HUGHES, KATHERINE (Catherine) ANGELINA, institutrice, journaliste, auteure, fonctionnaire et militante de la cause irlandaise, née le 12 novembre 1876 à County Line (Emerald Junction, Île-du-Prince-Édouard), fille de John Wellington Hughes, marchand, et d’Annie Laurie O’Brien ; décédée le 26 avril 1925 à New York.

Katherine Angelina Hughes était l’avant-dernière des neuf enfants d’une famille unie, catholique irlandaise et petite-bourgeoise pour laquelle servir l’Église avait beaucoup d’importance. Son oncle Cornelius O’Brien* fut archevêque de Halifax de 1883 à 1906. Elle étudia à Charlottetown, au Notre Dame Convent et au Prince of Wales College, où elle obtint en 1892 un brevet d’enseignement de première classe. On sait peu de chose sur les débuts de sa carrière. Probablement rejoignit-elle sa famille, installée à Ottawa vers 1890. Des biographies indiquent qu’elle œuvra pour l’« élévation » des autochtones à titre de missionnaire dans l’est et le centre du Canada. Pendant l’été de 1899, elle fut engagée comme institutrice à la réserve mohawk de Saint-Régis (Akwesasne). Deux ans plus tard, avec le soutien de l’Église, elle lança la Catholic Indian Association, dont le but était de trouver des emplois hors des réserves pour les diplômés des écoles amérindiennes et, conformément à la mentalité de l’époque, de favoriser leur assimilation.

En 1902, lorsqu’elle quitta Saint-Régis et abandonna l’enseignement pour se consacrer à des « activités littéraires », Mlle Hughes avait déjà une modeste réputation d’auteure. En s’inspirant de son séjour auprès des autochtones, qu’elle décrivait sous un jour favorable, elle avait publié des histoires dans le Catholic World de New York et le Prince Edward Island Magazine de Charlottetown. Le texte qu’elle écrivit sur les « forêts et [l’]industrie forestière canadiennes » pour Canada, an encyclopaedia of the country, de John Castell Hopkins, témoigne de son aptitude à maîtriser divers sujets.

Employée au Montreal Daily Star de 1903 à 1906, Katherine Angelina Hughes se rendit par train en juin 1904 à l’exposition universelle de St Louis, au Missouri, en compagnie de Kathleen Blake Coleman [Ferguson*] et d’autres femmes journalistes. Bien qu’elle ait participé, pendant le trajet, à la fondation du Canadian Women’s Press Club, elle ne s’associerait pas au mouvement de réforme sociale, contrairement à bon nombre des autres membres de cet organisme. Elle préférerait plutôt canaliser ses énergies dans des activités liées à l’Église, à l’instar de beaucoup de femmes catholiques.

En 1906, année de la parution de son premier livre (un portrait hagiographique de son oncle), Mlle Hughes s’établit à Edmonton. Journaliste à l’Edmonton Bulletin, elle fut notamment chroniqueuse parlementaire à l’Assemblée de l’Alberta. Les années qu’elle passa dans cette ville se révélèrent exceptionnellement bien remplies. Elle s’y montra capable non seulement de s’adapter à un nouveau milieu, mais aussi de réussir dans l’administration et l’organisation et d’impressionner des hommes puissants. Nommée première titulaire du poste d’archiviste provincial de l’Alberta en mai 1908, elle mit sur pied le Bureau des archives. Affectée en 1909 au cabinet du premier ministre, elle fut secrétaire particulière d’Alexander Cameron Rutherford* et de son successeur, Arthur Lewis Watkins Sifton. Elle renoua avec Albert Lacombe*, le fameux missionnaire catholique, et accepta d’écrire sa biographie, qui parut en 1911 à Toronto et à New York sous le titre de Father Lacombe, the black-robe voyageur, et reçut un accueil enthousiaste de la critique. Toujours active au Canadian Women’s Press Club, elle participait aussi aux travaux du Women’s Canadian Club d’Edmonton. En vue d’aider les nouveaux immigrants catholiques, en particulier ceux de l’Europe de l’Est, elle fonda en novembre 1912 la Catholic Women’s League of Edmonton, embryon de la Ligue des femmes catholiques du Canada, association nationale lancée en 1920 [V. Bellelle Guerin] et dont la secrétaire à l’organisation serait sa propre sœur, Lauretta Hughes Kneil.

Avant même l’octroi du droit de vote aux femmes – mesure à laquelle elle s’opposa en 1913 –, Katherine Angelina Hughes évoluait donc dans les cercles du pouvoir. Rien ne laissait deviner que sa carrière prendrait bientôt un virage. En septembre 1913, elle se fit muter à Londres à titre d’assistante et de secrétaire au bureau du représentant général de l’Alberta. Jusque-là, elle n’avait manifesté aucun intérêt pour les affaires irlandaises. À Londres, elle fit la connaissance de personnages éminents du mouvement en faveur de la renaissance culturelle et de l’indépendance politique de l’Irlande. Pendant l’été de 1914, elle se rendit dans ce pays et, dans le cadre de ses fonctions, rencontra lord Aberdeen [Hamilton-Gordon*], lord-lieutenant d’Irlande, et lady Aberdeen [Marjoribanks*]. En outre, à titre personnel, elle alla assister à Killarney à la semaine annuelle de festivités culturelles de la Gaelic League. De retour à Londres, elle se mit à apprendre la langue irlandaise, probablement sous la direction de Pádraic Ó Conaire, écrivain gaélique vivant à Londres, avec qui elle écrivit une pièce de théâtre en anglais, The cherry bird. Tout en étudiant l’histoire et la littérature de l’Irlande, elle entreprit un examen approfondi des avantages économiques que l’Irlande retirerait en se séparant de la Grande-Bretagne. C’est ainsi que Katherine Angelina Hughes, ou Caitlín Ní Aodha – nom qu’elle utilisa parfois à compter de cette époque –, cessa d’être une loyale fonctionnaire canadienne et devint une fervente adepte de la renaissance culturelle et de l’indépendance irlandaises.

Sir William Cornelius Van Horne*, magnat des chemins de fer, tenait Katherina Angelina Hughes en haute estime. Il avait d’ailleurs préfacé sa biographie de Lacombe, et tous deux avaient convenu de collaborer à une série de livres sur le chemin de fer canadien du Pacifique. Après la mort de Van Horne, en septembre 1915, Richard Benedict Van Horne commanda à Mlle Hughes une biographie de son père. Elle démissionna de son poste gouvernemental, rentra au Canada et, pendant quelques années, tout en gardant un pied-à-terre à Montréal, elle passa une bonne partie de son temps à voyager, à recueillir de la matière pour cette biographie et à rédiger un brouillon. Son dévouement à la cause irlandaise ne faiblit pas pour autant. Au cours de ses voyages en Amérique du Nord, elle entra en contact avec des partisans du mouvement séparatiste irlandais. À la suite du soulèvement de Pâques 1916 contre la domination britannique et de l’exécution des meneurs par les autorités britanniques, son engagement s’inscrivit de plus en plus dans des efforts concertés. En 1917, elle publia à Kingston, en Ontario, une monographie intitulée Ireland, plaidoyer raisonné en faveur de l’autodétermination de l’Irlande dans lequel elle rappelait fréquemment que des soldats canadiens sacrifiaient leur vie sur les champs de bataille européens pour la libération et les droits de petites nations. Toutefois, dans le Canada des années de guerre, d’aucuns considéraient ses prises de position comme une trahison à l’égard de l’Empire britannique.

Après avoir remis un premier jet de la biographie de Van Horne à Richard Benedict Van Horne en août 1918, Katherine Angelina Hughes s’installa à Washington, où elle fonda, au nom de l’Irish Progressive League, une organisation dont le but était de diffuser de l’information et d’exercer des pressions sur les hommes politiques en faveur de l’autodétermination de l’Irlande. Grâce à sa vaste expérience d’administratrice et à sa connaissance de la politique, elle contribua beaucoup, au sein des Friends of Irish Freedom, l’organisme qui chapeautait les groupes pro-irlandais, à la mise au point du schéma directeur qui permit à des efforts plus ou moins adroits de propagande de se transformer graduellement en une campagne professionnelle de publicité.

Mlle Hughes passa la fin de l’année 1919 et le début de l’année 1920 à faire une tournée du sud des États-Unis afin de préparer l’arrivée d’Eamon de Valera, président de la « république » dont le Parlement irlandais avait déclaré unilatéralement la fondation. Dévouée à de Valera, elle n’assista guère à la querelle qui surgirait entre lui et les leaders irlando-américains car elle rentra au Canada en mai 1920, à sa demande, semble-t-il, pour mobiliser l’opinion irlando-canadienne. De concert avec Robert Lindsay Crawford, journaliste originaire d’Irlande et ex-orangiste, et sous l’œil vigilant de la Gendarmerie royale à cheval du Canada – qui relevait d’Arthur Lewis Watkins Sifton, alors secrétaire d’État du gouvernement fédéral –, elle prépara le lancement de la Self-Determination for Ireland League of Canada and Newfoundland. En évitant d’inclure, dans le nom de cet organisme, des termes controversés tels « liberté » ou « république », les leaders cherchaient à bâtir une vaste coalition d’Irlando-Canadiens, de membres d’autres groupes ethniques et de réformateurs sociaux.

Au début de juillet 1920, Katherine Angelina Hughes entreprit une tournée qui la mena des Maritimes à la côte du Pacifique, puis de nouveau dans les provinces de l’Atlantique, et enfin dans le dominion de Terre-Neuve. Elle fonda des cellules de la Self-Determination for Ireland League dans la plupart des grands centres urbains en s’assurant, avant de quitter un endroit pour un autre, qu’un comité solide, composé de personnes respectables du lieu – gens d’affaires et membres des professions libérales – poursuivrait le travail. Bien accueillies dans l’est et le centre du Canada, ses activités suscitèrent de l’opposition dans l’Ouest, quoique, contrairement à Crawford, elle n’ait pas subi de violences physiques.

Malgré l’hostilité de l’establishment et les menaces de violence, le premier congrès national de la ligue réunit à Ottawa, les 16 et 17 octobre 1920, les délégués représentant ses quelque 25 000 membres ainsi que des représentants d’autres organismes, dont la Société Saint-Jean-Baptiste. On y présenta Mlle Hughes « comme la femme qui avait fait plus que toute autre pour la cause de l’Irlande au Canada ». Cependant, à la clôture du congrès, où Crawford fut élu à la présidence de la ligue, elle savait que sa mission au Canada était terminée. Sur les instances d’Eamon De Valera, elle accepta de se rendre en Australie et en Nouvelle-Zélande pour mettre sur pied des organisations-sœurs.

Mlle Hughes prit cette décision au moment où parut la biographie de Van Horne. Bien que la paternité du livre ait été attribuée à Walter Vaughan, ce dernier admit dans la préface de The life and work of Sir William Van Horne, publié à New York en 1920 : « Une bonne partie de ce livre [...] s’appuie, à vrai dire, sur le travail de Mlle Hughes et, dans la mesure du possible, j’ai utilisé et adapté son brouillon. » En fait, Vaughan s’était contenté de raccourcir et de resserrer le manuscrit, sans faire de recherches supplémentaires.

Fermement convaincue que l’establishment, incarné par Richard Benedict Van Horne, la punissait de prôner l’indépendance de l’Irlande, Katherine Angelina Hughes n’avait pas les moyens d’intenter des poursuites. Elle ravala donc sa colère et son amertume et se mit en route pour l’Australie. En février 1921, le journal catholique de Melbourne, l’Advocate, signala sa présence. Dans les mois suivants, comme elle l’avait fait au Canada, elle prit contact avec des militants locaux, réunit des groupes irlandais disparates et lança en Australie et en Nouvelle-Zélande des ligues pour l’autodétermination.

En septembre 1921, à la demande d’Eamon De Valera, Mlle Hughes se rendit à Paris afin de coordonner l’organisation de l’Irish World Race Congress, où étaient invités des représentants de la diaspora irlandaise. Prévu pour janvier 1922, ce qui devait être un grand coup publicitaire pour la « république d’Irlande » fut éclipsé par les événements. Le traité anglo-irlandais de décembre 1921, qui donnait le statut de dominion au nouvel État libre d’Irlande et reconnaissait le droit de l’Irlande du Nord à la sécession, divisa les nationalistes irlandais. La guerre civile éclaterait sous peu.

À son retour en Amérique du Nord, en avril 1922, Katherine Angelina Hughes constata que les réseaux pro-irlandais s’étaient fragmentés, suivant les scissions survenues en Irlande même. Elle n’était plus qu’une agitatrice à qui le Canada n’offrait aucun avenir. En 1924, elle se décrivit comme « une ex-Canadienne ». Si ces mots ne prouvent pas qu’elle avait adopté la citoyenneté américaine, ils suggèrent que, politiquement, émotivement et psychologiquement, elle avait tourné le dos à son pays natal. Installée à New York, elle souffrait d’ennuis de santé et n’avait pas d’emploi stable. Elle resta fidèle à l’idéal d’une république irlandaise totalement indépendante. Au moment de sa mort, causée par un cancer, elle était une figure solitaire et marginale qui cherchait à se consoler en rêvant de recréer la solidarité qui avait existé parmi les nationalistes irlandais à compter de 1916. Elle repose au cimetière St Raymond, dans le Bronx, dans une tombe anonyme.

Dynamique, talentueuse, intelligente, Katherine Angelina Hughes n’a guère laissé de documents qui éclairent les motifs de ses actes ni les contradictions apparentes de sa personnalité et de sa carrière. Elle montra une aptitude remarquable à transcender les barrières sociales, politiques et culturelles, à s’adapter à de nouveaux milieux – que ce soit une réserve amérindienne, l’ouest du Canada ou le mouvement irlandais – et à réussir. Aussi bien lorsqu’elle fut dans les cercles du pouvoir que mise au ban à cause de ses opinions politiques, sa foi dans le catholicisme et son ardeur à défendre les causes qu’elle embrassait la soutinrent. Bien que rien n’indique clairement qu’elle ait eu des visées réformistes quant au rôle des femmes ou à la situation des autochtones, la découverte de la patrie de ses ancêtres, ses nombreuses lectures sur l’Irlande et son expérience de militante pour la cause irlandaise firent d’elle une fervente adversaire de l’impérialisme. Le détachement avec lequel elle avait œuvré comme missionnaire auprès des Amérindiens fit place à un engagement, à la fois rationnel et passionné, de vouer sa vie à l’Irlande.

PÁdraig Ó Siadhail

L’article de Katherine Angelina Hughes intitulé « Canadian forests and timber interests » figure dans Canada, an encyclopædia (Hopkins), 5 : 511–520, sous la signature « Miss Catherine Hughes, of Ottawa ». En plus des publications citées dans la biographie, ses écrits comprennent Archbishop O’Brien : man and churchman (Ottawa, 1906) et English atrocities in Ireland ; a compilation of facts from court and press records (New York, [1920]). American Irish Hist. Soc. (New York), D. F. Cohalan papers.— AN, MG 27, II, D19, 9, 14 ; MG 28, I 232, 1–2, 11–12, 41, 43, 46 ; MG 30, D71.— City of New York Municipal Arch., Depart. of Records and Information Services, Death certificate.— PAA, 74.350/81, 83–84 ; Arch. of the Oblates of Mary Immaculate, Prov. of Alberta-Saskatchewan, 71.220, items 6548–6549 ; Orders-in-council, O.C. 12/11 ; O.C. 325/08 ; O.C. 627/14 ; O.C. 759/13.— PARO, St Mary’s Roman Catholic Church (Indian River, Î.-P.-É.), Reg. of baptisms, 2 nov. 1876.— Richard Davis, « Irish nationalism in Manitoba, 1870–1922, » dans The untold story : the Irish in Canada, Robert O’Driscoll et Lorna Reynolds, édit. (2 vol., Toronto, 1988), 1 : 393–415 ; « The Self-Determination for Ireland leagues and the Irish Race Convention in Paris, 1921–1922 », Tasmanian Hist. Research Assoc., Papers and Proc. (Hobart, Australie), 24 (1977).— Illustrated historical atlas of the province of Prince Edward Island [...] ([Toronto], 1880 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— P. E. Magennis, « Catherine Hughes – a memory » Catholic Bull. and Book Rev. (Dublin), 15 (1925) : 1045–1054.— Pádraig Ó Siadhail, « Katherine Hughes, Irish political activist » dans Edmonton : the life of a city, Bob Hesketh et Frances Swyripa, édit. (Edmonton, 1995), 78–87 ; « Ó Emerald go hÉirinn (Spléachadh ar bheatha is ar shaothar Katherine Hughes, 1876–1925) » [De l’île d’Émeraude à l’Irlande (Regard sur la vie et l’œuvre de Katherine Hughes, 1876–1925], Irisleabhar Mhá Nuad [Journal de Mainooth] (Mainooth, République d’Irlande), 1991 : 13–39.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

PÁdraig Ó Siadhail, « HUGHES, KATHERINE (Catherine) ANGELINA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hughes_katherine_angelina_15F.html.

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Auteur de l'article:    PÁdraig Ó Siadhail
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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