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Graham, HUGH, 1er baron ATHOLSTAN, éditeur de journaux, homme d’affaires et philanthrope, né le 18 juillet 1848 à St Michaels (Athelstan), Bas-Canada, aîné des quatre enfants de Robert Walker Graham, gentleman-farmer, et de Marion Gardner ; le 17 mars 1892, il épousa à New York Anne Beekman Hamilton (décédée en 1941), et ils eurent une fille ; décédé le 28 janvier 1938 à Montréal et inhumé au cimetière Mont-Royal à Outremont (Montréal).
Né dans la vallée de la Châteauguay, près de la frontière américaine, Hugh Graham fréquenta l’école locale, à Hinchinbrook (Hinchinbrooke), puis étudia deux ans à la Huntingdon Academy. Dès l’âge de 14 ou 15 ans, il partit à Montréal afin de travailler au bureau d’un périodique dont son oncle Edmund Henry Parsons était le rédacteur en chef et l’éditeur, l’Evening Telegraph and Daily Commercial Advertiser. Ce journal fut vendu, et Graham, qui y avait exercé les fonctions d’aide-comptable et de directeur commercial, passa à la Gazette vers la fin de 1867 ou en 1868. C’est là qu’il se retrouva aux côtés du rédacteur sportif George Thomas Lanigan. Âgé de seulement deux ans et demi de plus que lui, Lanigan s’était déjà fait un nom en tant que poète, écrivain et journaliste. Tout en travaillant à la Gazette, il avait fondé le Free Lance. Quand cet hebdomadaire satirique se mit à éprouver des difficultés financières, Lanigan sollicita l’aide de Graham. Le 1er décembre 1868, les deux hommes s’associèrent ; Graham s’occuperait de l’aspect commercial de l’entreprise et Lanigan, de l’aspect rédactionnel. Ils publieraient le Free Lance jusqu’en mars 1869. De leur alliance naquit l’Evening Star, dont le premier numéro parut le 16 janvier 1869. Ce journal, rebaptisé Star le 16 avril 1877, puis Montreal Daily Star le 3 janvier 1881, continuerait de paraître sous d’autres variations de ce nom jusqu’au 25 septembre 1979.
Plus tard, Graham raconterait souvent avec fierté que les propriétaires du Star avaient survécu à des débuts difficiles en mettant tout simplement du cœur à l’ouvrage. À eux deux, les associés possédaient moins de 100 $, à quoi s’ajoutaient 1 000 $ de capital emprunté. La véritable histoire n’est pas aussi héroïque. On n’en connaît pas tous les détails, mais, initialement, le journal appartenait à la Marshall and Company, qui regroupait peut-être Graham, Lanigan et un autre jeune journaliste, Thomas Marshall, dont le rôle demeure obscur. D’autres sources laissent entendre que Graham devint assez tôt l’unique propriétaire de la Marshall and Company. À n’en pas douter, la première année, ou presque, fut pénible : il fallait esquiver les créanciers et faire preuve d’imagination quand la presse tombait en panne. Au bout de six mois, une crise financière survint, mais Graham put compter sur le soutien de sa famille. En septembre ou octobre, il reçut de son père au moins 3 000 $, et de plus petites sommes d’argent d’autres parents. Il semble que, en échange, la rédaction fut confiée exclusivement à Parsons, en novembre. Pour le clan Graham – de fervents Britanniques presbytériens –, Lanigan était sans doute trop bohème et trop proaméricain. Il quitta le Star mais écrivit encore des articles pour ce journal durant plusieurs mois avant de s’installer définitivement aux États-Unis.
L’assistance financière de sa famille pourrait avoir permis à Graham de restructurer la propriété du journal. En octobre 1869, il s’était associé avec le vendeur de réclames publicitaires Wayne Griswold et avait créé une société d’édition, la Graham and Company, dont il détenait sept huitièmes des actions. L’entreprise serait dissoute en 1873. De 1881 à 1884 et de 1884 à 1887, Graham aurait des liens éphémères avec d’autres associés, toujours sous la raison sociale de Graham and Company, après quoi il ferait cavalier seul en tant qu’éditeur.
Lorsque le Star fut lancé, au début de 1869, Montréal comptait déjà sept quotidiens, soit quatre de langue anglaise et trois de langue française, même si, depuis peu, le nombre de francophones dépassait légèrement celui des anglophones. Comme ces journaux étaient reliés à des groupes politiques et religieux, ils s’adressaient à des lectorats plutôt restreints. D’interminables articles partisans, des annonces officielles et d’arides nouvelles du monde des affaires emplissaient leurs pages. Le Star, lui, offrait un autre choix, car il cherchait à exploiter le nouveau marché de masse créé par l’accroissement de l’urbanisation et de la prospérité de la classe ouvrière en s’inspirant des quotidiens populistes de New York. Avec leur stratégie commerciale, ces journaux, dont le Star déterminerait le modèle au Canada, visaient un plus large auditoire et s’appuyaient sur un menu varié. Chaque type de lecteur, mais surtout les segments de la population négligés jusque-là – les femmes, les travailleurs, les immigrants (surtout les Irlandais) et les amateurs de sport –, aurait quelque chose à se mettre sous la dent. Comme le proclamait l’une de ses réclames au début de 1869, le Star était « le journal de tous, riches ou pauvres, citadins ou campagnards, protestants ou catholiques, bleus ou rouges ».
Nouveau par son contenu, le Star était écrit dans un langage plus vivant, insistait sur le côté humain et se montrait même un peu osé. Une de ses premières réussites fut une série intitulée « Days and nights ». Ces articles parus à la une donnaient des détails sordides sur le milieu de la prostitution à Montréal. Leur auteur, presque certainement Lanigan, prétendait : « nos intentions sont bonnes. Nous souhaitons lever le voile sur l’attrait romantique absurde pour le vice, montrer le péché sous son aspect quotidien. Nous souhaitons que la société sache ce qu’est le mal afin qu’elle ait la sagesse d’en fuir sa tentation initiale et son horrible dénouement. » Pour que les crieurs, au coin des rues, puissent vendre à profusion leur journal à un cent, Lanigan et Graham voulaient des nouvelles qui prenaient aux tripes, tandis que les patrons des publications concurrentes se satisfaisaient des tirages plus modestes, mais constants, engendrés par les abonnements. Une autopromotion énergique faisait aussi partie de la stratégie commerciale de Graham et Lanigan. Mais, par-dessus tout, le Star s’efforçait d’offrir un bon rapport qualité-prix en publiant un plus grand nombre de pages que ses rivaux, et en offrant des numéros spéciaux richement illustrés à l’époque de Noël et du carnaval d’hiver.
Dès le milieu des années 1870, le Star se vendait plus que ses concurrents et n’avait plus de dettes. En 1887, il affichait un tirage de 27 746 exemplaires, le plus gros au Canada. Même après que le tirage quotidien de la Presse de Montréal eut dépassé le sien, vers 1895, le Star restait en tête des quotidiens canadiens de langue anglaise (position qu’il conserverait pendant une bonne partie du siècle suivant), et le tirage combiné de ses éditions quotidiennes et hebdomadaires surpassait celui de tout autre journal au pays. D’une valeur d’environ 250 000 $ en 1895, il était considéré comme le journal le plus lucratif au Canada et rapportait annuellement 40 000 $ à Graham.
Lancée en 1870, l’édition hebdomadaire du Star, intitulée Family Herald and Weekly Star, joua un rôle déterminant dans le succès du journal. En 1895, elle se vendait à 70 000 exemplaires, dont plus de la moitié en Ontario et dans les Maritimes, de sorte que le Star exerçait une influence impressionnante bien au delà de son marché principal. Graham atteignit ce tirage record en vendant moins cher que ses concurrents, surtout dans les marchés ruraux, où les lecteurs pouvaient s’abonner au Weekly Star pour à peine un dollar par an.
Alors que d’autres éditeurs étaient redevables à des intérêts particuliers, ou mettaient au moins autant l’accent sur leur mission politique ou sociale que sur l’information, Graham se concentrait sur l’expansion de son entreprise et était libre de prendre ses décisions journalistiques, sans avoir à tenir compte de qui que ce soit. Sa réussite remarquable inspira d’autres quotidiens populaires, notamment l’Evening Telegram de John Ross Robertson* à Toronto, l’Evening Journal de Philip Dansken Ross* à Ottawa et la Presse de Trefflé Berthiaume*. En outre, le succès du Star déclencha le mouvement qui transforma les presses grinçantes des partis politiques du xixe siècle en sociétés d’information modernes.
Jamais journaliste lui-même, Graham se contentait de tirer les ficelles. Cet administrateur habile et avant-gardiste savait s’entourer d’une équipe de talent. L’artiste et caricaturiste politique Henri Julien* en fit partie, tout comme des journalistes voués à une renommée nationale, tels Philip Dansken Ross et John Wesley Dafoe*. Plusieurs rédacteurs, dont Edward George O’Connor, Henry Dalby, Albert Richardson Carman et A. J. West, travailleraient avec lui durant de nombreuses années. Graham réinvestissait systématiquement les bénéfices dans la technologie de pointe : il fit l’acquisition, en 1874, de la première presse offset au Canada, alimentée par du papier en bobines et non par des feuilles, et il fit installer une ligne télégraphique directe dans la salle de rédaction. Il fut aussi le premier à dévoiler son tirage exact, en 1884, et à intégrer divers aspects de son entreprise en achetant, au début des années 1900, une papeterie à Saint-Raymond, la News Pulp and Paper Company Limited. En 1902, avec Robertson, il fonda la Canadian Associated Press ; cette agence établit la première liaison directe par câble qui acheminait des dépêches à partir de la Grande-Bretagne.
Le Star, qui s’annonçait comme « Le journal du peuple ! » et se vantait d’être « indépendant, libre et audacieux », avait combattu le monopole de la Compagnie de gaz de Montréal et dirigé, en 1883, la campagne en vue de mettre en place une solution de rechange, la Citizens Gas Company of Montreal. Il dénonçait les marchands locaux qui pratiquaient des prix exorbitants et organisait des brigades de déneigement quand de grosses tempêtes s’abattaient sur la ville. Toutefois, c’est probablement dans ses croisades pour améliorer la santé des citoyens que le Star se montra le plus passionné. Il se signala surtout pendant l’épidémie de variole de 1885 et 1886, qui tua environ 3 000 Montréalais. De nombreuses personnes succombèrent à la maladie parce que, mal informées, elles s’opposaient à la vaccination. Non seulement Graham appuya-t-il les efforts du président du bureau municipal de santé, Henry Robert Gray*, en multipliant, dans son journal, les comptes rendus sur la situation et les articles éducatifs, mais il s’impliqua personnellement en devenant membre d’un bureau de santé élargi. Le Star s’en prit à la corruption de l’administration municipale et se félicita d’avoir contribué à l’élection de John Joseph Caldwell Abbott* à la mairie, en 1887. La même année, le journal créa le Fresh Air Fund, qui servirait à envoyer les enfants des quartiers défavorisés dans des colonies de vacances. Au fil des ans, Graham lutterait afin d’obtenir une réglementation pour la pasteurisation du lait, organiserait des campagnes contre le choléra, la typhoïde et la tuberculose et offrirait un prix (jamais réclamé) pour un remède contre le cancer. En prenant ces initiatives, il suivait l’exemple de James Gordon Bennett, rédacteur en chef du New York Herald, et des propriétaires d’autres quotidiens américains militants. D’ailleurs, ces tactiques s’inscrivaient parfaitement dans la stratégie commerciale du Star, qui consistait à s’afficher comme journal populiste.
En 1885, pendant la rébellion du Nord-Ouest, le Star avait joué le grand jeu en dépêchant sur place sept reporters. C’était l’une des premières fois que l’on utilisait, pour des événements majeurs, la technique du matraquage d’information, que le Toronto Daily Star, entre autres, adopterait plus tard. Il en résulta quelques articles mémorables, particulièrement l’entrevue de Louis Riel* en prison par William Arthur Harkin, publiée le 22 août avec un bref message de Riel aux lecteurs du journal.
Même si le Star avait toujours proclamé être une publication indépendante, à partir de la fin des années 1870, il avait régulièrement soutenu des causes conservatrices et impériales, et son éditeur était identifié au Parti conservateur. Graham considérait la Grande-Bretagne comme sa patrie culturelle ; pour lui, les réalisations et les institutions britanniques représentaient le sommet de la civilisation. Le Canada n’en était pas moins, à ses yeux, un pays indépendant, qui devait prouver sa maturité en prenant part aux affaires impériales sur un pied d’égalité avec la mère patrie. Dans la période qui précéda la guerre des Boers (1899–1902), il parla avec un patriotisme exalté du devoir d’aller au secours de la mère patrie. Que le Star ne fasse que rapporter l’actualité ne lui suffisait pas. Au début d’octobre 1899, il fit envoyer par ses employés quelque 6 000 télégrammes à des personnages publics dans tout le Canada afin de solliciter des messages sur la nécessité pressante de s’engager dans le conflit. Les réponses, espérait-il, forceraient le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier* à surmonter ses réticences et à aller en guerre. La position impérialiste du Star, qui s’exprimait par des manchettes comme celle-ci, parue le 11 octobre, « Our country must be kept British », provoqua l’ire des nationalistes de la province de Québec, dont les hommes politiques Joseph-Israël Tarte* et Henri Bourassa*. Beaucoup s’opposaient à ce qu’ils considéraient être une guerre coloniale injuste ; d’autres déploraient que ni le Parlement ni l’électorat ne soient consultés. Sir Charles Tupper*, le chef conservateur qui avait mené Graham dans les allées du pouvoir du parti vers 1896, dirait que l’éditeur avait sauvé l’honneur du Canada dans les mois précédant la guerre. La campagne du Star et l’engagement personnel de Graham à souscrire jusqu’à un million de dollars d’assurance pour les volontaires canadiens du premier contingent expédié en Afrique du Sud pesèrent beaucoup dans la décision du Canada de prendre part au conflit [V. sir Wilfrid Laurier], mais ils élargirent également le fossé entre les conservateurs et les nationalistes, et entre les Canadiens français et le reste du pays.
Reconnu pour être radin envers ses employés, Graham se montrait plus que généreux quand il s’agissait d’utiliser son journal et sa fortune pour soutenir ou promouvoir les initiatives du Parti conservateur. De 1896 jusqu’à 1904, au moins, il joua un rôle important, en particulier dans l’aile québécoise du parti, à titre de collecteur de fonds et de conseiller. En 1917, dans sa correspondance avec le premier ministre conservateur du Canada, sir Robert Laird Borden, il affirmerait avoir dépensé plus de 200 000 $ pour les élections de 1904 seulement, dont une partie sous forme de prêts qui, pour la plupart, n’avaient pas été remboursés. En 1932, dans une note au premier ministre fédéral conservateur Richard Bedford Bennett*, il dirait avoir donné un appui plus substantiel au parti « que n’importe quels trois autres hommes au Canada », soit 1 400 000 $, selon son estimation.
Plus il était riche et puissant, plus Graham semblait prendre au sérieux l’image de sage de la politique qu’il avait de lui-même. Certes, on ne pouvait faire fi de cet homme, éditeur du principal journal du pays et généreux donateur du parti, mais son influence réelle ne cessa de décliner. Après 1904, on le considéra de plus en plus comme un être imprévisible. Mieux valait rester dans ses bonnes grâces puisqu’il apportait un soutien financier et avait du poids dans le milieu de la presse, mais on ne pouvait se fier à ses conseils dans les affaires importantes.
Graham perdit une bonne partie de son influence à cause du piètre jugement dont il fit preuve en essayant de manipuler des élections et diverses politiques gouvernementales. Son implication dans les élections fédérales de 1904 illustre son manque de discernement. Graham, le financier David Russell, l’avocat James Naismith Greenshields et l’ancien homme politique Andrew George Blair* jouèrent un rôle prépondérant dans un complot dont le but était de miner la popularité du premier ministre fédéral Laurier et des libéraux dans la province de Québec en soudoyant des journalistes, en poussant des candidats libéraux à se désister et, surtout, en acquérant la Presse en secret. Officiellement, ce journal resterait prolibéral, mais les conspirateurs s’en serviraient pour remettre en question le programme et les actions de Laurier. La Presse fut achetée subrepticement, pour la somme de 825 000 $, avec de l’argent amassé entre autres par Graham. Toutefois, Laurier eut vent de l’affaire et menaça de la dévoiler, ce qui fit échouer le complot [V. Trefflé Berthiaume]. Borden, alors chef de l’opposition conservatrice, se sentit obligé de nier les rumeurs selon lesquelles il avait trempé dans l’affaire et dut prendre ses distances par rapport aux organisateurs de son parti au Québec, dont Graham.
Souvent, en tentant de s’immiscer dans le jeu politique, Graham montait des stratagèmes extravagants. Borden, qui en général n’était pas dupe, le décrirait ainsi dans son journal personnel, en 1916 : « un singulier mélange de ruse et de stupidité. Sa grande faiblesse est de croire qu’il peut tromper autrui. » Un des artifices favoris de Graham consistait à rédiger des brouillons de lettres qu’il envoyait au premier ministre du Canada et à d’autres figures influentes en leur demandant de les signer comme si elles exprimaient leurs propres idées. Bien qu’il ait essuyé de multiples rebuffades, il ne cessa jamais d’offrir des conseils aux premiers ministres – de sir John Alexander Macdonald* à Bennett –, ni de solliciter des faveurs, par exemple des réductions de frais postaux ou de droits tarifaires pour ses journaux. Malgré ses liens étroits avec les conservateurs, ce fut un premier ministre libéral, Laurier, qui le recommanda pour le titre de chevalier, qu’il obtint en 1908. Contrairement à son habitude, Graham n’avait pris position pour aucun parti pendant la campagne électorale fédérale de cette année-là.
Même si la crédibilité personnelle de Graham déclinait, le Star était encore très influent. On en eut une démonstration éclatante pendant la campagne fédérale de 1911, où il sonna la charge contre l’entente de réciprocité conclue par Laurier avec les États-Unis [V. William Stevens Fielding*]. Entre autres tactiques, le Star imprima et distribua, par l’entremise de journaux conservateurs de tout le pays, quelque 300 000 exemplaires d’un supplément spécial contre le libre-échange. Ce supplément contenait des collaborations de l’écrivain Rudyard Kipling et d’autres impérialistes influents. John Castell Hopkins* ferait observer dans la Canadian annual review : « il n’arrive pas très souvent dans l’histoire d’un pays jeune, ni même de n’importe quel pays, qu’un seul journal joue un rôle important dans la chute d’un gouvernement et la défaite d’une politique. Pourtant, c’est ce que le Montreal Star a réussi en 1911. »
Graham s’était raccommodé avec les conservateurs en les aidant à remporter les élections générales, mais il ne tarda pas à se plaindre au premier ministre Borden que, malgré son brillant appui à la cause, les détenteurs du pouvoir lui faisaient la sourde oreille. À la veille de la Première Guerre mondiale, il insista auprès de Borden pour que le Canada apporte une contribution substantielle à la marine impériale, mais le Sénat rejeta le projet de loi d’aide à la marine en mai 1913 [V. sir James Alexander Lougheed*], ce qui réduisit ses efforts à néant. Pendant les hostilités, lorsque l’enrôlement des volontaires se révéla insuffisant, il devint un ardent partisan de la conscription. Bon nombre de gens au Québec jugeaient incendiaires et racistes les virulentes attaques du Star contre les Canadiens français, et de fervents adversaires de la conscription prirent Graham pour cible. Aiguillonnés par des agents provocateurs, ils feraient exploser une bombe à sa résidence d’été de Cartierville, en banlieue de Montréal, à l’aube du 9 août 1917. Les dommages furent mineurs et personne ne fut blessé. La même année, Graham, qui avait régulièrement encouragé les efforts impériaux au Canada, serait anobli. Il recevrait le titre de baron Atholstan pour « initiative et zèle extraordinaires dans la promotion et le soutien de mesures visant à sauvegarder les intérêts de l’Empire ».
En 1913, Graham contribua secrètement au financement d’un nouveau journal libéral, le Daily Telegraph and Daily Witness, qui absorba un concurrent direct, le Montreal Daily Witness. En outre, il avait acquis en douce le Montreal Daily Herald, qui acheta le Daily Telegraph and Daily Witness en janvier 1914. Pendant les années de guerre, Graham, qui avait milité contre les monopoles et les trusts, usa de sa fortune et de ses relations pour éliminer d’autres journaux montréalais. Apparemment, il évinça des affaires Edward Beck, un de ses anciens rédacteurs, en coupant l’approvisionnement en papier journal au Beck’s Weekly, et il en fit autant pour d’autres compétiteurs. Selon la publication qui marqua le centenaire du Star, Graham avait « joué un rôle déterminant » dans la disparition de plusieurs journaux anglophones de la ville.
Dans les années 1920, les relations entre Atholstan et les leaders du Parti conservateur, en particulier le premier ministre fédéral Arthur Meighen*, étaient tombées au plus bas. Avec d’autres hommes d’affaires montréalais, dont des représentants de la Banque de Montréal et de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, Atholstan s’opposait à la politique de nationalisation des chemins de fer de Meighen, et jugeait que le premier ministre était sous la coupe des financiers et entremetteurs du pouvoir de Toronto. Le 30 novembre 1921, le Star publia une supercherie politique. Les renseignements confidentiels – qui, disait le journal, provenaient de l’intérieur même du gouvernement – concernaient des changements dans l’administration des chemins de fer gouvernementaux, qui feraient perdre à Montréal une bonne partie de son pouvoir économique en tant que centre ferroviaire au profit de Toronto. Les libéraux de la province de Québec reprirent la rumeur avec grand succès, et Meighen sembla croire qu’Atholstan était responsable de sa défaite électorale.
Pendant les années qui suivirent, Atholstan continua de s’en prendre à Meighen. En 1923, une série d’éditoriaux intitulée « Whisper of death » suggéra que, Meighen s’étant écarté des principes traditionnels des conservateurs, le parti devait trouver un autre chef. Cinq ans plus tard, l’ancien premier ministre écrivit au sujet d’Atholstan : « [son] degré de sagacité et de jugement […] dans les affaires publiques, déjà minime, est passé depuis longtemps sous le point zéro ».
Vers la fin de sa vie, l’homme énergique qui avait milité pour le peuple dans les années 1880 avait vu sa puissante influence s’affaiblir, sans toutefois s’épuiser complètement. Millionnaire et élitiste, il était devenu un manipulateur et un comploteur, en contradiction croissante avec les valeurs populistes qui avaient assuré le succès de son journal. Il voyagea beaucoup, et il acquit une réputation de philanthrope en s’occupant surtout d’œuvres religieuses et éducatives, et d’autres causes, telles que les soins de santé et les services pour personnes âgées. En 1925, faute d’héritier mâle, il vendit en secret le Star à l’homme d’affaires montréalais John Wilson McConnell* pour un million et demi de dollars. En vertu du contrat, il conserverait un droit de regard jusqu’à sa mort, qui ne surviendrait que 12 ans et demi plus tard.
Hugh Graham, 1er baron Atholstan, fut le premier des entrepreneurs à faire entrer la presse canadienne dans l’ère moderne. Il fut aussi celui qui réussit le mieux. Son apport à l’évolution du journalisme est indéniable, mais il est moins certain qu’il eut une influence durable sur la politique canadienne. Sans aucun doute, il aspirait au rôle d’éminence grise et utilisa sa fortune et son journal pour s’introduire de force dans les allées du pouvoir. Mais ses vues impérialistes commençaient déjà à devenir anachroniques aux yeux des Canadiens, qui désiraient se débarrasser des vestiges du colonialisme. D’un naturel secret et manipulateur, il fut plus souvent tourné en ridicule que respecté par ceux qu’il cherchait à influencer, même s’ils le courtisaient pour obtenir son appui journalistique et financier. Cependant, beaucoup ne virent pas qu’Atholstan, qui tramait en coulisse ses intrigues politiques, se servait de stratagèmes souvent compliqués pour se distancier du Montreal Star, qui devait conserver l’apparence d’un journal indépendant. Éditeur astucieux d’abord et avant tout, Atholstan garda toujours à l’esprit que le pouvoir de la presse dépendait en grande partie de son image non partisane. C’est principalement à cela qu’il doit sa réussite.
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Enn Raudsepp, « GRAHAM, HUGH, 1er baron ATHOLSTAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/graham_hugh_1848_1938_16F.html.
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Auteur de l'article: | Enn Raudsepp |
Titre de l'article: | GRAHAM, HUGH, 1er baron ATHOLSTAN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2013 |
Année de la révision: | 2013 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |