PELLETIER, LOUIS-PHILIPPE (baptisé Louis-Thomas-Godfroi), avocat, journaliste et propriétaire de journaux, homme politique, professeur et juge, né le 1er février 1857 à Trois-Pistoles, Bas-Canada, fils de Thomas-Philippe Pelletier, marchand et plus tard conseiller législatif, et de Caroline Casault, sœur de Louis-Napoléon Casault, député et futur juge en chef de la Cour supérieure de la province de Québec ; le 11 janvier 1883, il épousa à Québec Adèle (Adélaïde) Lelièvre, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 8 février 1921 au même endroit.

Élevé dans un climat familial plutôt intellectuel et conservateur, Louis-Philippe Pelletier entre à 11 ans au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière avec son frère Alphonse, âgé de 13 ans ; il a comme confrère Thomas Chapais*. En 1877, il commence ses études de droit à l’université Laval de Québec. Il obtient sa licence trois ans plus tard « avec grande distinction » ainsi que le prix Tessier et la médaille d’or du gouverneur général, le marquis de Lorne [Campbell*] ; il a fait un stage de clerc auprès de l’avocat conservateur Auguste-Réal Angers*, personnage influent dont il deviendra l’ami.

Admis au barreau le 17 juillet 1880, Pelletier entreprend alors une longue et fructueuse carrière en droit. Il exerce à Québec, dans le bureau Blanchet, Amyot et Pelletier, puis, en 1889, dans l’important cabinet Amyot, Pelletier et Fontaine et, en 1903, chez Drouin, Pelletier et Baillargeon. Enfin, il termine à la tête de la firme Pelletier, Baillargeon et Alleyn, avant d’être nommé juge en 1914. Entre temps, il est nommé conseiller de la reine le 7 mars 1893, docteur honoris causa de l’université Laval le 10 juin 1902 et est choisi comme conseiller juridique de plusieurs banques et entreprises. Il fait partie de certains conseils d’administration, parfois même à titre de président, notamment de la Compagnie canadienne d’éclairage électrique, qui exploite le potentiel hydroélectrique des chutes de la Chaudière, près de Québec. De 1907 à sa mort, il est professeur titulaire à la faculté de droit de l’université Laval.

C’est toutefois par son activité politique à l’échelle provinciale et fédérale que Pelletier s’illustre publiquement. En 1885, l’affaire Riel [V. Louis Riel*] l’incite à se ranger du côté de ceux qui condamnent la pendaison du chef métis et qui la considèrent comme un affront envers les Canadiens français. Président du Club Cartier de Québec, il démissionne de cet organisme, et rejoint alors l’« alliance nationale » dirigée par Honoré Mercier* et formée de libéraux et de conservateurs dissidents. De 1886 à 1891, Pelletier appuie le programme national par l’intermédiaire de la Justice, journal qu’il a fondé en janvier 1886 à Québec avec d’autres conservateurs nationaux. Idéaliste et ultramontain, il croit à l’alliance au delà des lignes partisanes et des intérêts privés pour la défense des principes fondamentaux de la société canadienne-française, et s’acharne à démontrer l’importance de l’Église dans la société. Il se présente dans Témiscouata aux élections provinciales du 14 octobre 1886, mais il est défait par le conservateur Georges-Honoré Deschênes* ; de nouveau candidat aux élections fédérales du 22 février 1887 dans Trois-Rivières, il ne perd que par 30 voix contre sir Hector-Louis Langevin*. Pour le récompenser, Mercier, qui est devenu premier ministre, le nomme, le 11 mai 1888, au Conseil législatif. Il reçoit alors le titre d’honorable et peut désormais participer au processus législatif. Insatisfait, Pelletier réussit à permuter avec Louis-Napoléon Larochelle*, député de Dorchester, et est élu sans opposition à une élection partielle dans cette circonscription le 20 décembre. Commence alors une période cruciale dans la carrière de Pelletier. Simple député d’arrière-ban, il se voit confier par Mercier la tâche de s’assurer la collaboration du lieutenant-gouverneur Auguste-Réal Angers au moment de la sanction des projets de loi.

