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PEEL, ANNA BELLA (Durie), mère d’un soldat mort à la guerre et auteure, née le 13 novembre 1856 à Thornhill, Haut-Canada, deuxième fille de John Alexander Peel et de Frances Burgess ; le 8 octobre 1880, elle épousa à Albany, New York, William Smith Durie*, et ils eurent un fils et une fille ; décédée le 22 décembre 1933 à Toronto.
Les parents d’Anna Bella Peel avaient émigré du comté d’Armagh (Irlande du Nord). Elle et sa sœur aînée, Emily Ruth, furent élevées à La Nouvelle-Orléans, où les Peel vivaient peut-être déjà avant la naissance d’Anna Bella. Sa mère partit sans doute pour le Haut-Canada afin d’être avec de la parenté au moment de son accouchement. Quand elle était enfant, Anna Bella fut témoin du siège et de la capitulation de La Nouvelle-Orléans en 1862 durant la guerre de Sécession. Selon des documents de la famille, son père avait été rédacteur en chef de journal avant de devenir un marchand prospère après la guerre. Il ne devint jamais riche, mais il fut en mesure d’acheter une grande maison située à la périphérie de la ville, peut-être au moyen d’argent venant de la famille de sa femme, et était connu en tant qu’« homme cultivé et raffiné ».
Comme beaucoup d’autres habitants de La Nouvelle-Orléans, les jeunes sœurs et leur mère quittaient la ville durant la saison dite malsaine ; pour leur part, elles allaient passer leurs étés au Canada. En 1870, Anna Bella et Emily Ruth furent emmenées en Europe pour y parfaire leur éducation. Au cours des trois années suivantes, elles étudièrent la peinture, la musique, ainsi que les langues, et visitèrent les grandes galeries d’art et salles d’opéra de France, de Belgique et d’Allemagne. À Paris, Anna Bella vit les blessés de la guerre franco-allemande être amenés en ville sur des wagons plats et vécut le chaos qui suivit la révolte de la Commune quand une foule en colère entoura la voiture de la famille.
La mère de Mlle Peel tomba malade en 1873 ; elle mourut à bord d’un bateau et fut enterrée à Queenstown (Cobh, république d’Irlande). Son père vendit la propriété familiale à La Nouvelle-Orléans, probablement pour effectuer le partage des biens parmi les héritiers. Deux ans plus tard, Mlle Peel poursuivit en justice ce dernier, qui avait subi un revers de fortune, en prétendant qu’il avait « entravé » la gestion de la succession de sa mère. Elle engagea peut-être cette poursuite pour s’assurer que son héritage (qui s’élevait à un peu moins de 25 000 $) ne soit pas mêlé aux dettes d’affaires que son père avait contractées.
En 1877, à l’âge de 21 ans, Mlle Peel se fiança à William Smith Durie, son aîné de 43 ans et adjudant général adjoint du district militaire no 2 (Toronto et le centre de l’Ontario) de la milice canadienne. Ils s’étaient probablement rencontrés à Thornhill, où la famille de celui-ci avait des biens immobiliers. Durie fut forcé de prendre sa retraite de la milice en 1880, l’année de son mariage, et, à sa grande indignation, il reçut deux ans de salaire, mais aucune pension. Même s’il avait dépensé une bonne partie de sa fortune personnelle pour améliorer la milice volontaire de l’Ontario, il poursuivit tout de même ses projets de construction d’une maison majestueuse pour sa jeune épouse juste au nord de Toronto, sur le chemin Spadina, à un endroit qui dominait la ville et qu’il nomma Craigluscar d’après le domaine des Durie situé près de Dunfermline, en Écosse. Le couple eut deux enfants, William Arthur Peel (connu dans la famille sous son second prénom), né en 1881, et Helen Frances, qui suivit deux ans plus tard. Le cercle des Durie comprenait de nombreux membres de l’élite torontoise, dont le juge et homme politique Adam Wilson*, l’officier William Dillon Otter*, le banquier et philanthrope Byron Edmund Walker*, ainsi que leurs épouses.
