DUFOURNEL, LOUIS-GASPARD, prêtre, curé, né à Lyon, France, le 15 septembre 1662, fils de Guillaume Dufournel, avocat au parlement et à la cour de Lyon, décédé à L’Ange-Gardien (Québec) le 30 mars 1757.
Louis-Gaspard Dufournel fut ordonné prêtre en 1687 et obtint peu après le bénéfice de chanoine de l’église « Notre-Dame de Trevolse », principauté de Dombes (aujourd’hui dans le dép. de l’Ain, France), qu’il résignera le 3 novembre 1693. Il vint en Nouvelle-France en 1688 et desservit d’abord les paroisses de Champlain et de Batiscan jusqu’en octobre 1694, date à laquelle Mgr de Saint-Vallier [La Croix*] le nomma curé de L’Ange-Gardien ; il y passera le reste de sa vie. Des 63 années qu’il exerça les fonctions curiales dans cette paroisse, il ne reste que les registres des baptêmes, mariages et sépultures, qu’il rédigea lui-même sans interruption jusqu’en juin 1749, et quelques actes notariés dont on retrouve la liste dans son inventaire après décès du 5 avril 1757. Les archives du séminaire de Québec conservent cependant plusieurs documents écrits de la main du curé Dufournel et qui datent de l’époque où celui-ci, avec le curé de Beauport, Étienne Boullard*, décida, en 1705 et en 1706, d’exiger la dîme de tous les produits de la terre.
En fondant un séminaire à Québec, le 26 mars 1663, Mgr de Laval* avait affecté au soutien de son œuvre « toutes les dixmes de quelque nature qu’elles soient et en la manière qu’elles seront levées dans toutes les parroisses et lieux dudit pais ». Le Conseil souverain enregistra, le 10 octobre suivant, cet acte de fondation comportant l’établissement des dîmes. En avril 1663, les lettres patentes du roi pour l’établissement du séminaire de Québec stipulaient ce qui suit : « toutes les dixmes de quelque nature qu’elles puissent estre, tant de ce qui naist par le travail des hommes que de ce que la terre produit d’elle-même, se payeront seullement de treize, une », et seront affectées pour toujours « à la fondation et à l’entretien de ce Séminaire et Clergé ». Ces dîmes seront levées « de tous les fruits [...] qui proviendront sur toutes les terres dans ledit païs de la Nouvelle France ». Les protestations des habitants obligèrent Mgr de Laval à restreindre la portée de ces mesures. Dès le 26 octobre 1663, il déclarait qu’eu égard à l’état présent du pays il avait jugé à propos d’accorder aux habitants que les dîmes ne seraient payées « qu’à la vingtiesme six années durant ». Le 1er février 1664, il dut leur accorder que les dîmes seraient levées au vingtième sa vie durant. Enfin, le 10 mars 1664, pour clarifier l’expression « ce qui naist par le travail des hommes », que les habitants craignaient devoir s’appliquer à une variété indéfinie de produits, Mgr de Laval précisa qu’elle ne voulait dire « autre chose que le labourage de la terre » et, par conséquent, qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’aux grains.
Néanmoins, Mgr de Laval ne voulut pas laisser prescrire les droits que lui accordaient les lettres patentes de 1663 et, le 23 août 1667, il aurait obtenu de Tracy [Prouville*], de Courcelle [Rémy*] et de Jean Talon* une ordonnance en vertu de laquelle « les dixmes de quelque nature qu’elles puissent estre, tant de ce qui naist en Canada par le travail des hommes [...] que de ce que la terre produit d’elle mesme, se lèveront au profit des Ecclésiastiques qui deserviront les Cures, sur le pied de la vingt sixiesme portion, par provision et pour le temps présent, sans préjudice à l’Edict cy devant mentionné ny aux temps futurs ». Ce document conservé aux archives du séminaire de Québec est une copie que le notaire Claude Auber* aurait collationnée le 22 octobre 1671 « sur l’original en pappier [...] ledit original rendu ». Il ne porte donc aucune signature et le Conseil supérieur refusa d’en reconnaître l’authenticité, en raison de vices de forme, omissions suspectes, défaut d’enregistrement et autres irrégularités que le procureur général du roi, François-Madeleine-Fortuné Ruette* d’Auteuil, exposa longuement dans ses conclusions du 20 janvier 1706 et dans son mémoire du 30 mai 1707 sur la difficulté survenue au sujet des dîmes.
