CHARTIER DE LOTBINIÈRE, EUSTACHE (baptisé François-Louis), prêtre, récollet, cordelier, chevalier de Malte, né à Québec le 13 décembre 1716, fils d’Eustache Chartier* de Lotbinière et de Marie-Françoise Renaud d’Avène de Desmeloizes, décédé aux États-Unis après 1785.

Jeune, François-Louis Chartier de Lotbinière a dû étudier, comme ses frères, au collège des jésuites ou au petit séminaire de Québec. En 1736, son père, désirant qu’il se prépare à une carrière, l’embarqua sur un bateau pour la France ; mais le jeune homme de 20 ans fit son premier éclat en rebroussant chemin, au Labrador, et en entrant aussitôt chez les récollets de Québec, bien que son père s’y opposât, connaissant son manque de sérieux et de piété. Chartier de Lotbinière prononça ses vœux le 17 octobre 1738, sous le nom de frère Eustache ; mais il dut attendre l’arrivée d’un nouvel évêque, Mgr de Pontbriand [Dubreil*], pour recevoir tous les ordres mineurs et majeurs, y compris la prêtrise, en l’espace de quatre jours, du 20 au 23 septembre 1741. Après son ordination, il vint en France où, selon Odoric-Marie Jouve, « il se fit agréger aux Frères mineurs observants [cordeliers] ais il rentra ensuite chez les récollets et retourna au Canada en 1749 ». Ce séjour en France est confirmé par une lettre du chanoine Pierre Hazeur de L’Orme à son frère Joseph-Thierry Hazeur* de Québec, datée du 24 mars 1748, dans laquelle il lui parle familièrement des fils du chanoine Eustache Chartier de Lotbinière : « En voilà un de curé à la Pointe-aux-Trembles [Neuville] ; un autre récollet après avoir été cordelier, qui est à présent à Rouen, où il s’exerce à mal prêcher [...]. »

De retour au Canada, Chartier de Lotbinière exerça le ministère, surtout à Trois-Rivières, jusqu’à la fin de 1756, servant aussi comme aumônier dans les forts. C’est bien du père Eustache, en effet, dont parle François-Clément Boucher de La Perrière, commandant du fort Niagara (près de Youngstown, New York), quand il écrit, le 11 juin 1755, « qu’on peut le regarder comme déserteur de son poste ». Un indice qui n’est pas négligeable. Mais, si l’on en croit des lettres postérieures de Mgr Briand, le fameux père Eustache avait déjà gâché sa carrière, publiquement, par deux vices complémentaires : ivrognerie et libertinage. Vers 1756, sans qu’on puisse retrouver cet acte, Mgr de Pontbriand le déclara interdit et suspens de tous les ordres. L’interdiction l’excluait en principe de toute église et même de la colonie. On peut penser que son frère aîné, Eustache, curé de la Pointe-aux-Trembles, et son frère cadet, Michel, respectable ingénieur dans l’armée, se concertèrent pour le faire retourner en France. Après une grave maladie, nous dit Mgr Briand, « récollet encore, après cela apostat [...] pendant deux ans ; devenu ensuite de l’ordre de Malte, sans devenir meilleur, chassé de la Martinique, à cause de ses désordres, par les Capucins et le gouverneur, il n’a pas eu honte de revenir en Canada ».

Chartier de Lotbinière arriva à Québec en août 1768. Selon François-Xavier Noiseux, « il avait obtenu une place de frère-servant dans l’Ordre de Malte et portait une soutane avec la croix de Malte ». Il se rendit chez son frère Eustache, à la Pointe-aux-Trembles, où Mgr Briand lui permit d’administrer les sacrements. Le 2 octobre 1770, Mgr Briand se risquait à le nommer curé à Saint-Laurent, île d’Orléans, sous la tutelle de son cousin germain, Mgr Louis-Philippe Mariauchau d’Esgly, nouveau coadjuteur de l’évêque de Québec et curé de la paroisse voisine, Saint-Pierre. Mais l’inconduite du personnage força le coadjuteur à renouveler contre lui, en mai 1772, la suspense de toute fonction publique. Chartier de Lotbinière se retira alors dans une maison privée, à Beaumont, rédigeant contre Mgr Briand des réquisitoires qu’il adressait à Londres et à Rome. L’évêque s’en disculpa facilement et, toujours condescendant, tout en maintenant la suspense, accueillit les excuses du coupable et lui fit restituer une pension convenable que le gouverneur lui avait d’abord accordée puis retirée. Cependant, l’évêque censura vertement l’abbé Antoine Huppé, dit Lagroix, curé de Saint-Michel (Saint-Michel-de-Bellechasse) et de qui dépendait la desserte de Beaumont, pour avoir laissé Chartier de Lotbinière administrer les sacrements aux fidèles dans ses deux paroisses.

À l’automne de 1775, l’invasion américaine arrivait à point pour soulager l’Église de Québec de ce scandale chronique. Autant Mgr Briand prêcha aux Canadiens catholiques le loyalisme, autant l’ex-récollet prit parti pour les rebelles, s’instituant aumônier des quelques habitants du pays devenus miliciens à la solde des Bostonnais, sous le commandement de James Livingston, et participant au siège de Québec durant l’hiver. Ses chances étaient belles ; les Américains lui avaient donné £1 500 et lui promettaient la mitre. « M. de Lotbinière sortit alors de sa retraite et vint desservir et administrer les révoltés, sans aucune juridiction. Il s’empara de l’église de Ste-Foy et y exerçait les fonctions du ministère. » Il fut d’abord nommé aumônier de ces miliciens canadiens par Benedict Arnold*, le 26 janvier 1776. Après la levée du siège de Québec, il suivit son régiment repoussé au delà de la frontière avec tous les Américains. Le 12 août 1776, le Congrès sanctionnait sa nomination d’aumônier militaire et on lui versa une solde mensuelle jusqu’en février 1781. Chartier de Lotbinière se serait alors retiré auprès de son frère Michel, résidant aux États-Unis pour avoir épousé, lui aussi, la cause des Américains, dans des circonstances différentes. À la fin de 1785 et le 2 janvier 1786, « menacé de mourir de faim et de froid », Eustache Chartier de Lotbinière alors à Bristol, Pennsylvanie, réclamait au Congrès ce qu’il croyait lui être dû en raison de son engagement et de ses services pour la cause de l’Indépendance américaine. Par la suite, on perd sa trace.

Honorius Provost

ANQ-Q, AP-P-378.— ASQ, mss, 425 ; Fonds Viger-Verreau, Carton 2, no 132 ; Sér. O, 097.— [Thomas Ainslie], Journal of the most remarkable ocurrences in the province of Quebec from the appearance of the rebels in September 1775 until their retreat on the sixth of May 1776, F. C. Würtele, édit., Literary and Hist. Soc. of Quebec, Hist. Docs., 7e sér. (1905) : 9–89.— É.-U., Continental Congress, Journals of the Continental Congress, 1774–1789, W. C. Ford et al., édit. (34 vol., Washington, 1904–1937).— P.-G. Roy, Fils de Québec, I : 189s.— Jouve, Les franciscains et le Canada : aux Trois-Rivières, 181, 202.— Laval Laurent, Québec et l’Église aux États-Unis sous Mgr Briand et Mgr Plessis (Montréal, 1945).— Têtu, Le chapitre de la cathédrale, BRH, XVI : 362.

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Honorius Provost, « CHARTIER DE LOTBINIÈRE, EUSTACHE (baptisé François-Louis) (nè en 1716 ; mort après 1785) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chartier_de_lotbiniere_eustache_1716_1785_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    28 novembre 2024