Durie mourut moins de cinq ans après le mariage et, à cette époque, l’argent était rare pour la jeune veuve. Mme Durie était néanmoins sûre de la supériorité sociale de sa famille et décida de sauver les siens de ce qu’elle appelait « l’empiètement de la rue Main ». Elle ne paya pas les factures des commerçants et n’effectua pas ses versements hypothécaires pour pouvoir envoyer ses deux enfants dans des écoles privées : Arthur à l’Upper Canada College et Helen Frances à la Bishop Strachan School. En 1893, la ville confisqua 15 acres d’un terrain appartenant aux Durie, à l’ouest de Toronto, en raison de taxes non payées, et Mme Durie dut vendre la maison familiale deux ans plus tard pour éviter la saisie. Arthur, timide et obéissant, éprouvait des difficultés à l’école, mais Mme Durie continuait de croire que son fils était promis à une grande destinée. Il entra au service de la Traders’ Bank of Canada (acquise par la Banque royale du Canada en 1912) en tant que « commis subalterne » et acheta plus tard une petite maison jumelée, rue St George, pour sa mère et sa sœur.
En novembre 1915, après le début de la Première Guerre mondiale, Arthur, qui était déjà officier du 36th (Peel) Regiment, partit en Europe en tant que lieutenant avec le 58e bataillon d’infanterie. Mme Durie, qui avait presque 60 ans, le suivit peu après. Il était fréquent de voir en temps de guerre des femmes rejoindre leur mari avec leurs enfants ; il était toutefois inhabituel qu’une mère suive son fils adulte. Elle s’installa à Londres et pria avec acharnement des responsables britanniques, français et de la Croix-Rouge de lui permettre de s’engager comme infirmière volontaire ou de remplir toute autre fonction sur le front de l’Ouest. Ils refusèrent, mais elle demeura en Angleterre durant une bonne partie de la guerre, où, soutenue financièrement par la solde d’Arthur, elle fut active au sein de la Croix-Rouge, tandis que Helen Frances, alors professeure d’anglais au Jarvis Street Collegiate Institute, resta à Toronto.
En mai 1916, à Ypres (Ieper), en Belgique, Arthur fut grièvement blessé à l’épaule et au poumon droits et tomba vite « gravement malade ». Après sa convalescence en Grande-Bretagne, il retourna au front, même s’il souffrit plus tard de la fièvre des tranchées et de neurasthénie (traumatisme causé par les bombardements). À l’insu d’Arthur, Mme Durie se débrouilla pour avoir un entretien avec le ministre de la Milice et de la Défense du Canada, sir Samuel Hughes*, et réussit à obtenir pour son fils un poste d’état-major. Il le déclina, mais elle ne perdit pas courage. Grâce à ses relations et sa persévérance obstinée, elle put avoir pour Arthur des postes administratifs en Angleterre et en France ; il les refusa également. Les lettres qu’il écrivit à sa mère et à sa sœur permettent de suivre l’évolution de son indépendance de plus en plus affirmée. Grâce à l’assurance que lui donnait son allégeance envers ses hommes et ses collègues officiers, il réussit à se libérer de l’étreinte affective étouffante de sa mère. Il lui fit savoir qu’il resterait avec son bataillon quelles que soient ses infirmités et que, lorsque la guerre serait terminée, il ne retournerait pas travailler à la banque. Le 29 décembre 1917, il fut tué par des tirs de mortier près de Lens, en France. À ce moment-là, Mme Durie traversait l’Atlantique pour rendre visite à sa fille au Canada. Elle apprit le sort de son fils seulement quand elle descendit du train à la gare North Toronto.
Mme Durie sembla d’abord avoir accepté l’enterrement d’Arthur à l’étranger, probablement parce qu’elle croyait que cette situation serait temporaire ; en 1918, elle écrivit qu’« avec leurs compagnons d’armes, nos héros repos[aient] dans un sol merveilleux ». Mais après la fin du conflit, elle devint de plus en plus préoccupée par le retour du corps de son fils dans son pays. La Grande Guerre avait coûté la vie à plus de 5 millions de combattants des forces alliées, dont environ 60 000 Canadiens, ce qui représentait un nombre de dépouilles à rapatrier beaucoup trop grand, même si les restes pouvaient être identifiés de façon concluante. En 1915, Fabian Arthur Goulstone Ware, fondateur de ce qui deviendrait l’Imperial War Graves Commission (IWGC), avait affirmé que les officiers « dir[aient] dans 99 cas sur 100 que s’ils [étaient] tués, [ils] souhaiteraient rester parmi leurs hommes ». Le fait que seuls les gens fortunés seraient en mesure d’assurer le retour de leurs êtres chers au pays était un autre problème. Il fut par la suite décidé que les soldats de l’Empire britannique seraient laissés à l’endroit où ils avaient été enterrés, « face à la ligne qu’ils avaient défendue au prix de leur vie ». Les objections furent nombreuses, mais avec le temps et la création de nombreux cimetières par l’IWGC, les débats autour de la question s’évanouirent. Cependant, Mme Durie refuserait d’être réduite au silence. Les règlements tracassiers, nécessaires au commun des soldats, ne s’appliquaient pas à un Durie. Elle avait perdu son fils à la guerre et, en 1920, elle était déterminée à récupérer son corps et son héritage.
