DUGAS (Dugast), JOSEPH, marchand, corsaire et officier de milice, né en 1714 à Grand-Pré (Nouvelle-Écosse), deuxième fils de Joseph Dugas et de Marguerite Richard ; il épousa d’abord Marguerite Leblanc, fille de Joseph Leblanc, dit Le Maigre, et ils eurent sept enfants, et, en secondes noces, Louise Arseneau à Chedabouctou (Guysborough, Nouvelle-Écosse) en 1762 ; décédé le 11 janvier 1779 à Saint-Servan, France.

Joseph Dugas était tout jeune quand sa famille s’installa dans la nouvelle colonie de l’île Royale (île du Cap-Breton). En 1729, à l’âge de 15 ans, il commandait le Nouveau Commerçant faisant le cabotage entre Louisbourg et l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard). Travaillant avec son père, jusqu’à la mort de celui-ci en 1733, puis à son propre compte, il fournit du bois de chauffage à la garnison de Louisbourg. Entre 1730 et 1737, le revenu annuel que rapportait cette entreprise s’élevait en moyenne à 5 567#, somme phénoménale si on la compare à la solde de 1 080# d’un capitaine de garnison.

En 1737, Dugas, en association avec Jean Milly, dit La Croix, et François Poinsu, se vit accorder un contrat de trois ans aux termes duquel il devait approvisionner en bœuf frais la garnison ainsi que la population civile de Louisbourg. Ce contrat était considérable du fait que l’île Royale importait virtuellement toutes les denrées alimentaires. L’opération commença bien en juillet 1738, mais les difficultés surgirent lorsque le ministre de la Marine, Maurepas, suivant la politique commerciale française, stipula qu’il fallait importer le bétail du Canada plutôt que de la Nouvelle-Écosse britannique. En outre, au cours de la même année, les marchands de l’endroit firent valoir que le commerce de Dugas était une façade pour le monopole de François Du Pont Duvivier. En 1740, le contrat fut légèrement modifié de façon à stipuler que Dugas fournirait par an au moins 30 têtes de bétail en provenance du Canada. Les conditions du contrat ne furent toutefois jamais appliquées rigoureusement, probablement à cause de la protection des autorités de Louisbourg [V. Du Pont Duvivier] ; en 1744, les délégués acadiens signalèrent à Paul Mascarene* que Dugas avait conduit des bêtes à cornes et des moutons par voie de terre des Mines (Nouvelle-Écosse) à Baie-Verte (Nouveau-Brunswick) puis par mer à Louisbourg. Dugas continua de pourvoir aux besoins de la garnison jusqu’en 1745.

En raison de ses allées et venues, Dugas fut à même de fournir aux Français des renseignements militaires. En octobre 1744, il avertit Claude-Élisabeth Denys* de Bonnaventure, commandant des forces navales qui devaient se joindre aux troupes terrestres de Duvivier pour attaquer Annapolis Royal (Nouvelle-Écosse), que ce dernier s’était déjà retiré. Le 17 mai 1745, Louis Du Pont Duchambon, commandant de Louisbourg, dépêcha Dugas pour repérer Paul Marin* de La Malgue en Acadie et lui faire connaître le besoin pressant qu’avait la forteresse assiégée d’être secourue. Après la chute de Louisbourg, William Pepperrell* et Peter Warren* envoyèrent Dugas en Nouvelle-Écosse pour inciter les Acadiens à ravitailler la troupe d’occupation. L’association de Dugas avec Pepperrell et Warren fut de courte durée. Lorsque des Indiens de l’île Royale pillèrent son bateau à Tatamagouche et le menacèrent, Dugas se retira aux Mines jusqu’à la rétrocession de l’île Royale à la France en 1749 ; il s’établit alors à Port-Toulouse (près de St Peters, Nouvelle-Écosse). Le recensement de 1752 décrit Dugas comme étant un « habitant-caboteur » ; ses biens étaient maigres : trois têtes de bétail, deux porcs, une douzaine de volailles et deux acres en navets qui, se plaignait-il, « n’y [étaient] jamais venus beaux ». L’achat d’un navire améliora sans aucun doute sa situation. L’historien François-Edmé Rameau de Saint-Père signale que, jusqu’en 1756, Dugas et plusieurs autres reçurent 60 000# pour faire plus de 300 traversées à transporter des Acadiens réfugiés et leurs vivres à l’île Saint-Jean.

À la suite de la seconde capitulation de Louisbourg le 26 juillet 1758, Dugas s’enfuit à Québec où on lui remit une commission de corsaire. En janvier 1759, il transmit des renseignements au commandant de la région de la rivière Miramichi (Nouveau-Brunswick) sur les préparatifs des Britanniques à Halifax et à Louisbourg ainsi que sur les Acadiens qui avaient subi « toutes les misères imaginables ». Il précisa aussi que les villageois de Port-Toulouse avaient :’intention de se joindre à la troupe de plus en plus nombreuse de partisans et réfugiés acadiens au nord de la région de Chignectou, qui continuaient à esquiver le filet britannique.

En février 1760, Dugas se trouvait à Richibouctou (Nouveau-Brunswick), où il s’éleva énergiquement contre la soumission à laquelle le missionnaire Jean Manach* encourageait les Acadiens. À l’hiver suivant, Dugas était major de milice des partisans de la région de la baie des Chaleurs. Ce dernier centre de résistance française s’effondra lentement après la capitulation de François-Gabriel d’Angeac, le 30 octobre 1760. La présence ininterrompue d’un petit détachement de 12 hommes des troupes de la Marine sous les ordres de François Boucher de Niverville (Nebourvele) Grandpré ainsi que de partisans et corsaires acadiens alarma Jonathan Belcher, administrateur de la Nouvelle-Écosse ; en octobre 1761, on envoya le capitaine Roderick MacKenzie avec 56 soldats pour pacifier la région. Étant donné le nombre d’Acadiens et le manque de navires, MacKenzie ne put transporter que les chefs acadiens, y compris Dugas (Di Gaw dans certains documents britanniques), au fort Cumberland (près de Sackville, Nouveau-Brunswick) puis à Halifax où ils furent emprisonnés. Parmi les Acadiens laissés sur place se trouvait Alexis Landry. Lors de sa capture, Dugas, semble-t-il, possédait deux chaloupes de 20 tonneaux (l’une en association avec Joseph Leblanc, dit Le Maigre), lesquelles avaient pu être armées en corsaire.

Un an plus tard, Dugas s’était évadé et se cachait à Chedabouctou où, le 2 octobre 1762, il épousa Louise Arseneau sans la présence d’un prêtre, « par l’impossibilité de se présenter à l’Église ». En 1764, Dugas émigra à l’île Miquelon où l’on régularisa son mariage en mai 1766. Les Acadiens qui, pour demeurer fidèles aux autorités françaises, étaient allés s’installer aux îles Saint-Pierre et Miquelon n’eurent pas un heureux sort. En 1767, par suite de la politique française, plusieurs Acadiens, parmi lesquels Dugas, furent déportés ou encore quittèrent les îles [V. d’Angeac]. Dugas arriva à Saint-Malo en novembre 1767, rien que pour se voir contraint, avec d’autres Acadiens, de retourner dans les îles le printemps suivant.

Joseph Dugas vécut ses dernières années dans l’indigence. En 1776, après un demi-siècle d’entreprises en Acadie, il ne possédait qu’une partie de lot sur un rivage, une maison, une écurie et deux têtes de bétail. Deux ans plus tard, à l’âge de 64 ans, Dugas subit sa dernière épreuve : les Français ayant donné refuge aux corsaires yankees pendant la Révolution américaine, les Britanniques, en représailles, s’emparèrent des îles Saint-Pierre et Miquelon et déportèrent en France ses quelque 1300 habitants. Dugas et sa femme débarquèrent une fois de plus à Saint-Malo, le 6 novembre 1778. Il mourut non loin de là, à Saint-Servan, le 11 janvier 1779 ; sa femme mourut cinq mois plus tard, le 10 juin.

Bernard Pothier

AD, Ille-et-Vilaine (Rennes), État civil, Saint-Servan, 11 janv. 1779.— AMA, SHA, A1, 3 498, no 6.— AN, Col., B, 65, ff.447v.–448v. ; 66, ff.297–298 ; 70 ; C11A, 105, ff.49–49v., 60–60v. ; C11B, 19, f.133 ; 20, ff.52, 304–306v. ; 22, ff.202, 288–289 ; 25, f.43 ; C11C, 11 ; 12, f.155 ; Section Outre-mer, Dépôt des fortifications des colonies, Am. sept., no 216 ; G1, 413A, ff.26, 65 ; 467, f.28 ; G2, 180, ff.350–353 ; 182, ff.629–639 ; 191, ff.58–58v. ; G3, 2 037, f.66 ; 2 038/1, f.18 ; 2 045, f.29.— CÉA, Fonds Patrice Gallant, les Acadiens à Miquelon, dossier VII, 191–191b.— PRO, CO 217/1, ff.222–222v. ; WO 34/1, pp.47–52, 63–70, 117–126, 139–144, 313–328 (copies aux APC).— APC Report, 1894, 226s., 229s. ; 1905, II, ire partie : 17.— Placide Gaudet, Acadian genealogy and notes, APC Report, 1905, II, iiie partie : 175, 191–196, 260–264, 271s.— N.S. Archives, IV, 52, 76s.— Papiers Amherst (1760–1763) concernant les Acadiens, R.-S. Brun, édit., Soc. historique acadienne, Cahier (Moncton, N.-B.), III (1968–1971), 257–320.— [F.-E.] Rameau de Saint-Père, Une colonie féodale en Amérique : l’Acadie (1604–1881) (2 vol., Paris et Montréal, 1889), II : 386s.— Bernard Pothier, Acadian emigration to Île Royale after the conquest of Acadia, HS, no 6 (nov. 1970) : 116–131.

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Bernard Pothier, « DUGAS, JOSEPH (1714-1779) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dugas_joseph_1714_1779_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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