GILL, CHARLES (baptisé Charles-Ignace-Adélard), peintre, poète, conteur et professeur de dessin, né le 21 octobre 1871 à Sorel, Québec, fils de Charles-Ignace Gill, avocat, député à l’Assemblée législative provinciale et éminent juriste, et de Delphine (Delphire) Senécal ; le 12 mai 1902, il épousa à Montréal Georgine Bélanger* (décédée en 1951), et ils eurent deux fils, dont un seul atteignit l’âge adulte ; décédé le 16 octobre 1918 à Montréal.
Petit-fils de Louis-Adélard Senécal*, important homme d’affaires et homme politique de la région du Richelieu, et d’Ignace Gill*, commerçant et député de la circonscription provinciale de Yamaska, Charles Gill se rattachait aussi à Samuel Gill, enlevé à Salisbury, au Massachusetts, le 10 juin 1697, à l’âge de neuf ans, par les Abénaquis et amené en Nouvelle-France, à Saint-François-de-Sales (Odanak).
Durant ses études primaires et collégiales, Gill ne pèche pas par excès d’assiduité ; les notes sont médiocres, les échecs nombreux. De septembre 1882 au printemps de 1885, il étudie au collège Sainte-Marie (éléments français et latins) ; en septembre 1885, il est en classe de syntaxe au séminaire de Nicolet. En février de l’année suivante, il fréquente le collège de Saint-Laurent comme élève du cours de méthode, et quitte cet établissement au printemps de 1888. En mars 1888, ses parents, établis à Montréal depuis avril 1886, l’envoient poursuivre des études privées chez Adrien Leblond de Brumath.
Un événement important marque la vie de Gill à l’été de 1888 : un peintre américain, George de Forest Brush, qui passe ses vacances à Pierreville, se porte garant de la germination du talent de peintre chez l’adolescent toujours à la recherche de sa vocation. Par voie de conséquence, Charles ira étudier, en septembre 1888, à l’Association des beaux-arts de Montréal, chez William Brymner*. Ce qu’on prenait pour une simple inclination vers le dessin devient brusquement l’impératif de la création. « Dès son enfance, écrit Joseph-Marie Melançon* dans le Devoir du 14 octobre 1933, le futur artiste présenta au monde une riche nature, toute en saillies, mais complexe et difficile à façonner. Il était un garçon bizarre, énigmatique, qui, aux jeux de son âge, préférait s’évader vers la réserve indienne de la rivière Saint-François, proche de Pierreville, le domaine de ses grands-parents, pour y dessiner des têtes d’Abénaquises. À sept ans – vocation précoce ! – il maniait déjà le crayon avec habileté. »
Pour réaliser son rêve, Gill s’embarque pour la France, le 6 septembre 1890. Il étudie à Paris, chez le peintre Léon Gérôme, et ne revient à Montréal qu’en juin 1892. En octobre de la même année, il repart pour Paris et revient définitivement au printemps de 1894. Ses deux séjours à Paris lui ont donné l’occasion d’approfondir, à titre d’auditeur libre, ses notions d’art au sens large du mot. Il s’est intéressé à la peinture, mais il est aussi allé au théâtre, a contemplé l’imposante architecture des églises et des monuments, et a fréquenté des poètes. À son retour de France, il se vante d’avoir eu le privilège de connaître Paul Verlaine et François Coppée. Parfois, il se prenait gaillardement pour Jean Richepin, tant sa ressemblance avec le poète français était frappante. Il se sentait libre dans la Ville lumière et profitait en bohème des grandeurs et des misères dont parle Charles Baudelaire dans ses Fleurs du mal. Le jeune artiste peint plusieurs tableaux, expose à quelques reprises ses toiles à Montréal et organise son propre atelier, d’abord au 946 de la rue Saint-Denis, et plus tard au 42 de la rue Chambord.
