LABELLE, LUDGER, avocat, journaliste et homme politique, baptisé en la paroisse Notre-Dame de Montréal le 7 avril 1839, fils de Jean-Baptiste-Napoléon Labelle et d’Éloïse Leclaire, décédé à Montréal le 29 décembre 1867.
L’enfance de Ludger Labelle fut assombrie par la mort de sa mère, atteinte depuis plusieurs années d’une « maladie de langueur ». Son père, un artisan qui avait été confrère de Louis-Hippolyte La Fontaine au collège de Montréal et avait songé à devenir prêtre, lui assura une solide instruction. Après avoir fréquenté la petite école, Ludger Labelle fit ses études au collège de Montréal de 1850 à 1857, au terme desquelles il opta pour la pratique du droit. Admis au barreau le 3 juillet 1860, il s’associa à Joseph-Alfred Mousseau*, futur chef du parti conservateur.
« Esprit brillant, nature excessivement sympathique », selon son beau-frère André-Napoléon Montpetit, Ludger Labelle émergea rapidement comme l’un des jeunes avocats les plus prometteurs. En 1861, il était déjà capitaine et membre de l’état-major des Chasseurs canadiens, un corps de miliciens que le surintendant de police, Charles-Joseph Coursol*, leva au moment de l’affaire du Trent. Pour Labelle, le droit était d’abord un moyen de gagner sa vie. Toutefois, son goût le portait vers le journalisme et son esprit vers la politique. « L’homme le plus irrégulier du monde », écrit Laurent-Olivier David* qui l’a bien connu, Labelle rédigeait de nuit les articles qu’il publiait. Étudiant, il avait été un temps rédacteur du journal la Guêpe, fondé par Cyrille Boucher en 1857. Adulte, il fonda à Montréal le Colonisateur, dont le premier numéro parut le 2 janvier 1862. Ce bihebdomadaire auquel collaboraient les têtes d’affiche de la jeunesse conservatrice, dont Mousseau, David et Joseph-Adolphe Chapleau*, prônait la colonisation comme « le plus sûr moyen de conserver intact le précieux dépôt de notre foi et de nos traditions ». Le Colonisateur était à l’image de ceux qui le rédigeaient : il s’intéressait aux arts, aux sciences et à la littérature, affichait une indépendance politique de bon aloi, mais n’hésitait jamais à défendre les « bleus » et combattre les « rouges ». Bien rédigé, mais non rentable, le journal connut une fin brutale : le 27 juin 1863, l’imprimeur Pierre Cérat refusa d’en continuer l’impression.
Le Colonisateur n’avait été qu’un tremplin vers la politique. Labelle, qui défendait la bannière libérale-conservatrice, connut ses premiers succès politiques en 1863. Il se fit élire conseiller du quartier Sainte-Marie à Montréal, fonction qu’il allait exercer jusqu’à sa mort. Lui-même et ses amis rêvaient de plus grands succès encore, quand l’annonce, en juin 1864, d’une coalition des partis pour mettre en place la confédération canadienne les remplit de stupeur. Ils se divisèrent en deux camps. Chapleau et Mousseau demeurèrent fidèles à leur parti, mais Labelle se rangea, dès l’été de 1864, du côté de Médéric Lanctot* et des jeunes turcs qui, s’opposant à la confédération, se révoltaient contre George-Étienne Cartier*.
Tout en menant avec Lanctot une vigoureuse campagne de politisation pour mobiliser les masses populaires, Labelle mit sur pied le Club Saint-Jean-Baptiste qui pensait tout bas ce que l’Union nationale – le journal de Lanctot – disait tout haut. Fondé à l’automne de 1864 ou au cours de l’hiver, le club avait son local, ses rites d’initiation et son mot de passe. Il comptait des députés, des avocats, des hommes d’affaires et, comble d’ironie, le chef de police de Montréal, Guillaume Lamothe, et quelques officiers de police. Ainsi noyauté, le club fit plus de bruit que de mal, mais réussit à inquiéter les hommes en place. Le juge Charles-Joseph Coursol, outré autant de la lutte sans merci que le club faisait à Cartier que du fait qu’il avait abrité durant un mois un des Confédérés qui avaient fait un raid, en octobre 1864, sur la petite ville de St Albans, au Vermont, en ordonna la dissolution.
