BRADSHAW, JOHN ERNEST, homme d’affaires, homme politique et officier, né le 13 décembre 1866 à Newport, île de Wight, Angleterre, fils de Robert Bradshaw et d’une prénommée Margaret ; le 2 mai 1894, il épousa à Prince Albert (Saskatchewan) Agnes Thompson, et ils eurent quatre filles et deux fils ; décédé dans cette ville le 25 décembre 1917.
On croit que la famille Bradshaw immigra au Canada en 1880. John Ernest Bradshaw travailla au magasin général de son père à Toronto et fut commis pour des marchands commissionnaires de cette ville. Parti ensuite pour l’Ouest, il trouva un emploi dans une banque à Duluth, au Minnesota, puis entra à la Hudson’s Bay Company à Winnipeg en 1891. Muté à Prince Albert en tant que directeur de la succursale de la compagnie, il ouvrit ensuite son propre magasin général. En 1900, il mit sur pied une société d’assurance appelée Bradshaw Agencies. Échevin de Prince Albert, de 1895 à 1905, maire en 1906, il brigua sans succès un siège à l’Assemblée législative sous la bannière du Parti des droits provinciaux au cours d’une élection partielle en 1907. Toutefois, il remporta la victoire aux élections générales de 1908, puis de 1912 ; le parti portait alors le nom de Parti conservateur. Pendant la Première Guerre mondiale, Bradshaw organisa et recruta le 243rd Infantry Battalion qui, une fois en Angleterre, fusionna avec un autre bataillon de Prince Albert, le 188th, au sein du 15th Réserve Battalion.
On se souvient de Bradshaw à cause des accusations de malversation qu’il porta contre le gouvernement libéral de Thomas Walter Scott* ; elles constituent d’ailleurs son principal apport à la politique de la Saskatchewan. Lancées en Chambre, ces accusations étaient extravagantes, vagues dans certains cas, et reposaient sur des preuves bien minces. Néanmoins, elles revigorèrent le gouvernement, qui avait sombré dans la complaisance à cause de la mollesse de l’opposition, et excitèrent une population peu habituée aux scandales depuis la fondation de la province en 1905. Après enquête, un certain nombre de ces accusations s’avérèrent fondées. Pourtant, ironie du sort, l’affaire donna une impulsion aux libéraux, car le gouvernement s’empressa de nettoyer ses écuries d’Augias ; elle nuisit aussi aux conservateurs au moment des élections, parce qu’elle confirma leur réputation de gens portés à l’excès.
À quatre reprises, du 10 février au 9 mars 1916, Bradshaw déclara à l’Assemblée législative tenir « de source sûre et [avoir] la conviction » que, dans l’année précédente, des députés libéraux provinciaux avaient accepté des pots-de-vin, que des ministres libéraux s’étaient ingérés dans l’administration de la justice et que des fonctionnaires avaient succombé à la corruption. En même temps, il accusa le gouvernement et ses fonctionnaires de mal gérer des établissements publics tels la prison et l’asile provinciaux ainsi que les départements dont relevaient la voirie et les téléphones. Les instigateurs de la corruption, affirmait-il, étaient les marchands d’alcool et les hôteliers. Ceux-ci, selon lui, cherchaient à contrecarrer un mouvement qui prenait de plus en plus d’ampleur, même dans les rangs des libéraux, et qui visait à bannir les débits d’alcool.
L’examen des accusations fut d’abord confié à des comités parlementaires, où les libéraux détenaient la majorité en raison de la position des partis. Peu après, comme les accusations se multipliaient et se diversifiaient et que les libéraux de l’extérieur de l’Assemblée réclamaient de plus en plus énergiquement une enquête approfondie, le gouvernement accepta de former une commission royale. En fait, celui-ci en créa trois : une sur les accusations relatives à la corruption et à l’alcool, une autre sur les fraudes de la voirie, une troisième sur la mauvaise gestion des secteurs de la construction et des téléphones. Ces commissions furent placées sous la présidence de juges ou d’ex-juges de tribunaux supérieurs, dont sir Frederick William Gordon Haultain*, juge en chef de la province et ancien chef du Parti conservateur. La dernière commission déposa son rapport seulement en 1917, mais avant la fin de 1916, la commission d’enquête sur la corruption et l’alcool conclut que quatre députés (dont le président de l’Assemblée) avaient accepté des sommes d’argent en s’engageant par exemple à influer sur la délivrance des permis d’alcool. (À l’origine, Bradshaw avait porté 27 accusations contre 13 hommes.) En plus, les autres commissions établirent qu’il y avait eu fraude de la part de certains fonctionnaires, conduite inconvenante de la part d’au moins un autre député libéral et pratiques administratives douteuses dans l’adjudication des contrats. Cependant, comme on était en 1917, les événements associés à la poursuite de la Première Guerre mondiale, et surtout la perspective de la conscription, éclipsèrent cette affaire. Au scrutin provincial du mois de juin, les libéraux renforcèrent même leur emprise sur l’Assemblée, dont le nombre de sièges avait augmenté. Ils firent élire 51 députés alors que les conservateurs en firent élire seulement 7, soit un de moins qu’en 1912.
Les libéraux avaient échappé de justesse au scandale. Selon le procureur général, William Ferdinand Alphonse Turgeon*, seule l’ineptie des tactiques de Bradshaw et du chef conservateur, Wellington Bartley Willoughby, avait évité aux libéraux de se faire « jeter « en dehors » [de l’Assemblée et de se retrouver] dans un sale pétrin ». Selon lui, les semaines de mars 1916 avaient été « un véritable cauchemar », surtout parce que, au dire du ministre James Alexander Calder, organisateur en chef du parti, les accusations avaient été « une surprise totale ». Plus encore, les libéraux étaient alors convaincus (et ils le restèrent) que Bradshaw était la marionnette du lieutenant-gouverneur nommé par les conservateurs, Richard Stuart Lake, lequel, ils en étaient sûrs, recevait des ordres de Robert Rogers*, le grand stratège conservateur d’Ottawa. Aux yeux des libéraux, les accusations de Bradshaw n’étaient donc que l’élément local d’une vaste stratégie visant à déloger le régime libéral le plus solide des Prairies.
Les accusations n’avaient pas pour autant été fabriquées de toutes pièces. De plus, le fait que les libéraux réorganisèrent leur parti tant à l’Assemblée qu’à l’extérieur avant les élections de 1917 témoigne de leur intelligence et de leur instinct de conservation. « Il faut, disait l’un des hommes clés du parti, démanteler entièrement l’organisation et en former une nouvelle. » Les jeunes libéraux, par exemple James Garfield Gardiner*, alors dans la deuxième année d’une carrière politique qui allait durer quatre décennies et le conduire aux cabinets libéraux provincial et fédéral, tirèrent de cette affaire une autre leçon profitable au parti – se tenir loin des marchands d’alcool, en qui Gardiner verrait toujours des prédateurs.
Les conservateurs ne réussirent pas à renverser les libéraux de Scott, même si le premier ministre, dont la santé déclinait depuis plusieurs années, s’était retiré en octobre 1916. John Ernest Bradshaw dut se contenter de dresser, à partir de ses accusations, une liste de réformes administratives, notamment en matière de pratiques comptables. Globalement, ces réformes constituaient un progrès important dans la conduite des affaires gouvernementales. Toutefois, ce fut le Parti libéral qui bénéficia de la gratitude populaire : il resta au pouvoir encore 13 ans. Bradshaw, l’initiateur du changement, perdit son siège au profit d’un libéral en 1917 et mourut subitement d’une crise cardiaque à Noël la même année. Les conservateurs provinciaux ne réussiraient pas à faire élire un autre député dans Prince Albert avant 1982.
Saskatchewan Arch. Board (Saskatoon), S-A35 (J. E. Bradshaw papers) ; S-M1 (T. W. Scott papers), p. 13819–13822, 14395–14403 ; A-M12 (W. R. Matherwell papers), p. 12803–12810.— J. A. Calder, « Reminiscences of the Hon. J. A. Calder », A. R. Turner, édit., Sask. Hist., 25 (1972) : 68–70.— Canadian annual rev. (Hopkins), 1916–1917.— Saskatchewan, Legislative Assembly, Journals, 1916.— Norman Ward et D. [E.] ith, Jimmy Gardiner : relentless Liberal (Toronto, 1990).
David E. Smith, « BRADSHAW, JOHN ERNEST », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bradshaw_john_ernest_14F.html.
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Auteur de l'article: | David E. Smith |
Titre de l'article: | BRADSHAW, JOHN ERNEST |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
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