CHINIC, GUILLAUME-EUGÈNE, homme d’affaires, né le 26 octobre 1818, à Québec, du mariage de Joseph-Martin Chinic et de Julie Measam, décédé à Québec le 28 avril 1889 et inhumé au cimetière Belmont (Sainte-Foy) le 30 avril.

Originaire de Saint-Pierre, diocèse de Bayonne, France, Martin Dechinique*, le fondateur de la lignée au Canada, s’établit à Québec en 1740 et travailla comme capitaine de barque et pilote. Le seul garçon qui lui survécut, Martin Chinic*, s’adonna au commerce ; il n’eut qu’un fils, Joseph-Martin, négociant et constructeur de navires qui mourut prématurément, laissant deux garçons, dont un mourut très jeune. Orphelin de bonne heure, Guillaume-Eugène dut être élevé par ses grands-parents. Selon Pierre-Georges Roy*, Chinic « entra dès son jeune âge à l’emploi de la maison Méthot », de Québec, probablement vers les années 1833–1834. François-Xavier*, qui avait fondé la maison Méthot en 1808, était alors un homme d’affaires en pleine activité. Il tenait, rue Saint-Pierre, une quincaillerie de gros et de détail et, pour accroître ses bénéfices, pratiquait ce que les économistes appellent la concentration verticale. Ainsi, en 1834, il mettait sur pied une clouterie à Beauport, connue sous le nom de moulin Ventadour, une fabrique de mastic en 1835 et, plus tard, une fabrique de meules à farine. Ces petites manufactures existaient encore en 1873, mais elles appartenaient à Chinic. Le jeune commis des années 1830, qui avait du talent en affaires, un esprit entreprenant et qui était le seul héritier d’une famille en pleine ascension sociale, avait su se gagner l’affection et la confiance de Méthot qui l’avait peu à peu associé à ses affaires. Nous ne savons à quand remonte l’association Méthot et Chinic. D’après le Quebec directory, elle existait en 1847 – et dès 1845 selon un feuillet publicitaire de la compagnie – et se termina en 1853, à la mort de François-Xavier Méthot ; Chinic devint alors le principal associé et le directeur de la compagnie.

Jusqu’à sa retraite, le commerce de quincaillerie sera l’épine dorsale des activités de Chinic. Ce n’était pas une entreprise familiale et au cours des années la raison sociale change avec les associés ; en 1880 cependant, le fils de Chinic, Eugène-Philéas-Nowlan, se joindra à l’entreprise. Sept ans plus tard, Chinic se départira de ses intérêts dans la société, au terme d’une transaction dont les vrais motifs nous échappent. À l’automne de 1887, à cause d’un accroissement du volume des affaires, selon le Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, ou à cause d’une faillite, selon la Justice de Québec, le stock de la firme Beaudet et Chinic est vendu à des capitalistes anglophones qui forment une « société par actions » au capital de $100 000, avec une possibilité d’aller à $150 000. La Compagnie Chinic de quincaillerie limitée (Chinic Hardware Company Limited) sera administrée par Edwin Jones, président, George Taylor Davie* et Winceslas Méthot, administrateurs, William Shaw, gérant, Eugène-Philéas-Nowlan Chinic, gérant adjoint, et Hector-Edmond Dupré, secrétaire. Les nouveaux propriétaires acquerront aussi la clouterie de Beauport et une taillerie qui usinait des pierres meulières et des blocs pour les meuneries avec de la pierre brute importée de France. Il semble, selon le Canadien du 30 septembre 1887, que Chinic ait eu l’intention d’ouvrir une nouvelle maison de commerce avec un de ses anciens employés, mais on ignore si le projet vit le jour.

Durant les années 1840, Chinic s’affirme et se stabilise. Le 1er février 1844, il épouse à Montréal Marie-Anne-Claire Leblond, fille de Joseph Leblond, marchand ; en 20 ans, ils auront 12 enfants. La mort n’épargnera pas le couple Chinic qui inhumera six enfants, dont quatre en bas âge, mais il y aura aussi des joies. Par d’heureux mariages, les enfants s’allieront à des familles bien connues, les Taschereau, Angers, Wurtele, Navarro, Knight, Chagnon, signes évidents de la grande notoriété dont jouissent les Chinic. Au début de son mariage, Chinic demeure dans l’édifice qui loge la quincaillerie. Vers 1850, il s’installe chemin Sainte-Foy dans une magnifique résidence qu’il habitera jusqu’à sa mort. Il est déjà un homme en vue dans la cité de Québec. Il participe en 1848 à la fondation de l’Institut canadien et, en 1849, il est parmi les citoyens qui demandent la reconnaissance juridique de la Société Saint-Jean-Baptiste de la cité de Québec. Il aime le sport, surtout le yachting : en 1869–1870, il sera commodore du Québec Yacht Club.