Désormais, la peinture et la poésie occuperont au même titre les pensées de Gill. Le 21 mai 1896, il devient membre de l’École littéraire de Montréal, dont les réunions lui rappellent celles de La Boucane au café du Rocher, boulevard Saint-Germain, à Paris, où se retrouvaient les « exilés canadiens ». Il évolue avec l’École littéraire de Montréal et apprend l’art du journalisme chez Louvigny de Montigny*, l’art de la poésie chez Émile Nelligan* et Albert Lozeau*, l’art de conter chez Louis Fréchette* et Albert Laberge*. Il participe pleinement aux joies des séances publiques du cénacle et se montre un compétiteur dont il faut tenir compte dans les querelles et les luttes intestines. Il devient, en 1912, président de l’École littéraire. Pour avoir un revenu fixe, il enseigne le dessin à l’école normale Jacques-Cartier, peint des tableaux, écrit, parfois sous les pseudonymes de Léon Duval et de Clairon, des poèmes, contes et articles.
Le 12 mai 1902, Gill a épousé Georgine Bélanger, journaliste assez connue à l’époque sous le pseudonyme de Gaétane de Montreuil, chroniqueuse à la Presse et romancière. Le couple a un fils, en avril 1903, qui meurt peu de temps après sa naissance et, le 7 décembre 1904, un second fils, Roger-Charles. Les relations entre les époux sont toutefois tendues à cause du style de vie de Gill, vie de bohème marquée par toutes sortes de turbulences. De plus, depuis l’été de 1897, ce dernier a une liaison avec Juliette Boyer, son amie intime et son modèle. Le couple décide finalement de se séparer le 24 octobre 1913. Gill connaît des problèmes de santé durant les cinq dernières années de sa vie, mais il poursuit son rêve de peindre toujours plus authentiquement la nature du Saguenay et de terminer son « épopée dantesque » sortie en quelque sorte, comme conception et image, de la légende, de l’histoire et du paysage grandiose de son pays. Ses mots préférés sont « Éternité », « Néant », « Gouffre », tous les trois oscillant autour de la signification polysémique du vocable grec ananké. Gill est fauché par la grippe espagnole le 16 octobre 1918, à l’Hôtel-Dieu de Montréal, après une semaine de maladie.
Il est difficile de résumer en chiffres l’œuvre picturale de Gill commencée à Pierreville au cours des années 1880 et continuée jusqu’à sa mort. Réduite à l’essentiel, elle comprend une cinquantaine de portraits, une centaine de paysages, un certain nombre d’études, d’esquisses et de copies, ainsi que trois cahiers de croquis qui datent des années 1889 et 1890. Quelques toiles révèlent un don authentique : le Problème d’échecs, le Portrait de madame Charles Gill, le Cap Éternité, Crépuscule à Chambly, Ormes au ciel rose. Deux espaces géographiques reviennent constamment dans l’univers pictural de Gill, Pierreville-Odanak et le Saguenay. Les arbres souvent y meublent le paysage ; le cap Éternité y occupe une place de choix. D’habitude la touche forte ne cède pas la place à la nuance.
Réginald Hamel, le spécialiste reconnu de la vie et de l’œuvre de Gill, a fait un bilan de la production littéraire de l’artiste sorelois de 1896 à 1918 : 58 poèmes, 95 écrits en prose, 13 pièces (ou fragments) du poème épique « le Saint-Laurent ». À cela s’ajoutent les 267 lettres retrouvées qu’il a rédigées durant les années 1890 à 1918 et adressées principalement au poète Louis-Joseph Doucet*. Il convient de souligner l’intérêt que Gill accordait à la prose, que ce soit sous forme de contes, de chroniques, de narrations ironiques ou d’« impressions quotidiennes ». Il a publié aussi des études critiques sur des poètes et des peintres. Ses écrits en prose ont paru surtout dans la Patrie, la Presse, les Débats, le Canada et le Nationaliste de Montréal.