C’est sur cette ordonnance de 1667 que les curés Boullard et Dufournel s’appuyaient pour exiger la dîme « non seulement des grains, comme il a[vait] été pratiqué jusqu’à présent, mais encore de tout ce que la terre produit par la culture ou sans culture ». De son côté, le Conseil s’appuyait sur l’édit du roi de mai 1679 qui stipulait que les dîmes seraient levées suivant le règlement du 4 septembre 1667, c’est-à-dire « des grains seulement à raison du vingt sixième minot, en considération que les habitans seroient tenus de l’engranger, battre, vanner et porter au presbytère ». Comme ce règlement n’existait pas plus en original qu’en copie, les curés à leur tour en niaient l’authenticité. Le Conseil soutenait qu’il avait été déposé au secrétariat de l’intendant Talon « et quoiqu’il ne paroisse pas, parce que la plus grande partie de ce secrétariat a été dissipé [...] il a esté exécuté de bonne foi de part et d’autre ». En somme, on alléguait que l’usage pratiqué depuis 1667 ne pouvait être que conforme à ce règlement.
Quoi qu’il en soit, d’après les « réponses » que les curés Boullard et Dufournel présentèrent au Conseil supérieur le 22 décembre 1705 – suite à l’arrêt du 18 novembre rendu par le conseil, les sommant d’expliquer la nouvelle dîme exigée et prescrivant aux autres curés de s’en tenir à l’ancienne – Boullard n’aurait exigé que la dîme du lin dont les habitants avaient commencé la culture deux ans plus tôt. Pour lui comme pour les jurisconsultes de France, « la substance du fond n’estant point changée, quoy que la superficie ou la nature du fruit qu’on y sème change, remanet eadem causa debendi, et la dixme affectée sur le fond estant toujours deüe et subsistant tant que le fond subsiste, le fruit qui y croist est sujet à la dixme ». Les curés font remarquer que la dîme des grains va diminuer graduellement, car l’expérience leur fait voir « qu’une grande partie des terres qui rapportoient autrefois des grains sont laissées maintenant en prairies, que d’autres vont estre occupées par le chanvre et le lin et d’autres par de grands vergers qu’on a desja commancé de préparer en plusieurs endroits ».
Le curé Dufournel, dans sa propre réponse, va plus loin que le curé Boullard. Il soutient non seulement que « le bled, les poix et tous les autres grains, le lin, le chanvre, les citrouilles, le tabac, les jardinages et particulièrement ceux dont on fait commerce, les pommes et tous les autres fruits et productions de la terre [...] naissent par le travail des hommes et par conséquent doivent dixme », mais aussi que le foin et plusieurs fruits que « la terre produit d’elle mesme » doivent aussi la dîme, « le roy par son édit [de 1663] ne faisant exception d’aucun fruit ny d’aucunne terre ». Il constate que les habitants, ayant peu de débit pour leurs grains, « s’efforcent d’élever le plus de bestiaux qu’ils peuvent et par conséquent occupent en prairie la plus grande partie de leurs habitations, ce qui est généralement pratiqué dans tout le pays ».
Après avoir examiné l’arrêt du 18 novembre 1705, les réponses des curés du 22 décembre et les conclusions du procureur général du 20 janvier 1706, le Conseil supérieur rendit un jugement le 1er février 1706 ordonnant que les dîmes soient levées et payées « conformément à l’usage qui a été observé jusqu’à présent [...] jusqu’à ce que par le roi en ait été ordonné ». Les curés Boullard et Dufournel répliquèrent par un long réquisitoire qu’ils signèrent le 6 avril 1706, où ils réfutaient en 40 points les arrêts du 18 novembre 1705 et du 1er février 1706 et déclaraient même qu’il devait « estre très désagréable à Mrs les Curés que leur partie adverse, et qui est intéressée dans l’affaire en question comme ayant dans le Canada plusieurs terres et domaines qui doivent la dixme, soit receu à donner ses conclusions contr’eux ».
Le Conseil n’ayant pas tenu compte de ce réquisitoire, les « curés du Canada » présentèrent un « placet » au roi, « comme au protecteur de l’Église de la Nouvelle France », pour faire casser les arrêts de 1705 et de 1706 et pour leur permettre de « prendre la dixme sur le champ a la treizième portion », sinon de la recevoir « pure et nette » à leur presbytère mais « à quelque autre quotité plus avantageuse aux curés que la vingt sixiesme ». Ce fut peine perdue car, le 12 juillet 1707, le Conseil d’État rendit un arrêt conforme aux vues du procureur général Ruette d’Auteuil en ordonnant que les jugements du Conseil supérieur de Québec fussent exécutés, sauf aux curés et aux missionnaires à se pourvoir pour le supplément en exécution de l’édit de mai 1679.
Il semble bien que dans toute cette affaire les curés Boullard et Dufournel ne reçurent pas l’appui, du moins officiel, de leurs supérieurs, car nulle part on ne décèle l’intervention de Mgr de Saint-Vallier ou de ses grands vicaires, ce qui ne fut pas sans faciliter la tâche du procureur général. Mgr de Laval, souvent pris à témoin par les deux curés lorsqu’ils affirmaient que d’après lui il n’avait pas existé d’autre ordonnance sur les dîmes que celle du 23 août 1667, garda le silence que lui imposaient son grand âge et sa longue retraite.
On s’en tint donc aux termes de l’arrêt de 1707. Ce n’est qu’en 1737 que la question fut de nouveau soulevée par les curés du Canada, dans une requête qu’ils présentèrent à Mgr Dosquet*, au gouverneur Charles de Beauharnois et à l’intendant Hocquart*. Ils demandaient l’autorisation « de lever la dixme sur le champ » et la continuation du supplément de 6 000# « que sa Majesté fait distribuer aux pauvres curés de Canada ». Cette requête « aux personnes en place » étant restée sans réponse, ils en présentèrent une autre en 1738 à l’effet que « les dixmes [soient] payées aux pasteurs sur le champ ainsy et de la manière qu’il se pratique en la coutume de Paris » et « que les terres une fois ensemencées de grains soient toujours sujettes à dixme [...] quand même elles seroient converties de terres labourables en prairies, herbages, ou porteroient fruits non sujets à dixme comme tabac, lin, chanvre ». Cette nouvelle requête n’eut pas plus de succès que la première et l’année suivante, le grand vicaire, Jean-Pierre de Miniac*, réitéra vainement ces demandes au ministre Maurepas [Phélypeaux].
Aucun indice ne permet de savoir si le curé Dufournel participa à ces dernières démarches. Quoi qu’il en soit, il n’est plus question de lui à propos des dîmes. Il continua de vaquer fidèlement à ses fonctions curiales jusqu’à son décès survenu le 30 mars 1757 à l’âge de 94 ans, 6 mois, et 15 jours, comme le précise son acte de sépulture ; il fut inhumé dans le sanctuaire de son église le 1er avril suivant. Le 12 février 1753, il avait fait son testament devant le notaire Antoine Crespin et, le 5 avril 1757, le même notaire fit son inventaire après décès, à la requête de Colomban-Sébastien Pressart*, supérieur du séminaire de Québec. Le 22 du même mois, les habitants de L’Ange-Gardien se partagèrent aux enchères les quelques biens qui restaient, après qu’il eut été pourvu aux legs particuliers de leur curé.
ANQ, Greffe de Jacques Barbel, 5 oct. 1736, 10 oct. 1737 ; Greffe de Gilbert Boucault de Godefus, 3 avril 1752 ; Greffe d’Antoine Crespin, 12 févr. 1753, 5 avril 1757 ; Greffe de François Genaple de Bellefonds, 3 nov. 1693.— ASQ, Polygraphie, V : 3–26 ; Séminaire, III 54–54H.— Édits ord., I : 231–233, 305–311 ; II : 133–135, 139.— Jug. et délib., V : 184–186, 230s.— Lettres et mémoires de François-Madeleine-Fortuné Ruette d’Auteuil, procureur général du Conseil souverain de la Nouvelle-France, RAPQ, 1922–1923, 22–29, 32–36.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), I : 160–161.— Provost, Le séminaire de Québec : documents et biographies, 1–3, 8–10.— Ivanhoë Caron, Liste des prêtres séculiers et religieux qui ont exercé le saint ministère en Nouvelle-France (1680–1690), BRH, XLVII (1941) : 264.— R.-É. Casgrain, Histoire de la paroisse de L’Ange-Gardien (Québec, 1903).— Auguste Gosselin, Vie de Mgr de Laval, premier évêque de Québec et apôtre du Canada, 1622–1708 (2 vol., Québec, 1890), I : 395–414.— Émile Chartier, Notre droit ecclésiastique sous le régime français, BRH, XXX (1924) : 360–363.— Auguste Gosselin, Un épisode de l’histoire de la dîme au Canada, MSRC, 2e sér., IX (1903), sect.i : 45–63.
Raymond Gariépy, « DUFOURNEL, LOUIS-GASPARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dufournel_louis_gaspard_3F.html.
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Auteur de l'article: | Raymond Gariépy |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
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