Les biens qu’il a hérités de sa famille et les revenus de la quincaillerie ont fait très tôt de Chinic un homme à l’aise. D’un tempérament bon et généreux, il est volontiers philanthrope. Le rôle qu’il jouera dans la fondation de la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec [V. François Vézina] et les postes de vice-président (1854–1856) et d’administrateur (1857–1859, 1872–1873, 1875–1876) qu’il occupera successivement dans cet établissement en sont un exemple. Mais il est aussi un homme d’affaires soucieux de faire fructifier ses capitaux. Il s’y emploie dès 1847. Cette année-là, son nom figure dans l’acte reconnaissant juridiquement la Banque de district de Québec. Il ne semble pas avoir été très actif dans cette banque, se contentant sans doute d’y faire un bon placement. Ses activités financières se multiplient entre 1850 et 1880. Il s’identifie à ces hommes d’affaires francophones, tels François Vézina, Isidore Thibaudeau*, Pierre Garneau*, Ulric-Joseph Tessier*, qui tentent d’effectuer une percée dans les milieux d’affaires et rivalisent avec leurs compatriotes anglophones pour développer la cité de Québec. Celle-ci entre dans une difficile période de transition. Elle subit dans les années 1850 les contrecoups de la canalisation du Saint-Laurent et de la construction du Grand Tronc qui sapent ses activités portuaires au bénéfice de Montréal, Toronto et Portland, dans le Maine. De plus, l’apparition des navires à vapeur en fer dans les années 1860 accule à la fermeture ses chantiers de construction navale et le déclin de la demande de bois équarri dans les années 1870 amène une diminution du nombre des navires à voile dans le port et des draveurs dans les anses du fleuve. Regroupés au sein du Bureau de commerce de Québec (Québec Board of Trade), les hommes d’affaires s’efforcent vainement de sauvegarder les intérêts de la cité. La plupart finissent par entrevoir pour la ville de Québec, sur le plan économique, une fonction régionale, dont la prospérité dépendrait d’un réseau de voies ferrées qui relierait la ville à un arrière-pays et d’un réseau d’établissements de crédit qui canaliserait l’épargne pour la mettre à la disposition des entrepreneurs.

Cette conjoncture éclaire les activités de Chinic qui s’exercent dans deux domaines : la construction ferroviaire et les établissements bancaires. Il place des fonds dans la Société de construction de Québec qui, sous la gérance de Vézina, devient un puissant instrument de crédit qui paie des dividendes de 10 p. cent par année. Il y joue un rôle actif, acceptant en 1851 d’en être l’un des administrateurs. Son rôle est plus déterminant dans la fondation de la Banque nationale qui ouvre ses portes en avril 1860. Il fait partie, dès 1858, du comité de fondation dont il apparaît l’un des leaders avec ses amis Vézina et Thibaudeau ; par la suite, il se révèle l’un des actionnaires les plus actifs de la banque, assumant la vice-présidence de 1860 à 1863 et la présidence de 1864 à 1876. Parallèlement à cette activité financière, Chinic ne cesse de s’intéresser à la construction ferroviaire. Quand on forme en 1853 la Compagnie du chemin de fer de la rive nord pour relier Québec à Montréal, Chinic semble en arrière-scène ; de plus, en 1854, le Quebec directory le nomme parmi les administrateurs du Québec Northern Railway. Les promoteurs songent à construire un chemin « à lisses » de bois qui dans un premier temps relierait Québec à la rivière Sainte-Anne où les réserves de bois de chauffage sont abondantes. Mais leur enthousiasme ne convainc pas les investisseurs qui refusent de souscrire 8 000 actions de £10. Chinic n’en continue pas moins de s’intéresser aux chemins de fer. Il agit à titre de secrétaire de la Compagnie du chemin de fer de la rive nord en 1857–1858 et son nom figure dans l’acte reconnaissant juridiquement la Compagnie du chemin de fer et de la navigation du Saint-Maurice en 1857 ; il est au cœur de la transaction, et sans doute aussi des négociations politiques, qui amène, en 1858, la fusion de ces deux compagnies sous le nom de la Compagnie du chemin de fer de la rive nord, et de la navigation et des terres du Saint-Maurice. La visite en 1868 de l’ingénieur américain Jerome B. Hulbert, un spécialiste des chemins à lisses de bois, lance l’idée d’un chemin de fer qui relierait Québec au lac Saint-Jean, et dont le premier tronçon serait l’ancien tracé Québec-comté de Portneuf. La compagnie du chemin à lisses de Québec à Gosford est reconnue juridiquement en 1869 et les travaux commencent durant l’été de 1870 ; en novembre, a lieu l’ouverture du premier tronçon. Chinic, l’un des administrateurs de la compagnie, triomphe. Mais les déboires commencent aussitôt. À l’usage, les rails de bois se révèlent des proies faciles pour le dégel québécois. Au printemps de 1873, la voie est inutilisable et les actions de la compagnie dégringolent à 10 cents chacune. C’est la fin des chemins à lisses de bois, mais non d’un chemin de fer vers le lac Saint-Jean. Ces déboires, la dépression économique internationale qui paralyse le Québec à partir de 1874 et les rivalités politiques ne font que retarder le projet. Chinic ne se laisse point abattre. Le Quebec directory le dit vice-président de la Compagnie du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean (autre nom pour désigner la Compagnie du chemin à lisses de Québec à Gosford qui avait obtenu en 1870 l’autorisation d’étendre ses rails jusqu’au lac Saint-Jean) en 1875–1876, puis en 1879–1880, période durant laquelle la compagnie obtient quelques subventions, mais ne réussit point à s’organiser sur des bases solides ni à rencontrer les normes du gouvernement provincial. Ce dernier d’ailleurs, qui assume en 1875 la construction du Québec, Montréal, Ottawa et Occidental, n’a guère d’argent à consacrer au Québec-lac Saint-Jean. La maladie empêchera Chinic de terminer son œuvre. Réorganisée en 1882 par le député Élie Saint-Hilaire, la Compagnie du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean établira la première liaison entre Québec et le lac Bouchette le 29 août 1887.

Chinic aimait la politique, beaucoup moins les luttes électorales. Contrairement à d’autres hommes d’affaires de ses amis, il ne brigua jamais les suffrages, ni comme échevin, ni comme député. Il était un homme de coulisse. Il avait des amis tant chez les « bleus » que chez les « rouges », et à tous il avait rendu quelques services. En 1875 les libéraux le nomment au sénat et, en janvier 1876, les conservateurs à Québec le nomment, avec George Irvine* et Henri-Gédéon Malhiot, commissaire du Québec, Montréal, Ottawa et Occidental. Il n’occupe ces postes que quelques années : le cabinet provincial supprime la commission du chemin de fer en 1878 et la maladie force Chinic à démissionner du sénat en 1879. À ces deux postes, il n’accomplit rien qui soit digne de mention. Il se pourrait que la crise cyclique des années 1874–1878, l’une des plus dures du xixe siècle, l’ait obligé à concentrer ses énergies sur sa quincaillerie et sur l’administration de la Banque nationale, dont il est le président. Les deux établissements tiennent le coup, non Chinic que la maladie ronge. Il s’éteint le 28 avril 1889.

Huguette Filteau et Jean Hamelin

Comme la maison Chinic ne possède plus d’archives pour les années antérieures à 1940, nous avons dû reconstituer la biographie de Guillaume-Eugène Chinic principalement à l’aide de sources imprimées et d’études diverses.

AC, Québec, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 30 avril 1889.— ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 26 oct. 1818.— Canada, prov. du, Statuts, 1847, c.113 ; 1848, c.17 ; 1849, c.148 ; 1852–1853, c.100 ; 1857, c.149 ; 1858, c.56 ; 1859, c.108 ; 1861, c.85.— Québec, Statuts, 1869, c.53 ; 1875, c.2 ; 1880, c.46.— Le Canadien, 7 nov. 1853, 5, 30 sept. 1887, 29 avril 1889.— Le Journal de Québec, 3, 29 sept. 1887.— La Justice (Québec), 23 déc. 1887.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 4 nov. 1889.— Morning Chronicle (Québec), 30 janv. 1854, 3 déc. 1872, 7 mai 1879, 24 déc. 1887.— La Patrie, 15 janv. 1889.— CPC, 1880.— Quebec almanac, 1825–1835.— Quebec directory, 1847–1890.— P.-G. Roy, Fils de Québec (4 sér., Lévis, Québec, 1933), IV : 30s.— Auguste Béchard, Histoire de la Banque nationale [...] (Québec, 1878).— F.-X. Chouinard et Antonio Drolet, La ville de Québec, histoire municipale (3 vol., Québec, 1963–1967), III : 85.— Une page d’histoire de Québec : magnifique essor industriel (Québec, 1958), 40–43.— François Vézina, Récit historique de la progression financière de la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec (Québec, 1878).— J. H. Bartlett, « The manufacture of iron in Canada », American Institute of Mining Engineers, Trans. (New York), 14 (1885–1886) : 508–542.— « Les Méthot », BRH, 39 (1933) : 80s.— Léa Pétrin, « Industrie et commerce à Québec ; un morceau du vieux Québec », Le Soleil (Québec), 21 sept. 1947 : 7.— P.-G. Roy, « La famille Chinic », BRH, 45 (1939) : 207–210.

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Huguette Filteau et Jean Hamelin, « CHINIC, GUILLAUME-EUGÈNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chinic_guillaume_eugene_11F.html.

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Auteur de l'article:    Huguette Filteau et Jean Hamelin
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    28 novembre 2024