CARON, JOSEPH-ÉDOUARD, cultivateur, fonctionnaire et homme politique, né le 10 janvier 1866 à Saint-Roch-des-Aulnaies, Bas-Canada, fils d’Édouard Caron, cultivateur, et de Marie des Anges Cloutier ; le 3 juillet 1888, il épousa au même endroit Léopoldine Gastonguay (décédée en 1894), puis le 2 août 1897 à Sainte-Louise, village voisin, Mathilda Destroismaisons et ils eurent trois enfants ; décédé le 16 juillet 1930 à Québec et inhumé le 19 à Sainte-Louise.

Joseph-Édouard Caron grandit sur une terre située au troisième rang de Sainte-Louise. À l’âge de 14 ans, après trois années de cours commercial et une année d’études classiques au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, il revient sur la terre paternelle. Il y vit les débuts de l’industrie laitière dans la région tandis que se multiplient les beurreries et les fromageries. Il en gardera la conviction que l’agriculture peut être rémunératrice à la condition que les cultivateurs adoptent des méthodes de culture plus efficaces. Lui-même donnera l’exemple des réformes à entreprendre en s’équipant d’un silo pour la conservation des fourrages.

Caron commence sa longue carrière publique en 1893, à titre de secrétaire-trésorier du conseil municipal de Sainte-Louise. Il conservera ce poste, ainsi que celui de secrétaire-trésorier de la commission scolaire obtenu en 1899, jusqu’en 1910. Il est également secrétaire-trésorier du conseil de comté de 1895 à 1913 et de la Société d’agriculture du comté de L’Islet.

Élevé dans une famille d’allégeance libérale, le jeune Caron s’est engagé dès l’âge de 17 ans dans l’arène politique. Membre de l’organisation électorale de François-Gilbert Miville Dechêne, qui représente la circonscription de L’Islet à Québec de 1886 à 1902, il prend toutefois ses distances avec le Parti libéral en 1899, quand le premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier*, accepte d’envoyer un contingent de soldats canadiens en Afrique du Sud pour aider la Grande-Bretagne en guerre avec les Boers. À la suite des pressions d’une coalition de partisans libéraux et de conservateurs de la circonscription, il se présente aux élections fédérales du 7 novembre 1900 contre le député libéral sortant, Arthur Miville Dechêne. Malgré les divisions au sein de l’organisation libérale locale, ce dernier réussit à conserver son siège. Les adversaires de Caron l’accuseront d’avoir trahi son parti à cette occasion, mais il s’en défendra en affirmant avoir agi par conviction anti-impérialiste. De fait, il sera un farouche adversaire de la conscription, qu’il dénoncera par des discours et des articles dans le Soleil. On le retrouvera même à la tête de la délégation de la province de Québec qui marchera sur Ottawa, en mai 1918, pour protester contre la mobilisation des fils de cultivateurs.

Le 15 janvier 1902, Caron est de nouveau candidat dans L’Islet, à l’élection fédérale partielle rendue nécessaire par la démission d’Arthur Miville Dechêne à la suite de sa nomination au Sénat ; il se présente sous la bannière du Parti conservateur, mais sans renier son allégeance au Parti libéral. Il échoue dans cette seconde tentative. La mort prématurée du député provincial de L’Islet, François-Gilbert Miville Dechêne, en mai 1902, va cependant lui permettre de réaliser ses ambitions politiques. Le 26 septembre 1902, à l’âge de 36 ans, il est élu sans concurrent député libéral de cette circonscription ; il sera réélu sans opposition en 1904 et par une majorité de 470 voix en 1908.

En tant que député d’arrière-ban, Caron prend part à différents débats touchant les intérêts des électeurs ruraux. L’exploitation forestière, la colonisation, les chemins et surtout les questions agricoles retiennent son attention. Ainsi, en mai 1905, peu après la formation du premier cabinet de Lomer Gouin, il se permet de faire quelques suggestions très pertinentes au nouveau ministre de l’Agriculture, Auguste Tessier. Il propose notamment la mise en vigueur d’un système obligatoire d’inspection et de classification des produits laitiers pour mieux en contrôler la qualité. Il livre aussi un vibrant plaidoyer en faveur d’une revalorisation du métier d’agriculteur auprès des écoliers de la province. Le 21 janvier 1909, il est nommé ministre sans portefeuille.

