GAUVREAU, LOUIS, marchand, propriétaire foncier et homme politique, né le 11 mai 1761 à Petite-Rivière-Saint-Charles, dans la paroisse Notre-Dame de Québec, fils d’Alexis Gauvreau, cultivateur, et de Marie-Anne Hamel ; le 23 février 1783, il épousa à Québec Marie-Louise Beleau, et ils eurent trois enfants, puis le 13 septembre 1806, dans la même ville, Josette Vanfelson, et de ce mariage naquirent trois enfants ; décédé le 16 août 1822 à Québec.

Très jeune, Louis Gauvreau ne semble pas avoir été attiré outre mesure par l’idée de devenir cultivateur comme son père, car il quitta le domaine familial de Petite-Rivière-Saint-Charles pour aller demeurer à Québec. On ne sait pas si Gauvreau reçut une formation scolaire poussée. Cependant, si l’on se fie à sa signature dans laquelle toutes les lettres sont bien formées et très lisibles, on peut croire qu’il avait dépassé le stade des études primaires.

Sur le plan familial, Gauvreau fut durement éprouvé par des pertes douloureuses. Marié à l’âge de 21 ans, il perdit sa femme en avril 1805 ; elle laissait dans le deuil trois enfants. Puis, en 1808, deux ans après le remariage de Gauvreau, sa femme donna naissance à un enfant mort-né. Le 9 juin 1813, un autre enfant, né deux jours plus tôt, mourut en même temps que sa mère, qui était alors âgée de 35 ans. Enfin, en 1818, survint le décès de l’unique fils de Gauvreau, Édouard, qui avait été lieutenant dans le Royal Newfoundland Régiment.

Sur le plan social, Gauvreau se révéla un citoyen actif. Au cours des années 1790, il était déjà membre de la Société du feu de Québec, et entre 1807 et 1814 son nom figure parmi les marguilliers de la paroisse Notre-Dame de Québec. Au début du xixe siècle, ayant acquis une certaine aisance matérielle, il n’hésita pas à apporter régulièrement sa contribution financière à des associations désintéressées. En outre, il donna de l’argent en 1817 pour la construction d’une route devant relier les plaines d’Abraham à Cap-Rouge. À cette époque, Gauvreau était déjà un notable, et faire des dons lui permettait de soigner son image d’homme politique soucieux de prendre part à la vie de sa communauté. Gauvreau faisait partie de l’élite sociale de Québec. Sa fille Adélaïde se maria avec Claude Dénéchau*, et Marie-Josephte-Reine - seul enfant issu du second mariage à avoir survécu - épousa sir Narcisse -Fortunat Belleau*.

Sur le plan des affaires, Gauvreau est un homme qui a incontestablement réussi. Ses activités économiques s’articulaient autour de trois secteurs : celui du commerce de gros et de détail, celui de l’immobilier et du foncier, et, enfin, celui du crédit. Tout semble indiquer que ses affaires commerciales ont commencé à prendre de l’expansion dès le début du xixe siècle. Encore en 1799, il était obligé d’emprunter £250 à deux compatriotes pour financer ses activités. C’est d’ailleurs l’une des rares fois où Gauvreau se trouva dans une situation de débiteur. Cependant, dès le 11 mars 1800, il avait acquitté une partie de son emprunt et, le 19 mars 1801, ses créanciers lui donnaient quittance générale.

Entre le moment de cet emprunt et l’année 1806, Gauvreau s’occupa remarquablement bien de son magasin général sis dans le faubourg Saint-Jean, car l’inventaire des stocks de son commerce s’élevait cette année-là à plus de £1 000, ce qui en faisait une boutique importante pour l’époque. Détail intéressant, il avait en entrepôt une grande quantité de bois, ce qui veut dire qu’à la veille du boom dans le commerce du bois et la construction navale qui allait commencer vers 1807 il était déjà présent dans un secteur prometteur. Le bois semble avoir constitué une partie substantielle de ses ventes, car Gauvreau s’approvisionnait occasionnellement aux États-Unis. De plus, la grande quantité dont il disposait en entrepôt laisse supposer que les acheteurs pouvaient s’en procurer aussi bien en gros qu’au détail.

Dans son magasin général, Gauvreau offrait des marchandises de toutes sortes, locales et importées : il vendait des poêles et des pelles fabriqués aux forges du Saint-Maurice, mais aussi des tissus, des chapeaux et des gants qui venaient d’Angleterre. À cause de l’importance et de la variété des stocks de son magasin, sa clientèle provenait, en plus de la ville de Québec et des faubourgs, de toute la région, notamment de Cap-Santé, de Saint-Nicolas, de Sainte-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce (Sainte-Marie), de Berthier (Berthier-sur-Mer), de Sainte-Anne-de-La-Pocatière (La Pocatière) et de Baie-Saint-Paul. Il comptait parmi ses clients des représentants de presque tous les groupes sociaux : des cultivateurs, des forgerons, des membres de professions libérales, tel le notaire Joseph-Bernard Planté, et évidemment plusieurs petits marchands.

Gauvreau faisait-il directement affaire avec les maisons commerciales de Londres ou passait-il par des intermédiaires tels que les marchands-négociants de Québec, qui eux s’approvisionnaient auprès des grandes sociétés en Angleterre ? Il est difficile de se prononcer catégoriquement là-dessus, mais on sait que Gauvreau avait des comptes passifs auprès de certaines firmes et de marchands britanniques de Québec comme la société Blackwood, Paterson and Company et le marchand Joshua Wharton. Ces comptes sont des indices qui laissent supposer qu’il s’approvisionnait en tissus et articles de nouveauté par le biais des grands importateurs locaux.

Voulant sans doute éviter de mettre tous ses capitaux dans un même secteur, ce qui dénote une certaine prudence, Gauvreau avança des sommes d’argent assez substantielles à de nombreux individus de Québec. L’importance des sommes qu’il prêtait révèle qu’il exerçait ce métier de banquier à un niveau assez élevé. Ses débiteurs se retrouvaient aussi bien parmi les notables et les grands marchands que parmi les citoyens ordinaires. C’est ainsi qu’il prêta à John Caldwell* £1 860 en 1812, puis £3 250 en 1815, et au marchand Michel Borne, £350 en 1815. Entre les mois d’avril et d’octobre 1817, il prêta au total £2 622 à diverses personnes de la ville de Québec et de la région. Si l’on considère qu’entre 1804 et 1806 il n’avait consenti que pour £666 de prêts, on peut dès lors conclure qu’avec les années Gauvreau était devenu non seulement un financier reconnu et en demande mais un homme fortuné. En effet, pour avancer autant d’argent, qui était remboursé sur des périodes relativement longues, soit entre un an et deux ans, il fallait qu’il dispose d’un surplus de capitaux élevé afin de continuer à investir dans son commerce et dans l’immobilier, mais aussi de mener un train de vie en conformité avec son rang social.

Même si ses occupations dans l’immobilier étaient de moindre importance, il n’en demeure pas moins que Gauvreau était activement présent dans ce secteur. Il tirait ainsi certains revenus de la location de deux maisons situées en basse ville et d’une boulangerie établie dans le faubourg Saint-Jean. À l’occasion, il n’hésita pas à vendre certaines de ses propriétés, surtout dans les premières années du xixe siècle, probablement pour réinvestir cet argent dans son commerce ou le prêter. Cela lui permettait de consolider sa position. Lorsque sa fortune fut bien assurée vers les années 1810, il préféra surtout accumuler des propriétés immobilières et foncières, se donnant ainsi une bonne sécurité matérielle contre les imprévus. C’est dans une telle optique qu’il se porta acquéreur en 1815, moyennant £600, de la totalité du fief de la Grosse-Île, qu’il paya comptant ; vers 1800, il possédait déjà le quart de ce fief, mais il l’avait cédé en 1808 à sa fille Adélaïde. En 1817, il acquit une petite maison dans le faubourg Saint-Roch, probablement pour la mettre en location. Cette année-là, il prenaitune sérieuse option sur la seigneurie de la Rivière-du-Sud en achetant par un acte de transport les dettes d’un des propriétaires, Jacques Couillard-Després, au coût de £550.

Gauvreau habitait une luxueuse résidence en pierre à deux étages, rue de la Montagne, dans la basse ville. En 1808, elle était évaluée à £1 200, ce qui à l’époque représentait une somme relativement élevée pour une maison. C’est donc dire que Gauvreau logeait dans une résidence qui symbolisait sa formidable réussite en affaires. Tout son cheminement le conduisait logiquement au rang de marchand-négociant. S’il avait vécu une dizaine d’années de plus, il est probable qu’il l’aurait atteint.

Après avoir accumulé une fortune en affaires, Gauvreau décida de se lancer en politique. Il était âgé de 48 ans lorsqu’en mars 1810, par le biais de la Gazette de Québec, il sollicita l’appui des citoyens pour l’élection qui devait avoir lieu le mois suivant. Élu député de la circonscription de Québec, il prit le temps, en homme qui soigne son image, de remercier, par le truchement du même journal, les électeurs qui avaient placé leur confiance en lui. Il allait utiliser le même procédé en 1816 et 1820. De fait, Gauvreau siégea sans discontinuer à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada de 1810 à 1822, année de sa mort. À aucun moment sa nouvelle fonction ne l’empêcha de poursuivre ses activités commerciales et financières.

À l’Assemblée, le travail de Gauvreau fut empreint de sobriété et d’assiduité. Gauvreau semble avoir été en très bons termes avec Louis-Joseph Papineau*. À l’ouverture de la première session de la huitième législature, le 21 janvier 1815, il appuya la motion de son collègue Thomas Lee, qui avait proposé Papineau comme président de la chambre. Au mois de février, lorsque Lee présenta à l’Assemblée une motion dans le but d’allouer un salaire au président, c’est encore Gauvreau qui appuya la motion. Cependant, il vota contre le projet de loi qui visait à accorder un salaire au président du Conseil législatif.

Gauvreau ne se rangea pas systématiquement du côté de ses collègues canadiens lors des votes. Il agissait et votait selon sa conscience et ses préoccupations. De fait, en 1815, il se prononça en faveur de l’application du droit privé anglais dans la province, tel qu’il était pratiqué en Angleterre. Cette proposition fut repoussée par une majorité des députés. Par ailleurs, quand, en 1816, Augustin Cuvillier* présenta à l’Assemblée une pétition des marchands de Montréal qui souhaitaient l’établissement d’une banque, Gauvreau appuya sans réserve la motion de son collègue voulant que ladite pétition soit envoyée pour étude devant un comité de la chambre. L’année suivante, la Banque de Montréal était fondée et, en 1818, elle avait mis en place une succursale à Québec. En tant que marchand au fait de la conjoncture économique de l’époque qui poussait à l’instauration d’un système bancaire dans le Bas-Canada, Gauvreau était pour la création d’une banque. Mais comme marchand de la ville de Québec, il aurait pu s’opposer à la constitution d’un établissement issu du milieu des affaires de Montréal. Cette absence de sectarisme illustre l’envergure du personnage.

En qualité de parlementaire, Gauvreau siégea à plusieurs comités formés pour étudier divers cas d’ordre socio-économique. C’est ainsi qu’on le retrouve parmi les membres du comité chargé d’examiner les « Comptes et États qui ont accompagné le Message de Son Excellence le Gouverneur en Chef, relativement à la détresse des Paroisses de Campagnes » et parmi ceux du comité chargé d’étudier une loi sur les règlements de police. De plus, il participa bien souvent à toutes les étapes des projets de loi soumis aux parlementaires. La présence assidue d’un homme qui avait à l’extérieur du Parlement de nombreuses activités fort lucratives est méritoire. Même lorsqu’il était très malade en 1822, l’année de sa mort, Gauvreau trouva encore de l’énergie pour prendre part aux divers travaux de la chambre d’Assemblée. On comprend dès lors les raisons qui ont poussé ses électeurs à lui faire confiance pendant 12 ans.

En définitive, Louis Gauvreau doit être perçu comme l’exemple typique d’une certaine bourgeoisie canadienne qui a su montrer qu’elle était en mesure d’atteindre la réussite matérielle par le biais des activités commerciales.

George Bervin

ANQ-Q, CE1-1, 12 mai 1761, 13 sept. 1806, 26 janv. 1808, 9 févr. 1812, 7, 9 juin 1813, 19 août 1822 ; CN1-16, 30 mars, 10 nov. 1805, 10, 21 févr., 23 juin, 25 juill., 25 août, 1er, 20 sept., 29 oct., 19–20 nov. 1806, 8 mars, 1er avril 1808, 24 oct., 20 nov. 1815 ; CN1-49, 15 juin 1815 ; CN1-99, 23 nov. 1802 ; CN1-178, 15 mars 1799, 11 mars 1800, 19 mars, 11 avril 1801 ; CN1-205, 23 févr. 1783 ; CN1-212, 2 août 1822 ; CN1-230, 10 avril 1804, 12 sept. 1806 ; CN1-262, 24 mai 1807, 1 er avril 1808, 18 juin 1812, 29 mai, 6 sept. 1815, 31 mars, 11, 21, 23 avril, 30 mai, 2, 4, 6, 9, 13–14, 20 juin, 2, 4, 7 juill., 6 sept., 9, 20 oct. 1817.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1815: 26–27, 57, 331, 492 ; 1816: 173 ; 1817 : 169, 203, 217 ; 1818 : 12 ; 1822, févr.— La Gazette de Québec, 11 juin 1795, 21 mars 1799, 15 mars, 5 avril 1810, 14 mars, 4 avril 1816, 13 mars 1817, 9 avril 1818, 2, 16 mars 1820, 19 avril, 19 août 1822.— Desjardins, Guide parl.— George Bervin, « Aperçu sur le commerce et le crédit à Québec, 1820–1830 » RHAF, 36 (1982–1983) : 527–551.— Henri Têtu, « l’Abbé André Doucet, curé de Québec, 1807–1814 », BRH, 13 (1907) : 18.

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George Bervin, « GAUVREAU, LOUIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gauvreau_louis_6F.html.

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Auteur de l'article:    George Bervin
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    28 novembre 2024