BOISVERT, EDMOND, dit Edmond de Nevers (baptisé Abraham-Edmond), avocat, écrivain, journaliste, traducteur et fonctionnaire, né le 12 février 1862 à Baie-du-Febvre, Bas-Canada, fils d’Abraham Boisvert, cultivateur, et de Marie Biron ; décédé célibataire le 15 avril 1906 à Central Falls, Rhode Island.
Fils aîné d’une famille qui devait compter 16 enfants, Edmond Boisvert se fit remarquer dès l’école primaire par son goût de l’étude et des livres. Il entra au séminaire de Nicolet en 1873. Déjà, en première année, on le surnommait le poète Boisvert, parce qu’il avait l’habitude de taquiner ses confrères en écrivant de courts poèmes sur eux. En troisième année, il reçut des leçons d’allemand de l’abbé Thomas-Marie-Olivier Maurault, qui fut encore son professeur en belles-lettres. Comme il avait décidé de passer les examens du baccalauréat de lettres et d’étudier en même temps et par lui-même les matières des deux classes de philosophie, l’année de sa rhétorique fut sa dernière au collège. Il se présenta ensuite devant un jury pour obtenir le brevet qui lui permettrait d’être admis à l’étude du droit.
En janvier 1880, Boisvert entra au cabinet de Jean-Baptiste-Ludger Hould, avocat de Trois-Rivières, pour y faire son stage de clerc. Il y passa trois années, au cours desquelles il apprit aussi l’anglais avec un jeune Irlandais, joua du piano et du violon, et s’amusa à caricaturer les plaideurs au palais de justice. Il fut reçu avocat en 1883, mais il ne semble pas avoir exercé. Dès son arrivée à Trois-Rivières, il avait en effet décidé de partir pour l’Europe aussitôt ses études terminées. Afin d’amasser l’argent nécessaire, il aurait pris un emploi d’inspecteur des asiles d’aliénés dans la province.
Boisvert s’embarqua à New York le 14 avril 1888 à destination de l’Allemagne, où il arriva à, Brême. Il se rendit aussitôt à Berlin où il se livra à l’étude de l’histoire, de la littérature et de l’économie politique. À sa chambre du 172a Schönhauser Allee, il s’exerçait encore au violon jusqu’à quatre heures par jour et prenait des leçons particulières. Un mois après son arrivée, il envoyait sa première « Lettre de Berlin » à la Presse de Montréal, qui allait en publier une série du 5 juillet 1888 au 15 mars 1891. Boisvert vécut à Berlin jusqu’en avril 1889, puis à Vienne jusqu’à l’automne de 1890, visita Venise et la Hongrie, et séjourna enfin à Rome jusqu’en mars 1891. Il se retrouva à Paris en avril. Edmond de Nevers – c’est ainsi qu’il signait lettres et articles depuis son arrivée à Berlin – entra dès le mois suivant au service de l’agence Havas en qualité de traducteur-rédacteur, poste qui exige de posséder plusieurs langues ainsi que de solides connaissances. Outre le français et l’anglais, Nevers parlait l’allemand et avait appris l’italien, l’espagnol, le portugais, le russe et le norvégien. Il publia d’ailleurs en 1893 la traduction de deux pièces du Norvégien Henrik Ibsen. Tout en travaillant ainsi, il n’oubliait pas son pays. Cette même année, il se mit à préparer une étude sur l’Avenir du peuple canadien français, qui parut trois ans après. Il s’était d’ailleurs rendu à Londres en 1895 afin de compléter sa documentation. Il rentra alors en Amérique : aux États-Unis, où sa famille s’était établie, et au Québec, où il comptait de nombreux parents et amis. De retour à Paris l’année suivante, il commença des recherches sur les États-Unis, qui parurent en 1900 sous le titre de l’Âme américaine.
Ces 12 années passées en Europe avaient été ainsi consacrées à l’étude, au travail de recherche et à la rédaction de trois ouvrages. Nevers avait fréquenté les meilleurs savants des sciences sociales et humaines de l’époque, tout en suivant de près la vie politique, économique et culturelle des pays européens. Il ne négligeait pas pour autant la compagnie de ses compatriotes, de passage ou en séjour prolongé, tels ses frères Ulric, Édouard et Lorenzo, des hommes politiques comme Adélard Turgeon, Rodolphe Lemieux* ou Honoré Beaugrand et, bien entendu, des étudiants nombreux, essentiellement des médecins et des artistes. À partir de 1897, la maladie le força à espacer ses sorties et à recevoir des amis à sa chambre du quai Montebello. L’abbé Camille Roy*, aux études à Paris, fut fortement influencé par les idées de Nevers sur les problèmes d’éducation.
Malade depuis longtemps, Nevers s’embarqua le 14 juillet 1900 au Havre pour rentrer en Amérique. Il avait appris la veille qu’il souffrait d’ataxie locomotrice. Il s’installa à Québec, rue Charlevoix, pour occuper un poste de publiciste au département de la Colonisation et des Mines. Tout en préparant un programme de colonisation pour ses patrons, il faisait des conférences à Québec, à Montréal et en Nouvelle-Angleterre, et publiait de nombreux articles. Dès son arrivée à Québec, il avait entrepris la traduction de Civilization in the United States [...] de Matthew Arnold, qui paraîtrait en 1902. Ses amis lui avaient offert un dîner intime le 30 mars 1901 à l’hôtel Viger, à Montréal, pour lui rendre hommage. À ce dîner présidé par Gonzalve Desaulniers*, se trouvaient entre autres les avocats Lomer Gouin* et Rodolphe Lemieux, le journaliste Olivar Asselin* ainsi que les consuls de France, de Suisse et de Russie. Sentant ses forces décliner, Nevers dut quitter Québec à la fin de 1902 ou au début de 1903 et aller vivre entre ses parents le reste de son âge. Il s’éteignit à Central Falls le 15 avril 1906 à 44 ans.
Musicien, peintre et poète, Nevers aurait pu devenir l’un des grands artistes canadiens-français de la fin du siècle, tels qu’Émile Nelligan* ou Charles Gill*. Mais il a été hanté dès son temps de collège par le destin du peuple canadien-français en cette terre d’Amérique. Dès lors, il n’a plus eu de cesse qu’il n’étudiât l’histoire, la littérature et les sciences sociales pour mieux comprendre la société canadienne-française et les États-Unis d’Amérique, et mieux préparer ainsi l’avenir de son peuple, non seulement au Québec mais aussi dans le cadre d’une intégration aux États-Unis. Dans l’Avenir [...], il a proposé un programme complet d’action politique et de réforme du système d’éducation. L’Âme américaine a montré sa capacité d’analyse et de synthèse, son intelligence critique et son sens de l’observation. Nevers a exercé une profonde influence sur les nationalistes de son temps et sur bien d’autres après. Il avait encore quelques ouvrages sur le métier, tels qu’un livre sur les questions économiques canadiennes et un roman de murs politiques.
S’il a surtout écrit sur le Canada, le Québec et les États-Unis, Edmond de Nevers n’en était pas moins bien informé des grands problèmes qui se posaient à l’Occident de la fin du xixe siècle. Comme le montrent sa correspondance et ses articles parus dans la Presse, la politique internationale, les affaires coloniales, les problèmes sociaux et l’antisémitisme faisaient partie de ses préoccupations. Le sociologue Léon Gérin*, qui voulait le faire entrer à la Société royale du Canada en 1901, considérait Edmond de Nevers comme le plus grand des intellectuels canadiens-français de son temps.
Edmond de Nevers [Edmond Boisvert] est l’auteur de l’Avenir du peuple canadien français (Paris, 1896) et de l’Âme américaine (2 vol., Paris, 1900). De plus, il a fait la traduction des ouvrages suivants : Henrik Ibsen, l’Union des jeunes et les Soutiens de la société, Pierre Bertrand et Edmond de Nevers, trad. (Paris, 1893) ; Matthew Arnold, Études sur les États-Unis, Edmond de Nevers, trad. (Québec, 1902).
Pour une bibliographie exhaustive se rattachant à la vie et à l’œuvre d’Edmond de Nevers, on consultera : Claude Galarneau, Edmond de Nevers essayiste, suivi de textes choisis (Québec, 1959).
ANQ-MBF, CE1-13, 12 févr. 1862.— Le Journal de Françoise (Montréal), 21 avril 1906.— La Patrie, 1er avril 1901.— Le Soleil, 20, 28 avril 1906.— Ferdinand Brunetière, « l’Âme américaine », Rev. des deux mondes (Paris), 1re déc. 1900 : 664–702.— DOLQ, 1 : 48–51 ; 2 : 32–34.— Antonio Perrault, « les Précurseurs : Edmond de Nevers », l’Action française (Montréal), 3 (1919) : 193–218.— François Ricard, « Edmond de Nevers : essai de biographie conjecturale », l’Essai et la Prose d’idées au Québec [...] (Montréal, 1985), 347–366.
Claude Galarneau, « BOISVERT, EDMOND, dit Edmond de Nevers (baptisé Abraham-Edmond) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/boisvert_edmond_13F.html.
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Auteur de l'article: | Claude Galarneau |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |