CHARITÉ, ESPÉRANCE, FOI, jeunes Montagnaises adoptées par Samuel de Champlain en 1628.

Depuis longtemps, Champlain désirait adopter de jeunes Indiens pour les faire instruire en France. Mais il avait à surmonter l’attachement très fort que les sauvages avaient pour leurs enfants : des parents, écrit-il, avaient refusé des offres alléchantes. Or, le 2 février 1628, les Montagnais vinrent lui offrir trois jeunes filles âgées de 11, 12, et 15 ans – dont l’une était la fille de Mécabou, dit Martin – dans un effort pour renouer avec Champlain l’amitié compromise l’automne précédent par le meurtre de deux Français. Champlain accepta les jeunes Indiennes et les nomma Foi, Espérance et Charité.

Toutes les trois, paraît-il, étaient ravies à l’idée de recevoir une éducation française, mais Foi regagna bientôt la forêt. Espérance et Charité demeurèrent au fort Saint-Louis où Champlain leur enseigna « tout ce qui était de leur créance ». Il leur apprit « à travailler à l’aiguille, tant en linge qu’en tapisserie, en quoi, note Champlain avec enthousiasme, elles travaillent fort proprement, étant au reste fort civilisées ».

La guerre mit bientôt fin à cette vie de famille et à cette tentative de civilisation. En juillet 1629, Champlain, forcé de livrer Québec aux Anglais, demande à Lewis Kirke l’autorisation d’emmener en France ses deux sauvagesses. Kirke se laisse difficilement convaincre. Enfin, le 24 juillet, Espérance et Charité s’embarquent pour Tadoussac, « portées d’un désir extrême de venir en France », mais l’intervention de Nicolas Marsolet va tout gâcher. Désireux de séduire les pupilles de Champlain, il écrit à David Kirke que les Montagnais, réunis à Trois-Rivières, s’opposent au départ des deux sauvagesses. Champlain soutient que ce n’est là qu’un mensonge, mais Kirke, qui veut assurer ses positions, craint de mécontenter les indigènes. Champlain insiste : il est prêt à leur donner 1 000# de marchandises. Kirke, pressé par Marsolet, refuse tout net. Espérance et Charité en perdent le goût du boire et du manger.

Un soir, Kirke reçut la compagnie à souper : il y avait là ses deux frères, Champlain, les capitaines de vaisseaux et Marsolet. S’adressant à ce dernier, Espérance l’accusa de trahir les Français, de l’avoir poursuivie de ses offres indécentes et d’empêcher qu’elle et sa compagne n’aillent en France « y apprendre à servir Dieu ». Et elle ajoutait : « Si à l’avenir tu m’approches, je te donnerai d’un couteau dans le sein ». Charité la secondait : « Si je tenais ton cœur, j’en mangerais plus facilement et de meilleur courage que des viandes qui sont sur cette table. » Marsolet « resta tout honteux, et ne savait que répondre sinon qu’elles étaient folles ».

Espérance et Charité restèrent quand même au pays. Au moment de la séparation, Champlain et son beau-frère Eustache Boullé remirent à chacune un chapelet. À Guillaume Couillard, qui n’émigrait pas, Champlain recommanda « de les mettre avec sa femme tant qu’elles y voudraient être ». Le 14 septembre 1629, Couillard s’embarquait pour Québec avec les deux Montagnaises. Champlain ne semble pas avoir revu ses filles adoptives : à son retour, en 1633, il n’en parle plus. La forêt avait dû les reprendre.

En instruisant ces enfants indigènes, Champlain créait un précédent. Chomedey de Maisonneuve, les sœurs de la congrégation de Notre-Dame et surtout les Ursulines de Québec poursuivront cette politique de francisation. Toutefois, on ne connaît guère que la sauvagesse Marie-Madeleine Chrestienne – qui épousa Pierre Boucher* en 1649 – qui ne soit pas retournée à la vie des bois.

Marcel Trudel

Champlain, Œuvres (Biggar), V : 248–253 ; VI : 60, 62, 70, 104–124, 144.— Sagard, Histoire du Canada (Tross), IV : 829s., 908–911.— Dionne, Champlain, II : 409–412.— Marcel Trudel, LEsclavage au Canada français : histoire et conditions de lesclavage (Québec, 1960), 8s.

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Marcel Trudel, « ESPÉRANCE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/esperance_1F.html.

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Auteur de l'article:    Marcel Trudel
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    28 novembre 2024