Le club remporta quelques succès en politique. Il fit battre par un marchand épicier le jeune Chapleau qui se présentait comme conseiller municipal et fit réélire Labelle. Fils d’ouvrier, ce dernier était resté proche de son milieu. Petit, gringalet même, il avait gardé de ses racines populaires la démarche gauche, le geste spontané. Affable et courtois, il connaissait, dit David, « les noms de la plupart des ouvriers de la division Est de Montréal ainsi que de leurs femmes et de leurs enfants ». Labelle entretenait avec ses électeurs de Sainte-Marie des types de relations politiques qui avaient cours dans les milieux ruraux.
Cet appui inconditionnel de ses électeurs aida Labelle à s’imposer comme le chef des jeunes conservateurs dissidents et le bras droit de Lanctot. On le vit bien aux élections de 1867. Tous deux se mesurèrent sans succès à Cartier dans Montréal-Est : Lanctot brigua les suffrages aux Communes et Labelle, à la législature provinciale. L’histoire a surtout retenu le duel entre Lanctot et Cartier, sous-estimant le rôle de Labelle qui, tout l’été, fit du porte à porte, harangua les électeurs dans les rues et dans des meetings populaires. André-Napoléon Montpetit, son compagnon d’armes, écrivit plus tard, se remémorant la dure campagne de 1867 : « nous avons eu peu d’hommes aussi habile dans l’organisation, aussi subtil dans les moyens, aussi finaud en ressources, aussi persévérant pour ne pas dire acharné ».
Labelle sortit de cette campagne électorale moralement brisé et financièrement ruiné. Lui qui vivait avec son père et sa tante, semble alors avoir déposé les armes. Blasé, il se remit vaille que vaille à la pratique du droit, qu’acceptait mal son tempérament bohème. Comme son frère Elzéar, il avait une âme de poète et sa verve excellait à rimer des chansons. Labelle mourut en décembre 1867, laissant le souvenir d’un cœur noble et charitable, d’une âme droite, et d’un esprit subtil.
Ludger Labelle n’a pas laissé d’archives. Laurent-Olivier David qui l’a connu intimement en a tracé un portrait fidèle dans Mes contemporains (Montréal, 1894). Les journaux de l’époque font mention de ses activités politiques, mais ignorent sa vie professionnelle et privée.
À part David, aucun historien n’a encore tenté de ressusciter ce personnage attachant. Jusqu’ici, Labelle n’a été qu’un figurant dans les œuvres historiques. É.-Z. Massicotte* dans Faits curieux de l’histoire de Montréal (Montréal, 1922) et Victor Morin* dans son article « Clubs et sociétés notoires d’autrefois », Cahiers des Dix, 16 (1951) : 233–270, ont décrit le Club Saint-Jean-Baptiste et esquissé le rôle joué par Labelle. Léon Trépanier dans ses articles sur Montréal, « Figures de maires » et « Guillaume Lamothe (1824–1911) », parus respectivement dans les Cahiers des Dix, 22 (1957) : 163–192, et 29 (1964) : 143–158, ainsi que Robert Rumilly dans son Hist. de Montréal évoquent sa figure au passage.
ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 7 avril 1839.— APC, MG 30, D62, 17, pp.27–32.— Elzéar Labelle, Mes rimes, A.-N. Montpetit, édit. (Québec, 1876), 15s., 21.— Le Colonisateur (Montréal), 2 janv. 1862–27 juin 1863.— Le Pays, 31 déc. 1867.
Huguette Filteau et Jean Hamelin, « LABELLE, LUDGER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/labelle_ludger_9F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
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