Longtemps, Gill a pensé à un recueil de poésies dans le style baudelairien, sous le titre « les Étoiles filantes ». Il a écrit plusieurs dizaines de poèmes, mais au moment d’en faire un groupement final, sa sœur Rachel a exercé une censure sévère au point qu’il n’en est resté que 32 pièces « convenables ». L’œuvre maîtresse de Gill aurait dû être « le Saint-Laurent », dont les fragments, publiés en 1919 après la mort du poète, portent le titre le Cap Éternité ; la version ultime du « Saint-Laurent » aurait été perdue peu de temps avant la mort de Gill. Il existe cependant quelques esquisses qui permettent de concevoir une petite étude génétique de l’œuvre rêvée. Le 31 janvier 1904, Gill a élaboré hâtivement, sur une grande feuille de papier bleuâtre, le plan de son poème, une fresque en quatre parties : « Printemps », « Été », « Automne », « Hiver ». Les quatre saisons possèdent un sens symbolique et chacune se conçoit en plusieurs chants centrés sur l’histoire et la géographie du Canada. Ce plan serait retravaillé en 1908. Composé de plusieurs livres, le premier serait le Cap Éternité, poème en 32 chants et un prologue. Le neuvième chant du livre, qui porte aussi le titre de Cap Éternité, a été composé à L’Anse-Saint-Jean, en août 1908, et publié dans la première livraison du Terroir (Montréal), en janvier 1909. C’est là de loin le meilleur texte de Gill parmi les 13 chants écrits ; les Stances aux étoiles appartiennent à cet ensemble. C’est ainsi qu’en regardant le Saguenay, à l’ombre de l’énigmatique Tacouérima, Gill s’imagine voguer « glorieux dans un rêve de Dante ». En réalité, il imprime sa présence au légendaire Saint-Laurent.
L’œuvre littéraire imprimée de Charles Gill comporte deux ouvrages publiés après sa mort, le Cap Éternité, poème suivi des Étoiles filantes (Montréal, 1919) et Correspondance, Réginald Hamel, édit. (Montréal, 1969). Les œuvres manuscrites de Gill sont aujourd’hui accessibles grâce aux recherches de Réginald Hamel : il a établi, classé et annoté les « Œuvres complètes », d’après les textes originaux, et le seul exemplaire de cette collection qui compte quatre volumes dactylographiés (Montréal, 1958–1959) est déposé au Centre de documentation des lettres canadiennes-françaises de l’université de Montréal. Hamel a aussi étudié une œuvre de Gill, le Saint-Laurent dans son mémoire intitulé « le Saint-Laurent de Charles Gill : genèse, établissement du texte, valeur littéraire » (mémoire de m.a., Univ. d’Ottawa, 1961). L’œuvre picturale de Gill est cependant plus difficile à localiser. La plupart des ses œuvres appartiennent à des collectionneurs privés ; toutefois, le Musée du Québec (Québec) possède sept tableaux. [p. w.]
AC, Montréal, État civil, Catholiques, Saint-Jacques (Montréal), 12 mai 1902.— ANQ-M, CE3-7, 22 oct. 1871.— Réginald Hamel, « Un Canayen à Paris (Charles Gill) », le Devoir, 30 oct. 1965 : 23s.— DOLQ, 2.— Lucien Gagné, « Charles Gill », l’Action nationale (Montréal), 29 (1947) : 361–385.— Réginald Hamel, « Charles Gill, prosateur », dans l’École littéraire de Montréal ; bilan littéraire de l’année 1961, sous la dir. de Paul Wyczynski et al. (2e éd., Montréal, 1972), 178–200.— Hamel et al., DAL-FAN, 605s.— [J.-L.-]O. Maurault, « Charles Gill, peintre et poète », Rev. canadienne (Montréal), 87 (1919) : 18–31, 180–197.— Albert Savignac, « le Cap Éternité, poème par Charles Gill », la Rev. nationale (Montréal), 1 (1919) : 297–309.— [Paul Wyczynski], Albert Laberge, 1871–1960 ; Charles Gill, 1871–1918 (catalogue d’exposition, Bibl. nationale du Canada, Ottawa, 1971) ; « Charles Gill intime », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 29 (1959) : 447–472 ; « Étude d’auteur canadien : Charles Gill », Lectures (Montréal), nouv. sér., 7 (1960–1961) : 163–165.
Paul Wyczynski, « GILL, CHARLES (baptisé Charles-Ignace-Adélard) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gill_charles_14F.html.
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Auteur de l'article: | Paul Wyczynski |
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
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