HAVARD DE BEAUFORT, FRANÇOIS-CHARLES, dit L’Avocat, soldat, « sorcier », né à Paris vers 1715, retourné en France à l’automne de 1742, décédé à une date et dans des circonstances inconnues.

François-Charles Havard de Beaufort était connu dans la région de Montréal comme un amuseur public et un « sorcier ». Mais, esprit ingénieux et apparemment doté d’une formation supérieure pour l’époque, il essayait de se servir de ses tours de cartes et de couteau, selon son propre aveu, non seulement pour divertir et amuser les spectateurs mais encore pour « intimider le menue peuple dans les choses graves ».

Les annales judiciaires de la Nouvelle-France relatent certains faits concernant Havard de Beaufort, dit L’Avocat, qui méritent d’être rappelés en détail parce qu’ils éclairent à plusieurs points de vue l’histoire sociale du Canada sous le régime français. En 1737, L’Avocat essaya « par quelque Suptilité et Tours de Cartes » de découvrir le voleur d’une « Bague de Prix » qu’avait perdue la femme de Jacques Testard* de Montigny, Marie de La Porte de Louvigny. Il ne put cependant identifier l’auteur du larcin. Malgré cet échec, Havard de Beaufort éprouva de nouveau son adresse cinq ans plus tard. Le 28 juin 1742, alors qu’il était en garnison à Montréal, il apprit que le cordonnier Charles Robidoux du faubourg Saint-Joseph s’était fait voler la somme de 300# et que la recherche du coupable s’était révélée vaine. L’Avocat offrit alors au cordonnier de lui faire apparaître, pour une somme de 20#, le visage du voleur dans un miroir. Prêt à tout pour récupérer son argent, Robidoux accepta le marché et versa immédiatement 6# à Havard de Beaufort. La séance de catoptromancie eut lieu le soir même chez Robidoux en présence d’une douzaine de personnes, tous parents, voisins ou amis du cordonnier.

L’Avocat chercha d’abord à créer une atmosphère qui impressionnerait ses spectateurs. À cette fin, il disposa sur une table, près de la cheminée, une serviette blanche, une petite bouteille d’huile d’olive, trois paquets, respectivement blanc, jaune et noir de « poudre à tirer » et d’arcanson pilé, deux bougies et un miroir. Il plaça le miroir à l’envers sur la table entre les deux bougies allumées. Le « sorcier » tenait entre ses mains un livre de prières, le Verba Jesu Christi ex Evangeliis, et en lut quelques versets à haute voix en répandant, à la fin de chaque verset, quelques pincées de poudre sur l’envers du miroir. Il y déposa le crucifix que René-Charles Laigu, dit Lanoue, lui avait apporté, versa sur chacune de ses extrémités un mélange d’huile d’olive, de « poudre à tirer » et d’arcanson pilé, appelé « huile d’aspic [huile de vipère] » et s’empressa de faire sécher l’huile à la flamme des bougies. Ce rite terminé, L’Avocat prépara trois petits morceaux de papier dans lesquels il versa un peu de « poudre à tirer ». Il fit éteindre les chandelles et couvrir le feu de la cheminée, et profita du moment où la pièce était plongée dans l’obscurité pour soulever le miroir et, crucifix en main, il marmotta quelques prières en latin. C’est à cet instant que le visage du voleur devait apparaître dans le miroir. Comme rien ne se produisit, Beaufort ordonna de découvrir le feu de la cheminée et y jeta l’un après l’autre les trois petits paquets de poudre qu’il venait de préparer, en ayant soin de lire avant chaque geste un verset de l’Évangile. Ce nouveau cérémonial fut aussi peu efficace que le premier.

Il semble bien que la frayeur que le sorcier créa chez ses spectateurs ne fut pas suffisante pour amener le voleur à se dénoncer. Après une heure de « devinations et pronostications », il dut s’avouer incapable d’indentifier le voleur. Mais Havard de Beaufort ne se tint pas pour totalement vaincu et voulut prouver à ses spectateurs qu’il était vraiment devin. Il fit donc rallumer les chandelles et marqua de trois traits noirs le linteau de la cheminée à l’aide du bois du crucifix et d’un charbon. C’est alors que Havard invita ses spectateurs à toucher aux traits noirs affirmant qu’il nommerait, sans les voir, toutes les personnes qui le feraient. En fait, retiré dans le tambour de la maison, il réussit à identifier chaque personne qui touchait aux raies. On s’amusa à ce petit jeu pendant encore quelque temps.

Évidemment, la nouvelle de cette séance de sorcellerie se répandit rapidement dans Montréal et finit par parvenir aux oreilles de la justice. Dès le lendemain, soit le 29 juin 1742, les autorités judiciaires faisaient emprisonner Havard de Beaufort ainsi que Charles Lanoue, Charles Robidoux et sa femme Anne Lehoux, tous trois accusés de complicité. Le procès fut instruit devant le lieutenant général civil et criminel de la juridiction de Montréal, Jacques-Joseph Guiton de Monrepos. L’Avocat était accusé d’« avoir profané les paroles du Nouveau Testament ainsi que la Représentation de Jésus Christ crucifié, en faisant servir l’un et l’autre à des pronostications et autres usages profanes et illicites ». L’Avocat déclara que son intention n’avait pas été de « profaner son Dieu » mais plutôt d’intimider ses spectateurs et, par là, d’amener le voleur à se dénoncer. Le 13 août 1742, après un procès d’un mois et demi, l’accusé fut trouvé coupable de « profanations de choses saintes » et condamné à passer cinq ans sur les galères du roi et à faire amende honorable, un jour de marché, devant la porte principale de l’église Notre-Dame de Montréal où il serait amené par le bourreau Mathieu Léveillé. L’objet de sa condamnation serait inscrit sur deux écriteaux qu’il porterait, l’un sur son dos, l’autre sur sa poitrine. Quant à Robidoux, convaincu d’avoir eu recours aux « pronostications et devinations » de François-Charles Havard de Beaufort et d’ « avoir souffert » ces actes dans sa maison, il fut condamné à demeurer trois ans hors du gouvernement et de la ville de Montréal et à assister à genoux « Nud En Chemise » à l’amende honorable que prononcerait L’Avocat devant l’église paroissiale de Montréal. Le tribunal montréalais condamna aux mêmes peines Charles Lanoue, convaincu d’avoir procuré à de Beaufort le livre de prières et le crucifix. Mais il acquitta Anne Lehoux puisque l’information avait démontré sa complète innocence.

Beaufort, Robidoux et Lanoue ayant été condamnés à des peines corporelles, le substitut du procureur du roi, François Foucher, se conforma au titre xxvi, article vi de la Grande Ordonnance criminelle de 1670, selon lequel toute condamnation à une peine corporelle, aux galères, au bannissement à perpétuité et à l’amende honorable devait être envoyée en appel devant une cour supérieure et il se présenta devant le juge, immédiatement après la lecture des sentences aux accusés, pour se porter appelant des condamnations devant le Conseil supérieur de Québec. Le 17 septembre 1742, la cour d’appel maintint les verdicts de culpabilité du tribunal montréalais mais, comme il lui arrivait fréquemment de le faire, elle diminua la sévérité des peines. Elle modifia la peine de Havard de Beaufort en réduisant le temps de service sur les galères du roi de cinq à trois ans, mais elle ajouta cependant la peine du fouet à la sentence de la juridiction royale de Montréal. Quant à Lanoue, au lieu d’être condamné au bannissement, il dut se présenter devant les conseillers pour être blâmé et verser au roi une amende de 3#. Pour sa part. Robidoux fut seulement admonesté par les conseillers et condamné à une amende de 3#, destinée au soutien des prisonniers. Le 5 octobre 1742, le maître des hautes œuvres, Mathieu Léveillé, exécutait à Montréal les sentences du Conseil supérieur.

Mis au courant de ce « sacrilège », l’évêque de Québec, Mgr de Pontbriand [Dubreil] émit un mandement à l’adresse du clergé et de la population montréalaise le 10 septembre 1742. Il ordonnait d’adorer la croix au cours d’une procession générale qui conduirait les fidèles depuis l’église Notre-Dame de Montréal jusqu’à la chapelle Bonsecours. Par la suite, l’évêque se fit remettre le « crucifix outragé ». Le 1er mars 1744, il décida de le confier aux hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec qui avaient fait une amende honorable et une communion générale à l’époque de la profanation pour réparer le « sacrilège ». Ultérieurement, le crucifix fut l’objet d’une vénération particulière chaque premier vendredi d’octobre et, les fidèles comme les religieuses purent, à partir de 1782, gagner une indulgence plénière en visitant la chapelle de l’Hôtel-Dieu où le crucifix se trouvait exposé.

François-Charles Havard de Beaufort, dit L’Avocat, passa en France sur le vaisseau du roi à l’automne de 1742 pour y être embarqué sur les galères du roi. Nous perdons sa trace par la suite. Dans l’histoire de la sorcellerie en Nouvelle-France, il ne fut qu’un « faux sorcier » comme il en existait à l’époque en France. Il se servit de ses talents de beau parleur et d’amuseur public pour abuser de la crédulité des gens simples et naïfs et s’assurer auprès d’eux des gains illégitimes.

André Lachance

AN, Col., B, 76, f.376.— ANQ, NF, Documents de la juridiction de Montréal, XVII, août 1742 ; NF, Registres du Cons. sup., registre criminel, 1730–1759, ff.72v–75v.— ANQ-M, Procès fameux 1734–1756, affaire Havard de Beaufort, 30 juin–13 août 1742.— Bornier, Conférences des ord. de Louis XIV, II : 369–372.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), II : 19–21, 33s.— Raymond Boyer, Les crimes et les châtiments au Canada français du XVIIe au XXe siècle (« L’Encyclopédie du Canada français », V, Montréal, 1966), 303–305.

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André Lachance, « HAVARD DE BEAUFORT, FRANÇOIS-CHARLES, dit L’Avocat », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/havard_de_beaufort_francois_charles_3F.html.

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Auteur de l'article:    André Lachance
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
Date de consultation:    28 novembre 2024