CARD, CHARLES ORA, colonisateur, dignitaire de l’Église de Jésus-Christ des saints du dernier jour (Église des mormons) et fonctionnaire, né le 5 novembre 1839 à Livingston (près d’Ossian, New York), fils de Cyrus Williams Card et de Sarah Ann Tuttle, fermiers ; le 4 octobre 1867, il épousa à Salt Lake City, Utah, Sarah Jane Birdneau, qui obtint le divorce le 24 mars 1884 ; le 17 octobre 1876, il épousa au même endroit Sarah Jane Painter, puis le 17 juin 1884, à Logan, Utah, Zina Presendia Williams, née Young, fille de Brigham Young, et enfin, le 2 décembre 1885, Lavinia Clark Rigby ; décédé le 9 septembre 1906 à Logan, il laissait dans le deuil ses trois femmes et 16 enfants.

Né dans le nord de l’État de New York, Charles Ora Card s’installa dans le Michigan avec ses parents, puis regagna avec eux l’État de New York. En 1856, les Card adhérèrent à l’Église des mormons et traversèrent les Prairies en chariot pour se rendre à Salt Lake City, où ils arrivèrent en septembre. En 1860, Card s’établit à Logan. Il exploitait une ferme et une scierie avec son père, mais il apprit aussi à construire des routes et des canaux. De 1864 à 1866, il fréquenta une école commerciale à Ogden ; par la suite, il enseigna à Logan. Actif dans la vie de son Église et de son milieu, il supervisa la construction de deux édifices importants, le Logan Tabernacle et le Logan Temple. De 1884 à 1890, il fut président de la région de la vallée de la Cache (région ecclésiastique assimilable à un diocèse).

Dans les années 1880, le gouvernement des États-Unis adopta des lois sévères contre la polygamie, pratique que les mormons avaient adoptée en 1852 avec plusieurs autres modifications à leur théologie et à leur organisation sociale. Ces lois, en vertu desquelles on emprisonna 1 300 mormons, imposaient de lourdes amendes aux polygames, déclaraient illégitimes les enfants nés de leurs unions et mirent fin à l’existence de l’Église en tant que corps constitué. Card fut arrêté en juillet 1886. Ayant réussi à s’échapper, il alla voir John Taylor, président de l’Église, qui était né en Grande-Bretagne et avait vécu en Ontario jusqu’à sa conversion au mormonisme. Card s’apprêtait à s’enfuir au Mexique, mais Taylor l’envoya au Canada, où régnait la « justice britannique ». À l’automne, Card et deux compagnons firent une tournée de reconnaissance en Colombie-Britannique et dans le sud du district de l’Alberta. Finalement, ils optèrent pour le sud-ouest de l’Alberta. La région avait de bonnes terres, de l’eau pour l’irrigation, des réserves de bois et de charbon. En outre, elle se trouvait à proximité de la réserve des Gens-du-Sang, où ils espéraient faire du travail missionnaire. Card retourna dans l’Utah pour rendre compte de ses démarches et faillit être arrêté de nouveau.

Au début, les mormons entendaient ne se réfugier que temporairement au Canada pour fuir la persécution dont ils se sentaient victimes. À l’approche du départ, Card était frappé par l’ironie de la situation. Le jour de l’An 1887, il nota : « Mes grands-parents ont mené, pour la liberté de culte, une grande bataille [...] [qui a] déversé sur notre beau pays un déluge de sang [...] [et], à présent, il semble que la nécessité oblige leurs petits-enfants à se replier dans les domaines d’un gouvernement dirigé par la Reine. Voilà qui paraît bien étrange. » Parti au printemps pour le Canada avec quelques-uns de ses coreligionnaires, il décida, le 26 avril, que les mormons s’établiraient là où se trouve aujourd’hui Cardston. En 1888, il mit sur pied une nouvelle section de la région ecclésiastique de la vallée de la Cache, la section de Cardston. Dès 1891, 359 mormons venus de l’Utah vivaient à Cardston et dans les environs. Dans la mesure du possible, ils se regroupaient dans des villages et cultivaient les champs environnants, comme le voulait leur tradition. Toutefois, les règlements fonciers du Canada ne favorisaient pas cette pratique, si bien que certaines familles devaient s’installer sur des terres éloignées.

La presse et bien des hommes politiques virent d’un très mauvais œil l’arrivée de Card et des premiers colons mormons. Le conflit qui opposait depuis longtemps le gouvernement des États-Unis et l’Église avait eu ses effets sur l’opinion publique. Selon le Calgary Herald, les mormons formaient « la plus infâme cabale des temps modernes contre la morale et la loyauté ». Ce journal exigeait que l’on mette fin au plus vite à leur « plan d’invasion et de prise de possession du sud de l’Alberta ». Par contre, le gouvernement du Canada et les agents de développement de la région étaient heureux que des fermiers rompus aux techniques de l’irrigation viennent s’établir dans un secteur reconnu pour son aridité. Au printemps de 1888, l’inspecteur des levés du département de l’Intérieur écrivait : « Jamais je n’ai vu un nouveau secteur de colonisation où l’on avait tant fait dans le même laps de temps. » Néanmoins, le gouvernement s’opposait résolument à la polygamie et il s’empressa de la rendre illégale lorsque, en novembre 1888, Card et d’autres chefs mormons allèrent demander à Ottawa d’aider les colons et de les autoriser à faire venir les familles polygamiques qu’ils avaient laissées aux États-Unis. Les mormons étaient les bienvenus, mais il n’était pas question d’accueillir leurs multiples épouses. Le problème ne se posa guère plus après 1890, année où l’Église abandonna officiellement la polygamie.

Pour vaincre le scepticisme des policiers et autres fonctionnaires, Card ne cessait de répéter que les mormons ne pratiquaient pas la polygamie au Canada. Grâce à ses relations personnelles avec plusieurs gens haut placés – fonctionnaires, hommes d’affaires, hommes politiques – qui voulaient encourager le peuplement de l’Ouest canadien, il contribua à faire accepter les nouveaux arrivants. William Pearce*, le fonctionnaire supérieur du département de l’Intérieur dans l’Ouest, jugeait l’irrigation essentielle à la colonisation de cette région semi-aride et faisait valoir que les mormons étaient des immigrants idéaux à cause de leur expérience. En août 1890, les leaders de l’Église demandèrent à Card de rester indéfiniment au Canada pour diriger ce qu’ils appelaient « la mission canadienne ». Désormais, les mormons étaient là pour rester. L’Église libéra Card des fonctions religieuses qu’il exerçait dans la vallée de la Cache afin qu’il prenne en charge le sud de l’Alberta. Quand on créa la région ecclésiastique de l’Alberta, en 1895, il en devint président.

Card était à la fois le conseiller spirituel des colons et le grand responsable des questions financières, commerciales et agricoles qui concernanient l’entreprise de peuplement. Le dimanche, dans ses sermons, il donnait des conseils en toutes ces matières. À compter de 1891, une société par actions mise sur pied par lui et quelques proches associés, la Cardston Company Limited, rassembla des capitaux pour financer des équipements collectifs : meunerie, fromagerie, équipement de battage à vapeur, scierie. Une partie de ces capitaux provenait de Zina Card. Partisane du suffrage féminin, ex-enseignante dans un collège, elle était celle des épouses de Card qui avait été choisie pour accompagner celui-ci au Canada. Par ailleurs, Card participa à l’établissement du premier réseau d’irrigation à Cardston en 1893.

Une deuxième vague d’immigrants mormons arriva dans le sud de l’Alberta à la fin des années 1890 dans le cadre de travaux d’irrigation de bien plus grande envergure. Ces travaux furent entrepris par suite d’une entente entre l’Église et un membre de la famille Galt [V. Elliott Torrance Galt*], qui exploitait des gisements de houille à Lethbridge et possédait des terres de bonnes dimensions au sud de la localité. Galt et ses associés collaborèrent étroitement avec Card, qui entrevoyait de pouvoir attirer un grand nombre de fermiers mormons américains auxquels les terres faisaient défaut. En 1898, il fut l’un des principaux intermédiaires grâce auxquels l’Alberta Irrigation Company signa un contrat avec l’Église en vue de la construction d’un réseau d’irrigation. Ce réseau recueillerait l’eau de la rivière St Mary à un point situé près de la frontière américaine et la mènerait jusqu’au voisinage de Lethbridge en la faisant passer par les terres arides de l’est de la rivière. Les sous-traitants, les ouvriers et les charretiers engagés pour les travaux étaient des fermiers mormons. Comme bon nombre d’entre eux avaient l’intention de s’établir dans le sud de l’Alberta, beaucoup se firent payer en terres une partie de leur travail. L’Église avait chargé Card de veiller à ce que sa part de l’engagement soit respectée ; il se rendait donc fréquemment dans l’Utah pour discuter des détails du contrat avec les hautes instances ecclésiastiques. En outre, c’est à lui qu’il incombait de convaincre les candidats à la colonisation de choisir le sud de l’Alberta. Sur le conseil de Card, quand le rythme des travaux ralentit, l’Église se mit à faire valoir aux colons missionnaires qu’aller s’établir au Canada était une bonne façon de s’acquitter de leurs devoirs religieux. Dès 1900, les 115 milles du canal étaient achevés ; le gouverneur général, lord Minto [Elliot*], inaugura l’ouvrage.

Card était un chef compétent et pratique qui savait déléguer des tâches et des pouvoirs. Il était capable d’amener les mormons et les autres à mettre leurs ressources en commun pour leur bénéfice mutuel. Dans les premières années de peuplement, à défaut de logements publics, les Card accueillaient chez eux – dans leur maison de quatre pièces en rondins – les visiteurs de marque : députés, dirigeants des compagnies de chemin de fer et autres hommes d’affaires. Tout en œuvrant dans l’Église et dans son milieu, Card fut agent du Bureau des terres de la Puissance et vendit des terres pour la Compagnie de chemin de fer et de houille d’Alberta et l’Alberta Irrigation Company. En 1900, lui-même et sa femme Zina se construisirent à Cardston une belle maison de brique à deux étages ; tout en restant modeste, leur situation financière s’améliorait donc.

À la fin des années 1890 et au début des années 1900, en raison de l’afflux constant d’immigrants venant des États-Unis et de l’accroissement naturel de la population locale, les mormons, sous le leadership religieux et économique de Card, essaimèrent à l’extérieur de Cardston. Ils fondèrent plusieurs localités, dont Magrath, Stirling et Raymond. Les colons mormons arrivaient encore en grand nombre lorsque, en 1902, Card fut libéré de ses fonctions administratives par l’Église pour des raisons de santé. Il retourna à Logan, où il mourut en 1906.

En 1911, le sud de l’Alberta comptait 18 localités habitées par des mormons. Dix mille membres de l’Église, surtout des fermiers et leur famille, vivaient dans la région. Sous la conduite de Charles Ora Card, c’était tout un mode de vie qui avait été importé du Grand Bassin américain et adapté à la région, mode de vie caractérisé par la pratique de l’irrigation, le peuplement par villages, l’économie coopérative et tout un réseau d’activités culturelles, sociales et religieuses. Si l’on trouve aujourd’hui une contrée mormone dans le sud de l’Alberta, c’est grâce à Charles Ora Card et à ceux qui vinrent le rejoindre.

Howard Palmer

Un journal intime de Charles Ora Card, édité par Donald G. Godfrey et Melva R. Whitbeck, a été publié à titre privé par Godfrey sous le titre The journal of Charles Ora Card, September 14, 1886, to July 7, 1903 (s.l., 1981).

Brigham Young Univ. Library (Provo, Utah), Div. of Arch. and mss, C. O. Card coll. ; Zina Young Williams Card colt.— GA, Glenbow Archives Irrigation Research Project, file 234.— Calgary Herald, 6 août 1890.— B. Y. Card, « Charles Ora Card and the founding of Mormon settlements in southwestern Alberta, North-West Territories », The Mormon presence in Canada, B. Y. Card et al., édit. (Edmonton, 1990), 77–107 ; « Charles Ora Card, Zina Y. Card », Chief Mountain country : a history of Cardston and district, Keith Shaw et Beryl Bectell, édit. (2 vol., Cardston, Alberta, et Calgary, 1978–1987), 2.— Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, Lethbridge Stake, A history of the Mormon church in Canada, M. S. Tagg et al., édit. (Lethbridge, Alberta, 1968).— J. O. Hicken, « Events leading to the settlement of the communities of Cardston, Magrath, Stirling and Raymond, Alberta » (thèse de m.sc., Utah State Univ., Logan, 1968).— A. J. Hudson, Charles Ora Card, pioneer and colonizer (Cardston, 1963).— A. A. den Otter, Civilizing the west : the Galts and the development of western Canada (Edmonton, 1982).— Howard Palmer et Tamara [Jeppson] Palmer, Alberta : a new history (Edmonton, 1990).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Howard Palmer, « CARD, CHARLES ORA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/card_charles_ora_13F.html.

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Auteur de l'article:    Howard Palmer
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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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