Pelletier est réélu dans Dorchester aux élections du 17 juin 1890, qui donnent aux nationaux de Mercier une confortable majorité. Très vite Mercier, désireux de mettre de l’avant ses idées plus libérales, trouve Pelletier encombrant. Il le rabroue publiquement parce que ce dernier a émis des réserves à l’égard du projet de loi qui vise à assurer le contrôle médical des asiles par l’État ; puis, parce que la Justice n’appuie pas sans réserve le gouvernement, il lui fait perdre la direction du journal au début de 1891. Pelletier, ainsi évincé du Parti national, se tourne naturellement vers son ancien parti, au sein duquel il ne tarde pas à exercer une influence marquante sur le plan de l’orientation idéologique et stratégique. Il obtient la création d’un journal de parti, le Matin (Québec), pour faire contrepoids à l’Électeur, l’organe des libéraux à Québec ; le journal paraîtra de janvier à septembre 1892.

En décembre 1891, le scandale de la baie des Chaleurs a raison du gouvernement Mercier et les conservateurs, dirigés par Charles Boucher* de Boucherville, prennent le pouvoir. Âgé de 34 ans, Pelletier, qui a la réputation d’être un travailleur, un homme bien informé et un combatif, est nommé secrétaire et registraire du gouvernement dès décembre ; il continue d’occuper ce poste dans le gouvernement conservateur de Louis-Olivier Taillon de 1892 à 1896, puis il est procureur général dans le ministère d’Edmund James Flynn de mai 1896 à mai 1897. L’action du ministre Pelletier confirme sa tendance à embrasser la vision ultramontaine d’une gestion rangée des finances ainsi que d’une administration peu interventionniste basée sur les valeurs traditionnelles canadiennes-françaises et sur le maintien du statu quo dans les structures du pouvoir et de l’organisation sociale, surtout en ce qui a trait aux domaines dirigés par les institutions religieuses.

Réélu le 11 mai 1897, malgré la vague libérale qui balaie le Québec, Pelletier commence un long séjour dans l’opposition. À la fin de 1904, quand le premier ministre Simon-Napoléon Parent* précipite la tenue des élections provinciales, il appuie la position de son parti, qui décide de ne pas participer à celles-ci. Il tentera, mais sans succès, de se faire élire au provincial, puis au fédéral en 1908. Chef organisateur du Parti conservateur fédéral pour le district de Québec depuis 1903, Pelletier se laisse peu à peu séduire par les idées nationalistes d’Henri Bourassa* et de la Ligue nationaliste canadienne fondée par Olivar Asselin* cette année-là. Concilier les principes conservateurs aux idéaux nationalistes devient donc pour Pelletier la clef qui lui permettra d’agir sur la scène fédérale pour y défendre une certaine forme de nationalisme pancanadien basé sur les valeurs traditionnelles. Au moyen de l’Événement, dont il est l’un des propriétaires de 1903 à 1914 [V. Louis-Joseph Demers*], il appuie l’alliance entre Bourassa et Frederick Debartzch Monk* et la nouvelle formation conservatrice-nationaliste qui en résulte en 1910. Le journal prend même clairement ses distances vis-à-vis le chef conservateur Robert Laird Borden* sur le projet controversé d’une marine de guerre de sir Wilfrid Laurier* car, selon lui, le chef « se trompe, s’illusionne sur les dangers de l’empire, sur les obligations du Canada envers la mère-patrie ». Aux élections fédérales du 21 septembre 1911, qui portent les conservateurs au pouvoir, Pelletier est élu dans la circonscription de Québec à titre de conservateur d’allégeance nationaliste. Il représente une faction minoritaire au sein du gouvernement Borden, mais il reste confiant de bien s’entendre avec le Parti conservateur dont il est issu. Ministre des Postes du 10 octobre 1911 au 19 octobre 1914, Pelletier s’applique à améliorer le service rural et régulier, les divers services dans les bureaux de poste et les conditions de travail des employés.