À la fin de l’année, Gouin procède à un remaniement de son cabinet, et Caron devient alors ministre de l’Agriculture. Les titulaires de ce ministère, généralement des avocats, n’ont pas toujours eu une connaissance pratique des problèmes. Quand le premier ministre, qui est beaucoup plus à l’aise avec les dossiers financiers et industriels, décide d’offrir le poste de ministre de l’Agriculture à Caron, cultivateur, il effectue un choix stratégique. Assermenté le 18 novembre 1909, Caron assumera cette fonction sans interruption jusqu’en avril 1929. Il sera défait dans sa circonscription aux élections du 15 mai 1912, mais se fera réélire aussitôt dans celle des Îles-de-la-Madeleine par une majorité de 191 voix. Il conservera ce siège sans opposition jusqu’en 1927. En plus de l’Agriculture, il sera responsable de la Voirie de 1912 à 1914.

Caron est un tenant de l’idéologie agriculturiste. Il se plaît à répéter sur toutes les tribunes qui s’offrent à lui que le travail de la terre constitue la véritable assise de la prospérité des peuples. Il met également les ruraux en garde contre le mirage de la vie urbaine. Cependant, à la différence des représentants les plus conservateurs de ce courant de pensée, il ne prône pas un simple retour aux valeurs et au mode de vie traditionnels. En effet, le ministre voit dans la modernisation des méthodes de culture et une présence accrue sur les marchés les moyens de procurer aux cultivateurs un revenu décent et d’endiguer ainsi l’exode rural que connaît la province de Québec au début du siècle.

À son arrivée au ministère de l’Agriculture, qui compte alors une quarantaine d’employés, Caron peut s’appuyer sur un sous-ministre compétent, George-Auguste Gigault*, en poste jusqu’à son décès en 1915. Successeur du curé François-Xavier-Antoine Labelle*, Gigault a imprimé une nouvelle orientation à la politique du ministère en soutenant les cercles agricoles locaux et en adoptant diverses mesures pour améliorer la qualité des produits laitiers. Il reste encore beaucoup à faire, mais les ressources financières demeurent modestes. Les choses vont cependant changer durant le mandat de Caron.

Grâce au subside fédéral qui est versé aux provinces de 1912 à 1924, en vertu de la Loi concernant l’encouragement à l’agriculture adoptée en avril 1912 et qui représente jusqu’en 1919 plus du quart du budget du ministère, le Québec se dote, à l’instar de l’Ontario, d’une équipe d’agronomes de comté. Les écoles d’agriculture d’Oka et de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, ainsi que le Macdonald College, à Sainte-Anne-de-Bellevue, reçoivent une part importante de l’aide fédérale. À compter de 1916, tous les diplômés de « quelque valeur » sortis de ces trois établissements sont engagés par le ministère. À la fin de 1929, le Service agronomique de la province, qui a été mis sur pied en novembre 1913, comptera 77 agronomes et 13 sous-agronomes. Bien que ces experts ne soient pas toujours très bien acceptés à la campagne au début, ils rendent de précieux services aux cultivateurs. Au moyen de conférences, de démonstrations, d’expositions, de concours, ils amènent ces derniers à modifier progressivement leurs pratiques. Ainsi, l’utilisation de reproducteurs de bonne lignée associée à une meilleure alimentation des troupeaux permet une augmentation de la production laitière et ce, malgré une diminution du nombre de vaches. Les résultats de l’action des agronomes se feront toutefois sentir davantage après la Seconde Guerre mondiale.

Le gel de la subvention fédérale après 1919 et sa disparition cinq ans plus tard obligent le ministère à puiser davantage dans le Trésor provincial. Les sommes votées pour l’Agriculture par l’Assemblée législative doublent presque de 1919 à 1923 et elles poursuivent leur progression par la suite. Même si le Service agronomique constitue un poste important de ce budget, les divers programmes d’encouragement à l’agriculture en accaparent la plus grande partie. En 1927–1928, les crédits du ministère dépassent les deux millions de dollars, alors que 20 ans plus tôt ils ne totalisaient que 228 000 $.

Parmi les mesures adoptées durant le mandat de Caron, il faut mentionner la loi de 1915 qui rendait obligatoire l’inspection des beurreries et des fromageries, l’organisation de cours abrégés d’agriculture pour les cultivateurs, l’établissement de fermes de démonstration un peu partout dans la province et l’ouverture en 1926, à Rimouski, de la première école moyenne d’agriculture dans le but de former des cultivateurs modèles. Caron favorise aussi les secteurs de l’aviculture et de l’arboriculture fruitière. Le ministre tire cependant la plus grande fierté des coopératives agricoles qui se multiplient à compter de 1910. Les premières fondations ont été l’œuvre du sous-ministre Gigault, ce que les adversaires de Caron ne manquent pas de lui rappeler. Cependant, celui-ci adopte vite la formule et ne cesse d’apporter son soutien au mouvement tout au long de sa carrière. Il lui donne surtout plus d’unité en forçant les trois coopératives centrales – la Coopérative centrale des agriculteurs de Québec, formée en 1910 sous le nom de Société coopérative agricole des fromagers de Québec et qui a permis aux producteurs d’obtenir un juste prix pour le fromage de la province discrédité sur le marché britannique, le Comptoir coopératif de Montréal, fondé en 1913 et spécialisé dans la vente aux cultivateurs de marchandises d’utilité professionnelle, et la Société coopérative agricole des producteurs de semences de Québec, mise sur pied en 1914 et dont les installations sont situées à Sainte-Rosalie – à se regrouper en une grande organisation provinciale, la Société coopérative fédérée des agriculteurs de la province de Québec, mieux connue sous le nom de Coopérative fédérée de Québec.

Les trois coopératives centrales avaient rendu de fiers services aux cultivateurs, mais avec les années les deux premières en étaient arrivées à se livrer une concurrence qui menaçait la survie du mouvement. La fusion était souhaitée par plusieurs personnes. Le ministre précipite les choses à la suite de la vente, le 19 octobre 1921, du Bulletin des agriculteurs (Montréal), organe de la Coopérative centrale des agriculteurs, à un groupe de sympathisants des Fermiers unis dirigé par les agronomes Firmin Létourneau et Joseph-Noé Ponton. Le mouvement des Fermiers unis, qui s’est d’abord développé dans les provinces de l’Ouest canadien [V. James Speakman*], a pris de l’ampleur au Québec à compter de 1918 et le ministre craint qu’il en vienne à contrôler les coopératives de la province. Caron manœuvre pour remplacer les membres du conseil d’administration de la Coopérative centrale qui avaient consenti à la vente par des hommes qui lui sont totalement dévoués. Il fait ensuite entériner son projet de fusion par les administrateurs des trois coopératives et le soumet à l’approbation de leurs actionnaires convoqués à la hâte le 31 octobre 1922. La Loi constituant en corporation la Société coopérative fédérée des agriculteurs de la province de Québec est sanctionnée le 29 décembre. La première charte de la société octroie au ministre des pouvoirs considérables qui équivalent à une mise en tutelle de l’entreprise. De plus, ce dernier en confie la gérance au comptable du ministère. Ces décisions lui valent de nombreuses critiques dans les journaux qui ne sont pas d’obédience libérale.

En politique partisane, Caron n’a pas fait preuve de la même largeur de vue que dans la conduite de son ministère. Chargé de s’assurer de l’appui des circonscriptions rurales au Parti libéral, il était justifié de craindre la montée du mouvement agraire au début des années 1920. Malgré l’échec sur la scène électorale de ses dirigeants, il a continué de les combattre avec acharnement lorsqu’ils ont orienté leur action vers le syndicalisme agricole, attitude plus discutable. Cette querelle d’idées s’est transformée en un conflit de personnalité entre lui et Ponton.

La dernière partie de la carrière du ministre Caron est donc assombrie par ces événements. Par surcroît, ce dernier est affligé de sérieux maux d’estomac, ce qui n’est pas de nature à atténuer son acrimonie. L’agronome Jean-Charles Magnan, qui est présent en 1929 quand Caron fait ses adieux au personnel du ministère qu’il a dirigé durant près de 20 ans, écrit : « Ce jour-là, il se montra paternel, humble et humain. Ses paroles, émues et bienveillantes, nous remuèrent profondément. Il se faisait ainsi connaître sous un jour nouveau, en nous révélant de réelles qualités de cœur, de générosité et de sympathie [...] Quand il nous quitta, on commençait presque à le regretter. »

Homme d’une grande probité au sein de cabinets qui n’étaient pas exempts de tous reproches, Caron a été un collaborateur loyal de sir Lomer Gouin, dont il se disait « l’élève en politique » et avec qui il a maintenu des liens d’amitié jusqu’à la fin de sa vie, et de son successeur Louis-Alexandre Taschereau*. Ce dernier a reconnu ses états de service en le nommant conseiller législatif, le 23 décembre 1927, pour lui permettre de continuer à s’occuper du ministère de l’Agriculture en dépit de ses problèmes de santé. Aigri par certaines déclarations de son successeur, l’ambitieux Joseph-Léonide Perron, qui laissait entendre que rien n’avait été fait jusque-là pour l’agriculture au Québec, Caron obtient de son ancien chef, à la fin de 1929, l’assurance que ces propos n’ont nullement amoindri la confiance qu’il lui a toujours témoignée.

Doté d’une grande intelligence, d’un esprit mordant, Caron était également un bourreau de travail – on dit qu’il tapait lui-même la plus grande partie de sa correspondance – et un très bon orateur. Il a été un ministre efficace et un redoutable debater. Par contre, il a été desservi par son entêtement qui rendait impossible tout compromis avec ses adversaires. Il avait toutefois une juste perception des problèmes du monde rural. Il a contribué plus que tout autre ministre avant lui à la vulgarisation des connaissances agronomiques. En ce qui regarde les coopératives, s’il n’en a pas été l’instigateur, il en a fait, durant son mandat, un instrument privilégié de la politique agricole provinciale. Même après sa nomination comme ministre de l’Agriculture, il a continué d’aller à Sainte-Louise, où sa terre était exploitée par un fermier. Un ami de la famille rapporte qu’il aimait converser avec ses coparoissiens, qui n’hésitaient pas à lui faire part de leurs problèmes à la sortie de la messe ou chez lui. Il tirait une grande fierté de ses origines terriennes et ses interlocuteurs des deux côtés de la Chambre n’ont pu que reconnaître ses compétences en matière d’agriculture.

Forcé d’abandonner la politique en avril 1929 en raison de son état de santé, Joseph-Édouard Caron accepte alors le poste de vice-président de la Commission des liqueurs de Québec. Il meurt en juillet de l’année suivante, à l’âge de 64 ans ; il laisse à ses héritiers une succession évaluée à près de 180 000 $, dont un portefeuille d’environ 50 000 $ en actions de compagnies minières surtout. L’université Laval avait reconnu les mérites du ministre en 1918 en lui décernant un doctorat honoris causa en sciences agricoles. En 1928, son fils Amédée lui avait succédé comme député des Îles-de-la-Madeleine.

Jacques Saint-Pierre

AN, MG 27, III, B4, 27 : 13508–13535 (mfm aux ANQ-Q).— ANQ-Q, CE302-S20, 2 août 1897 ; S25, 10 janv. 1866, 3 juill. 1888 ; E9/716, dossier 3233/12 ; 717, dossiers 3163/13, 3280/23 ; P350/1, 29 nov., 7 déc. 1929.— Arch. de la Côte-du-Sud et du collège de Sainte-Anne Enr. (La Pocatière, Québec), F129 (famille Destroismaisons), 512/2, 512/13, 512/74.— L’Action catholique (Québec), 17 juill. 1930.— Le Soleil, 18 janv. 1921, 17 juill. 1930.— Claude Beauchamp, « les Débuts de la coopération et du syndicalisme agricoles, 1900–1930 : quelques éléments de la pratique », Recherches sociographiques (Québec), 20 (1979) : 337–381.— BCF, 1929: 104.— DPQ.— Nicole Lacelle, le Bulletin des agriculteurs, 1921–1929 : les visages d’un journal (Montréal, [1981   ?]).— A[rmand] L[étourneau], « Joseph Édouard Caron, 1866–1930 », le Journal d’agriculture (Montréal), 34 (1930–1931) : 17.— J.-C. Magnan, Confidences (Montréal, [1960]), 133–136 ; le Monde agricole (Montréal, 1972), 79–81.— Québec, Assemblée législative, Débats, 1902–1912, 1924 ; Assemblée nationale, les Grands Débats parlementaires, 1792–1992, Réal Bélanger et al., compil. (Sainte-Foy, Québec, 1994), 209–211 ; Parl., Doc. de la session, rapport du ministre de l’Agriculture, 1909–1929.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 14–31.— Ste-Louise-des-Aulnaies, 1859–1984 : album-souvenir (Sainte-Louise, Québec, 1984), 115, 118s.— Jacques Saint-Pierre, Histoire de la Coopérative fédérée : l’industrie de la terre (Québec, 1997).

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Jacques Saint-Pierre, « CARON, JOSEPH-ÉDOUARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/caron_joseph_edouard_15F.html.

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Auteur de l'article:    Jacques Saint-Pierre
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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