Mme Durie implora des représentants officiels canadiens, dont le ministre de la Milice et de la Défense de l’époque, Hugh Guthrie, de lui permettre de rapatrier la dépouille de son fils au Canada à ses propres frais et tendit même une embuscade au premier ministre Arthur Meighen* au cours d’une visite au King Edward Hotel de Toronto ; tous ces efforts furent vains. En juin 1921, Mme Durie et Helen Frances se rendirent en France. Des employés locaux de l’IWGC tentèrent de retenir cette femme « tout à fait déraisonnable » qui « a[vait] pratiquement perdu tout bon sens sur ce sujet en particulier », mais Mme Durie et sa fille, aidées par deux hommes de la région, exhumèrent le corps d’Arthur, enveloppé dans une couverture, du Corkscrew British Cemetery, près de Loos-en-Gohelle, dans la nuit du 30 juillet. Cependant, quand la dépouille, placée dans un cercueil dont l’intérieur était recouvert de zinc, fut hissée sur une charrette en attente, le cheval recula soudainement puis cassa net les brancards et le bois brisé transperça le flan de l’animal. Le nouveau cercueil et les restes qu’il contenait furent remis dans la tombe.
Quatre ans plus tard, les deux femmes essayèrent de nouveau. En février 1925, Mme Durie apprit que les soldats enterrés au Corkscrew British Cemetery avaient été déplacés au Loos British Cemetery situé à proximité, ce qui confirmait apparemment ses pires craintes : son fils reposerait à un endroit ne portant aucune indication. Tard le 25 juillet, des hommes engagés par Mme Durie forcèrent l’une des extrémités du cercueil puis en extirpèrent ce qui restait du corps d’Arthur, laissant sur place des fragments d’os et des morceaux de vêtement. La dépouille traversa ensuite l’Atlantique clandestinement dans une valise, puis fut « exposée solennellement » pendant trois jours dans le salon de la maison de la rue St George, avant d’être inhumée le 22 août dans le lot familial du cimetière St James.
La France désirait vivement engager des poursuites judiciaires, mais les autorités britanniques et canadiennes craignaient de réveiller un ressentiment latent au sein de la population en général. Un rapport interne de l’IWGC indiquait que « ceux qui conn[aissaient] bien le dossier [étaient] d’avis que toute réouverture de l’affaire par voies légales f[erait] plus de mal que de bien ». La famille Durie ne fut pas la seule famille canadienne à avoir tenté de rapatrier les restes d’un être cher. En 1919, avec le consentement du préfet du Pas-de-Calais, en France, le corps du major Charles Elliott Sutcliffe fut déplacé du lieu où il reposait à Épinoy à un caveau privé situé tout près, puis enterré plus tard à Lindsay, en Ontario. En mai 1921, après que l’IWGC lui en eut refusé la permission, le père du soldat Grenville Carson Hopkins sortit la dépouille de son fils d’un cimetière en Belgique pour la placer dans un dépôt mortuaire à Anvers, mais on la retrouva avant qu’elle ne soit expédiée au Canada ; les personnes impliquées dans l’affaire furent traînées devant les tribunaux.
Mme Durie avait écrit ce qui fut probablement son premier poème, A soldier’s grave in France, quand elle visita la tombe initiale d’Arthur en 1919. Elle continua par la publication l’année suivante, à Toronto, d’un recueil intitulé Our absent hero : poems in loving memory of Captain William Arthur Peel Durie, 58th Battalion, C.E.F. Elle ne se contenta pas de décrire un homme dont la véritable bravoure fut de retourner accomplir une tâche écrasante dans des conditions épouvantables, mais en reconstruisit la personnalité en racontant plutôt les exploits audacieux d’un héros aristocratique. Cette mythification du conflit reflétait, à plus grande échelle, la réaction, après la Première Guerre mondiale, des familles qui s’efforçaient de trouver un sens à la perte de leurs êtres chers. Son roman, John Dangerfield’s strange reappearance, publié à Toronto en 1933, raconte l’histoire d’un fils vaillant, revenant à la vie après être tombé au front afin de tourmenter les personnes qui conspirent contre sa famille, et d’une fille qui a épousé un lord anglais et qui vit dans une maison majestueuse avec deux enfants parfaits. Mme Durie écrivit des textes en prose et des poèmes pour le Mail and Empire et le Canadian Magazine, lut de ses œuvres à la radio locale et s’engagea au sein de la Canadian Authors Association. Wolfe and other poems parut à Toronto en 1929 ; elle adapta plus tard le poème éponyme pour le théâtre, mais la pièce ne fut jamais mise en scène.