Deux grandes questions viennent rapidement opposer Pelletier aux tenants d’un nationalisme impérialiste dans le gouvernement Borden ; ce nationalisme, fortement influencé par un type d’impérialisme prôné par l’Angleterre, se montrait peu sensible au respect des droits et des institutions des Canadiens français. La protection des droits scolaires de la minorité catholique francophone du Keewatin se pose d’abord dès 1912, au moment où une partie de ce vaste district doit être rattaché au Manitoba. Devant l’intransigeance de ses collègues du cabinet, qui refusent d’inscrire des garanties pour la minorité catholique dans l’acte de transfert, Pelletier n’a d’autre choix que de se plier ou de démissionner. Il choisit d’accepter la négociation parallèle avec le gouvernement manitobain de sir Rodmond Palen Roblin* dans le but d’obtenir une promesse d’allégement du fardeau fiscal scolaire des catholiques de tout le Manitoba. Puis, le projet d’aide financière du gouvernement Borden à la marine militaire britannique vient de nouveau mettre ses convictions nationalistes en jeu. Un voyage en Angleterre en compagnie de Borden à l’été de 1912 l’a convaincu du péril allemand et de la faiblesse de ses chances d’empêcher l’adoption de ce projet. Il tente alors encore la voie du compromis en cherchant à obtenir que tout projet d’aide militaire soit soumis à la tenue d’un plébiscite, le rendant ainsi plus acceptable aux yeux des nationalistes. Toutefois, malgré le refus ferme de Borden et la démission de Monk le 18 octobre, Pelletier choisit de rester dans le cabinet. Pour plusieurs, ce choix prend l’allure d’un abandon définitif des idéaux nationalistes. Il semble cependant que Pelletier ait plutôt été victime d’une conjoncture politique très défavorable à la défense de ses idéaux et qu’il ait préféré rester pour assurer une présence nationaliste au cabinet, plutôt que de démissionner et de laisser les protagonistes de l’idéal impérialiste et orangiste conserver seuls le pouvoir. Finalement, en octobre 1914, il offre sa démission, avant d’être nommé juge de la Cour supérieure pour le district de Montréal le 18 novembre ; il est muté à la Cour du banc du roi de la province de Québec le 20 août 1915. Il présidera, notamment, le procès de Marie-Anne Houde, accusée du meurtre de sa belle-fille, Aurore Gagnon*, dite Aurore l’enfant martyre, en avril 1920.

La triple carrière de Louis-Philippe Pelletier, qui a emprunté la voie juridique, journalistique et politique, est imposante tout en n’étant pas inhabituelle pour l’époque. C’est toutefois le séjour de Pelletier au fédéral qui retient l’attention. En effet, ce séjour illustre l’incapacité de Pelletier à mettre en œuvre ses idéaux nationalistes ainsi que les difficultés qu’il éprouve à défendre une vision et des valeurs canadiennes-françaises au sein d’un gouvernement très fortement influencé par l’idéologie impérialiste.

Danièle Goulet

On trouvera une étude détaillée de la carrière politique de Louis-Philippe Pelletier ainsi que des références aux sources et aux ouvrages qui le concernent dans notre mémoire intitulé « Louis-Philippe Pelletier : un exemple du douloureux mariage du mouvement nationaliste et du Parti conservateur fédéral (1911–1914) » (mémoire de m.a., univ. Laval, 1991).

ANQ-Q, CE301-S1, 11 janv. 1883 ; CE303-S30, 1er févr. 1857

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Danièle Goulet, « PELLETIER, LOUIS-PHILIPPE (baptisé Louis-Thomas-Godfroi) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pelletier_louis_philippe_15F.html.

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Auteur de l'article:    Danièle Goulet
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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