice of law in Montreal, 1830 to 1990 », Rev. de droit de McGill (Montréal), 44 (1998–1999) : 999–1046.— « A noble roster » : one hundred and fifty years of law at McGill, I. C. Pilarczyk, édit. (Montréal, 1999).— Sylvio Normand, « l’Affaire Plamondon : un cas d’antisémitisme à Québec au début du xxe siècle », les Cahiers de droit (Québec), 48 (2007) : 477–504.— Ortenberg c. Plamondon (1913), Dominion Law Reports (Toronto), 14 : 549.— Ortenberg c. Plamondon (1915), Rapports judiciaires officiels de Québec, Cour du banc du roi (Québec), 24 : 69–78, 385–388.— « The Plamondon case and S. W. Jacobs », David Rome, compil., Canadian Jewish Arch. (Montréal), nos 26–27 (1982).— J.-É. Plamondon, le Juif : conférence donnée au Cercle Charest de l’A.C.J.C., le 30 mars 1910 (Québec, [1910 ?]).— G.-É. Rinfret, Histoire du barreau de Montréal (Cowansville, Québec, 1989).— G. [J. J.] Tulchinsky, Taking root : the origins of the Canadian Jewish community (Toronto, 1992).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Sylvio Normand, « JACOBS, SAMUEL WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jacobs_samuel_william_16F.html.

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Auteur de l'article:    Sylvio Normand
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2018
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Date de consultation:    2 décembre 2024