Dans ses dernières années, Mme Durie se découvrit une passion pour la généalogie. Elle fit des recherches sur les moindres liens de parenté entre la famille de son mari et la noblesse écossaise. En 1927, Mme Durie et sa fille se rendirent à l’abbaye de Dunfermline pour visiter la tombe de l’abbé George Durie, mort en 1577, et furent présentées au roi George V et à la reine Mary au palais de Holyroodhouse, à Édimbourg. On ne trouve aucune preuve d’un quelconque intérêt pour ses propres ancêtres dans ses papiers. En fait, ses remarques plutôt méprisantes envers ceux qui s’adonnaient au « commerce » montrent qu’elle prit une certaine distance par rapport aux Peel. De confession anglicane, Mme Durie était active à l’église St Thomas de Toronto, où elle avait fait installer une plaque à la mémoire d’Arthur. Elle occupa également les postes de présidente de la Société canadienne pour empêcher les cruautés envers les animaux et de vice-présidente du Conservative Women’s Club. Elle fut nommée membre à vie de la Société canadienne de la Croix-Rouge pour ses services en temps de guerre.
Anna Bella Durie succomba au cancer en décembre 1933, à l’âge de 77 ans. Sa fille, Helen Frances, ne se maria jamais. Elles reposent à côté de William Smith et d’Arthur au cimetière St James. Une croix du Sacrifice de huit pieds de hauteur indique l’emplacement de la tombe d’Arthur, mais il ne reste plus aucun Durie pour visiter le lot familial.
Onze des poèmes d’Anna Bella Peel (Durie) ont été réimprimés dans Canadian poetry from World War I : an anthology, Joel Baetz, édit. (Toronto, 2009). Dans deux écrits que nous avons publiés sous le nom de Veronica Cusack, « The family plot », Toronto Life, novembre 2001 : 75–98, et le récit en partie fictif The invisible soldier : Captain W. A. P. Durie, his life and afterlife (Toronto, 2004), figure un compte rendu détaillé de son histoire.
AO, R14423-0-6 ; RG 80-8-0-1410, no 7616.— BAC, RG 150, Acc. 1992-93/166, boîte 2775-5.— City of Toronto Arch., Fonds 1065.— Commonwealth War Graves Commission : www.cwgc.org (consulté le 6 avril 2011).— Commonwealth War Graves Commission Arch. (Maidenhead, Angleterre), corr.— Royal Bank of Canada Arch. (Toronto), personnel records.— Anciens Combattants Canada, « Mémorial virtuel de guerre du Canada » : www.veterans.gc.ca/fra/remembrance/memorials/canadian-virtual-war-memorial (consulté le 25 févr. 2011).— Toronto Daily Star, 22 août 1925.— Philip Longworth, The unending vigil : a history of the Commonwealth War Graves Commission, 1917–1967, introd. par Edmund Blunden (Londres, 1967).— K. R. Shackleton, Second to none : the fighting 58th Battalion of the Canadian Expeditionary Force (Toronto, 2002).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— J. [F.] Vance, « Battle verse : poetry and nationalism after Vimy Ridge », dans Vimy Ridge : a Canadian reassessment, Geoffrey Hayes et al., édit. (Waterloo, Ontario, 2007), 265–277 ; Death so noble : memory, meaning, and the First World War (Vancouver, 1997) (supplément électronique au chap. 2 à www.ubcpress.ca/books/supplements/death2.html).
Veronica Maddocks, « PEEL, ANNA BELLA (Durie) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/peel_anna_bella_16F.html.
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Auteur de l'article: | Veronica Maddocks |
Titre de l'article: | PEEL, ANNA BELLA (Durie) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2016 |
Année de la révision: | 2016 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |