DONNACONA, chef de Stadaconé jusqu’en mai 1536, exilé par Cartier avec deux fils (Domagaya et Taignoagny) et mort en France probablement en 1539.

En juillet 1534, dans la baie de Honguedo (Gaspé), Jacques Cartier entre en relations avec des indigènes qui sont venus de Stadaconé (Québec) faire leurs pêches. Lorsque, le 24 juillet 1534, Cartier y dresse une croix, leur chef Donnacona s’estime lésé ; il harangue les Français ; on retient son canot ; avec ceux qui l’accompagnent, il doit monter à bord du bateau. Cartier le festoie et le convainc de laisser partir, avec assurance de retour, ses deux fils, Domagaya et Taignoagny. Les Français avaient besoin de former des interprètes. Donnacona accepte et ses deux fils partent pour la France. Ils y passent huit mois et se rembarquent avec Cartier le 19 mai 1535, sans pourtant avoir été baptisés. Ils ont appris le français et ont pu donner sur leur pays des renseignements précieux : grâce à eux, Cartier découvre en 1535 ce grand fleuve qu’il a raté l’année précédente. Conduit par ses deux interprètes, Cartier remonte le fleuve et prend le « chemyn de Canada » ; le 7 septembre, les interprètes arrivent enfin chez eux, dans la « prouvynce de Canada ».

Or Cartier, intéressé à l’hypothèse d’une route vers l’Asie, veut aller plus avant, atteindre Hochelaga (Montréal) : c’est à partir de ce moment que les interprètes commencent à intriguer contre les Français. Taignoagny surtout, nous apprend-on, « ne songeoit que trahison et malice ». Pour détourner Cartier du voyage, ils lui jouent une scène de sorcellerie, qui ne produit aucun effet ; Donnacona offre en vain des présents. Cartier part pour Hochelaga sans ses interprètes. À son retour, il constate que les alliés ne sont plus sûrs : il se fortifie. Le chef d’Achelacy (région de Portneuf) met Cartier en garde contre Donnacona et ses fils : mis en France au courant des affaires, Domagaya et Taignoagny reprochaient à leurs congénères d’accepter pour leurs marchandises de menues choses qui ne valaient rien, et Stadaconé se fit plus exigeante. Les relations se trouvèrent même rompues un certain temps ; elles reprirent le 5 novembre, au plus grand bénéfice des Français. En effet, de Donnacona, qui prétendait avoir beaucoup voyagé, Cartier obtint de nombreux renseignements sur le pays, comme aussi sur ce fabuleux royaume du Saguenay, où on pouvait aller par la rivière qui porte aujourd’hui ce nom et où « il y a infiny or, rubiz et aultres richesses, et y sont les hommes blancs, comme en France, et accoustréz de draps de laine », avec beaucoup d’autres « merveilles longues à racompter ». De plus, au cours de l’hiver, lorsque le scorbut ravagea la petite colonie française, c’est Domagaya qui, sans le savoir, sauva la situation : par ruse, Cartier apprit de lui le secret de la tisane d’annedda (cèdre blanc).

Les défiances réciproques reprirent au printemps de 1536 : Donnacona s’absenta de façon mystérieuse et revint avec des gens qu’on n’avait jamais vus ; Cartier lui envoya une ambassade. Donnacona refusa de la recevoir. On finit par comprendre qu’une querelle avait éclaté à Stadaconé entre le chef Donnacona et son rival Agona. L’interprète Taignoagny voulut compter sur Cartier pour éliminer Agona : il s’agirait pour les Français d’emmener Agona en exil. Cartier vit le parti qu’il pouvait tirer de la situation et « se deslibera leur jouer finesse » : puisqu’il y avait crise à Stadaconé, mieux valait éliminer Donnacona et ses fils qui nuisaient à la politique française ; autre avantage d’emmener Donnacona en France : le chef pourrait conter lui-même à François 1er tout ce qu’il savait. Cartier feignit donc d’entrer dans le complot contre Agona ; les interprètes promirent de revenir le lendemain pour la fête de la sainte Croix (3 mai). Avec certes beaucoup de défiance, Donnacona et ses gens se présentèrent pour la cérémonie religieuse ; sur un ordre de Cartier, on captura le chef Donnaconna, ses deux fils et deux autres personnages. Les habitants de Stadaconé s’émurent ; Cartier leur assura (« et ce disoyt pour les contenter ») que Donnacona reviendrait dans 12 lunes, chargé de présents, après avoir décrit au roi les merveilles du Saguenay. Le 6 mai 1536, il quitta Stadaconé, ayant à son bord 10 Iroquois : le vieux Donnacona, ses fils Domagaya et Taignoagny, une fillette de 10 à 12 ans et 2 petits garçons que Cartier avait reçus en dons l’automne précédent, une fillette de 8 ou 9 ans que le chef d’Achelacy lui avait donnée, et 3 autres indigènes. La place était libre pour Agona.

C’est seulement le 23 août 1541 que Cartier se présente de nouveau à Stadaconé ; il revient sans les indigènes qu’il a capturés cinq ans plus tôt. Il déclare à Agona, toujours chef de Stadaconé, que Donnacona est mort en France, que les autres y vivent comme de grands seigneurs, y sont mariés et n’ont pas voulu revenir : ce qui, naturellement, ne fait aucun chagrin au chef Agona.

En réalité, des dix Iroquois, neuf étaient morts il ne restait plus qu’une fillette dont le destin nous est inconnu. Arrivés à Saint-Malo le 16 juillet 1536, le chef Donnacona et ses compagnons allaient vivre en France aux frais du roi. Donnacona se laissa interroger, même par-devant notaire, sur ce qu’il avait vu pendant ses voyages ; le moine-historien André Thevet, qui se faisait une spécialité de questionner les voyageurs, affirma qu’il avait causé longuement avec Donnacona. Le vieux chef fut présenté à François Ier : il lui parla de mines très riches en or et en argent, d’abondance de girofle, de muscade et de poivre (ces épices dont rêvait l’Europe) ; il énuméra maintes merveilles, comme ces hommes munis d’ailes aux bras à la façon de chauves-souris et qui volaient des arbres jusqu’à terre. François Ier se montra fort enthousiaste ; quelqu’un lui dit : le chef indien raconte peut-être tout cela seulement pour avoir l’occasion de retourner dans son pays ; mais le roi répondait en insistant sur la véracité de Donnacona. Le 25 mars 1539, on baptisa trois des indigènes qu’avait ramenés Cartier : le registre ne les identifie pas ; nous savons seulement qu’ils étaient de sexe masculin. Peut-être s’agit-il de baptêmes in articulo mortis ? c’est vers cette époque, en tout cas, que, selon Thevet, Donnacona est mort en chrétien ; et ses compagnons, sauf la fillette de dix ans, disparurent vers le même temps.

Au retour de Cartier, en 1541, Agona demeurait donc seul chef de Stadaconé. Les relations franco-iroquoises ne s’en trouvèrent pas améliorées pour autant : le second voyage de Cartier à Hochelaga (toujours sans interprètes) y était sans doute pour quelque chose, comme aussi la crainte chez Agona de subir le sort de Donnacona ; même le chef d’Achelacy, longtemps fidèle à Cartier, se tourna contre les Français. Une véritable guerre finit par éclater entre les indigènes de Stadaconé et les colons de Charlesbourg-Royal (à Cap-Rouge, près Québec) : les Iroquois se vanteront d’avoir tué à Cartier plus de 35 hommes. Agona vengeait Donnacona... C’est à cet hivernement de 1541–1542 qu’il faut remonter pour marquer le début des guerres franco-iroquoises ; elles sont la suite de la politique de Cartier.

Marcel Trudel

Biggar, Documents relating to Cartier and Roberval, 69s., 75–82, 128, 456s., 463.— Hakluyt, Principal navigations (1903–05), VIII : 283–290 (version anglaise du troisième voyage de Cartier).— André Thevet, Les singularitez de là France antarctique, autrement nommée Amérique : & de plusieurs Terres & Isles découvertes de nostre temps, éd. Paul Gaffarel (Paris, 1878), 407.— Voyages de Jacques Cartier au Canada, éd. Th. Beauchesne, dans Les Français en Amérique (Julien), 77–197.— Voyages of Cartier (Biggar).— A. G. Bailey, The significance of the identity and disappearance of the Laurentian Iroquois, MSRC, XXVII (1933), sect. ii : 97–108.— Hoffman, Cabot to Cartier, 131–160, 197–215.— W. D. Lighthail, Hochelagans and Mohawks ; a link in Iroquois history, MSRC, V (l899), sect. ii : 199–211.— Jacques Rousseau, L’Annedda et l’Arbre de vie, RHAF, VIII (1954) : 171–201 ; Ces gens qu’on dit sauvages, Cahiers des Dix, XXIII (1958) : 71 ; Le Mystère de l’annedda, dans Jacques Cartier et « la grosse maladie », (Pub. du XIXe congrès international de physiologie, Montréal, 1953), 105–116.

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Marcel Trudel, « DONNACONA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/donnacona_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
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