BAPTIST, GEORGE, entrepreneur forestier, né le 7 janvier 1808 à Coldstream, petite ville du Berwickshire écossais, décédé à Trois-Rivières, Qué., le 11 mai 1875.

On ne sait rien de précis sur l’enfance et l’adolescence de George Baptist. En 1832, il émigre au Canada et s’installe d’abord près du lac Etchemin (comté de Dorchester, Qué.) ; employé aux moulins à scie de sir John Caldwell*, il acquiert une expérience précieuse pour sa future carrière. En 1834 on le retrouve à la pointe de Lévy où il travaille aux moulins à farine. Il cumule, semble-t-il, la gérance d’un moulin semblable, à la rivière Jacques-Cartier (comté de Portneuf). Ces activités ne l’éloignent pas définitivement du secteur forestier puisque, en 1846, il achète, dans la région du Saint-Maurice, le moulin à scie de la rivière Cachée, abandonné depuis deux ans par suite de la mort de son propriétaire, le député Edward Greive.

Au moment où George Baptist s’installe en Mauricie, plusieurs inventaires des ressources économiques de la région ont déjà été faits. À la suite de l’enquête préliminaire de Joseph Bouchette* en 1828, le gouvernement du Bas-Canada avait confié, en 1829, au lieutenant F. L. Ingall la mission « d’explorer plus complètement certaine partie de la Province entre les rivières St-Maurice et des Outaouais et qui [était] encore déserte et inculte ». Ingall souligna dans son rapport que le sol rocailleux et sablonneux de la Mauricie ne convenait pas à l’agriculture ; la forêt, en revanche, était riche en pins rouges et en pins blancs quoique l’épinette en fût l’essence principale.

L’équipe d’Ingall avait remarqué des billots flottant sur la rivière Bostonnais ; déjà à cette époque, des hommes bûchaient sur le haut Saint-Maurice. Il est probable que les propriétaires des Forges s’arrogeaient des droits exclusifs, en particulier sur le fief Saint-Étienne. Les pétitions infructueuses de Peter Patterson* (1831) et de John Thompson (1836) pour obtenir des droits de coupe sur ces terres le laissent croire. Cette situation obligeait les petits entrepreneurs à s’installer très haut sur la rivière et partant retardait une véritable exploitation de l’énorme potentiel forestier du bassin mauricien. De surcroît la rivière Saint-Maurice se présentait comme une « détestable route du bois » : son cours difficile devenait infranchissable entre Les Piles et Shawinigan, où il était parsemé de chutes.

L’action gouvernementale en vue d’aménager le Saint-Maurice ne se manifeste qu’à la fin des années 1840–1850. Durant cette décennie, l’économie québécoise est marquée par une affluence de capitaux dans l’exploitation forestière. Le gouvernement, aiguillonné par l’action des entrepreneurs, commande l’arpentage systématique de la Mauricie en 1847–1848 ; il procède, en 1851, à la construction de glissoires et d’estacades ; enfin, la commission dirigée par Étienne Parent met de l’avant, en 1852, une politique de concessions des terres de la couronne. Ce déblocage permet à Trois-Rivières de sortir de la léthargie qu’elle connaît depuis la fin de son âge des fourrures et de renouer avec la croissance économique symbolisée maintenant par les chantiers, les cages et les moulins à scie.

Ces changements dans la structure économique, qui s’amorçent à l’aube de la seconde moitié du xixe siècle, seront à l’origine de la formation de la « confrérie des barons du St-Maurice ». Les Gilmour, Hall, Studder, Norcross, Philipps et Baptist en seront les principaux représentants. Baptist va concurrencer sérieusement ces entrepreneurs forestiers. G.-A. Gouin, l’un des rares Canadiens français opérant dans ce secteur sur une base commerciale, éprouve de nombreuses difficultés à survivre ; selon lui, l’entreprise des Baptist est la cause de ses déboires, du fait qu’elle contrôle « presque tout le St-Maurice, depuis que Norcross, Hall [George Benson Hall] et les autres ont fait faillite ou se sont retirés ».

En 1847 George Baptist construit un moulin aux Grès. Ses employés, en s’agglomérant progressivement à proximité de l’établissement, donnent le jour, en 1859, à la paroisse de Saint-Étienne-des-Grès. Dix ans plus tard, le notaire Petrus Hubert décrivant la propriété de George Baptist (appelée parfois le « domaine des Grès ») mentionne un moulin, des maisons, des étables pour les chevaux, des boutiques, des hangars et autres dépendances ; le domaine s’étire le long des lots 42 à 47 inclusivement, situés dans le premier rang du canton Saint-Maurice. Baptist possède également, dans le même rang et dans le même canton, les lots 34, 35 et 36 de la Gabelle, plus la moitié sud-est du lot 62. Sans doute est-ce sur ces lots qu’il érige une dalle de desserte permettant à ses billes de contourner les chutes de la Gabelle et de poursuivre en cages leur voyage vers Trois-Rivières et Québec. Pierre Dupin estime qu’en 1852 la production du moulin est de « 25 730 billots pour lesquels il [Dupin] a payé $2 124.00, un peu plus de neuf sous par billot ». Quoique cette estimation ne tienne pas compte de tous les coûts de production, Baptist n’en retire pas moins une marge confortable de profits.

George Baptist, à l’instar des bourgeois de cette époque, pense que les profits doivent croître. Propriétaire depuis une année d’une partie de l’île Saint-Christophe, il songe, dès 1854, à construire un second moulin à Trois-Rivières même. Ce désir ne se concrétise qu’en 1866, alors qu’il en bâtit un magnifique sur l’île de La Potherie. Ce moulin moderne, actionné à la vapeur et pourvu de scies circulaires, contraste avec celui des Grès ; là, l’énergie dégagée par une roue à aubes se communique à des scies alternatives, montées sur bielles. Enfin l’achat du bateau à vapeur Arthur complète le nouvel équipement. L’emplacement de ce moulin est exceptionnel ; non seulement son constructeur est propriétaire exclusif de l’île de La Potherie, située à l’embouchure de la rivière Saint-Maurice, mais encore il possède deux terrains de part et d’autre de la rivière. Le site du moulin offre l’avantage de réduire les coûts de transport et de manutention puisque les bateaux prennent leur cargaison de bois pratiquement à ses portes. Cette position stratégique ajoutée à une innovation technique, influant sur la production du moulin, confèrent à Baptist une place de choix au sein de la « confrérie des barons ».

Le bureau de direction est la clef de voûte d’une entreprise de ce type. À ses débuts en Mauricie, Baptist collabore avec Thomas et John Gordon ; très tôt, ce dernier se retire de la compagnie. En 1853, tout au moins, Baptist et Thomas Gordon sont associés sous la raison sociale George Baptist & Company. Pendant un certain temps, Baptist assume seul la direction, avant de présider, en 1869, à une nouvelle association. Aux termes de celle-ci, le père détient la moitié des parts de la firme George Baptist & Sons ; ses deux fils, Alexander et John, en possèdent un quart chacun. À la suite de la défection d’Alexander, en 1875, une nouvelle compagnie, George Baptist, Son & Co., est formée et le gendre de George, James Dean, en fait partie. Outre les directeurs il faut compter les gérants : le fils aîné, Alexander, exerce ces fonctions aux chantiers et son frère, John, au moulin des Grès. Enfin les contremaîtres et les ouvriers sont essentiels au bon fonctionnement de l’entreprise, tant au moulin et aux fermes qu’aux chantiers. Ainsi ce contremaître, John Skroeder, qui engage 30 individus, à condition qu’ils se conforment « à tout ordre qui leur s[e]ra donné de la part de leur Foreman ou autre personne en charge pour le dit George Baptist ». Ces engagés recevront « huit piastres par mois » ; toute absence du lieu de travail entraînera un retranchement « d’une piastre par jour » sur la paie mensuelle. Ces hommes, dont la tâche n’est pas spécifiée, sont certes appointés pour leur travail aux chantiers.

Tous les automnes, Baptist engage des équipes de voyageurs pour procéder à l’abattage des arbres durant les mois d’hiver. Ses fermes de la Matawin et de la Rivière-aux-Rats, arrière-postes de l’empire Baptist, sont précisément désignées pour approvisionner les chantiers. Le produit des coupes exécutées sur les « limites » que détient Baptist est l’aliment essentiel de ses deux moulins. En plus, tous les automnes, George ou Alexander Baptist signent des « marchés de billots » avec de petits marchands de bois (genre de sous-entrepreneurs) qui s’engagent, à même leurs « limites » à bois, à fournir, au printemps, une « cargaison de billots de toises » de telle ou telle longueur, épaisseur, etc.

Dès 1869, peut-être pour des raisons de santé, George Baptist manifestait le désir d’abandonner progressivement les affaires, et il se donnait dix ans pour se retirer définitivement. Il devait mourir le 11 mai 1875. La longue nécrologie que le Constitutionnel lui consacre souligne que « M. Baptist depuis plusieurs années, manufacturait environ vingt-cinq à trente millions de pieds de bois par année ». Cette production résultait de l’exploitation d’immenses étendues du territoire mauricien. « M. Baptist, écrit le journaliste, possédait environ 2,000 milles du meilleur territoire du St-Maurice. Il n’a eu qu’à choisir dans un temps où tout le monde croyait que les limites ne valaient rien ; ces limites obtenues pour rien ou à peu près rien, valent aujourd’hui au moins un demi-million. »

Ces chiffres, qu’il faudrait vérifier, fournissent toutefois un aperçu de la situation financière de Baptist. Lui-même, dès 1869, estime sa participation dans la compagnie George Baptist & Sons à $200 000 ; or, Alexander, détenteur d’un quart seulement des parts, les liquide, en 1875, pour la somme de $150 000. Ces données n’ont qu’une valeur indicative. Personnellement, outre son capital fixe, ses actions dans la George Baptist, Son & Co. et ses propriétés des rues Boulevard et Bonaventure, George Baptist lègue à ses héritiers un capital sous forme d’actions de $34 550. Il se répartit comme suit : Banque de Montréal, 131 actions à $200 chacune ; succursale montréalaise de la Banque Ontario, 125 actions à $40 ; Dominion Telegraph de Toronto, 5 actions à $50 ; Banque des Townships de l’Est, à Sherbrooke, 62 actions à $50. Ce bordereau, significatif de la diversification de son portefeuille, ajouté à sa prestigieuse organisation capitaliste, sont symptomatiques des qualités de l’industriel George Baptist.

En 1873, peu de temps avant la mort de Baptist, le moulin des Grès fut emporté par une crue du Saint-Maurice ; il fut immédiatement reconstruit et maintenu en opération jusqu’en 1883. La Compagnie Union Bag & Paper s’en portera acquéreur au début du xxe siècle ; en 1922, la Shawinigan Water & Power Co. en deviendra propriétaire. Quant au moulin de l’île de La Potherie, il sera vendu à la Wayagamack par les descendants de George Baptist.

L’empire industriel qu’a créé Baptist en Mauricie, sa réussite, son sens de l’organisation et son esprit de compétition en font l’un des parangons de la classe bourgeoise trifluvienne. L’extension du réseau familial des Baptist apporte un élément de plus à la définition de cette bourgeoisie. En effet, du mariage de Baptist avec Isabella Cockburn, célébré à la pointe de Lévy en 1834, naîtront trois garçons et cinq filles qui toutes épouseront des hommes d’affaires. Phillis épousera un marchand québécois, James Dean ; Isabella, un avocat trifluvien, banquier et courtier, George Baillie Houliston ; Margaret, un comptable trifluvien, William Charles Pentland ; Jane, un marchand montréalais, Robert Mackay. Enfin, l’union la plus importante sera celle d’Helen Oliver Baptist et de Thomas McDougall, puisqu’ainsi des relations s’établiront entre deux familles prestigieuses de la Mauricie, l’une consacrée à l’exploitation forestière et l’autre à la métallurgie.

Georges Massey

AJTR, Greffe de Petrus Hubert, marché de billots entre Duncan McDonald et George Baptist, 26 sept. 1862 ; acte d’association entre George Baptist et ses fils, Alexander et John Baptist, 15 nov. 1869 ; testament de George Baptist, 17 nov. 1869 ; testament d’Isabella Cockburn, épouse de George Baptist, 17 nov. 1869 ; état sommaire et reddition de compte par Mme Isabella Cockburn, 6 sept. 1875. Greffe de F.-L. Lottinville, acte de vente de Georges Badeaux à John Gilmour, 6 oct. 1852 ; acte de vente de Georges Badeaux à Baptist et Gordon, 31 déc. 1853 ; déclaration de Georges Badeaux à George Baptist, 14 déc. 1855. Registre d’état civil, église presbytérienne St Andrews, 1846–1875.— ASTR, Papiers Mgr Albert Tessier, contrat d’engagement, 15 oct. 1858.— Le Constitutionnel (Trois-Rivières), 19 mai 1875.— Cyclopædia of Can. biog. (Rose, 1888), 7 71. Raoul Blanchard, Le centre du Canada français ; province de Québec « Publ. de l’Institut scientifique franco-canadien », 3, Montréal, 1947).— Pierre Dupin, Anciens chantiers du Saint-Maurice (« Pages trifluviennes », sér. B, 7, Trois-Rivières, 1935).— Storied Quebec (Wood, Atherton et Conklin), V : 809s.— Sylvain [Auguste Panneton], Horizons mauriciens (Trois-Rivières, 1962) ; Par les chemins qui marchent (Trois-Rivières, 1965).— Albert Tessier, Les forges Saint-Maurice, 1729–1883 (« Coll. L’histoire régionale », 10, Trois-Rivières, 1952) ; Trois-Rivières, 1535–1935 ; quatre siècles d’histoire (2e éd., [Trois-Rivières], 1935).

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Georges Massey, « BAPTIST, GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/baptist_george_10F.html.

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Auteur de l'article:    Georges Massey
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    28 novembre 2024