DRUMMOND, ROBERT, mineur de charbon, dirigeant syndical, journaliste et homme politique, né le 29 octobre 1840 à Greenock, Écosse, fils de Robert Drummond et d’Elizabeth McAllister ; en 1871, il épousa Mary (May) Douglas Alexander, et ils eurent une fille qui mourut enfant ; décédé le 26 décembre 1925 à Stellarton, Nouvelle-Écosse, et inhumé à Springhill.
Robert Drummond est l’une des figures les plus marquantes du syndicalisme canadien du xixe siècle. En tant que grand secrétaire et principal représentant de la Provincial Workmen’s Association en Nouvelle-Écosse – syndicat composé majoritairement de mineurs de charbon –, puis à titre de porte-parole de l’industrie minière au Conseil législatif et dans son propre journal, il contribua de façon notable à la redéfinition des relations du travail et au renforcement du libéralisme dans les régions houillères de l’Est canadien.
Fils d’épicier, Drummond émigra de l’Écosse vers 1865 et trouva un emploi à la houillère de Lingan, au Cap-Breton. À sa première visite à la mine, on l’emmena dans l’une des salles où l’on piquait la houille. Il y rencontra un ouvrier dont la lampe, mal placée, déclencha une petite explosion. « Ce fut, rappellerait plus tard Drummond, la première rencontre de l’étranger avec un mélange explosif de gaz miniers ».
Des années 1860 aux années 1890, l’industrie néo-écossaise du charbon était instable à tous les points de vue. À côté de la General Mining Association – vénérable entreprise qui jusqu’en 1858 avait détenu le monopole des droits sur la houille –, on trouvait bon nombre de nouvelles sociétés minières de propriété canadienne (Ontario et Québec) ou américaine qui tentaient de survivre dans un contexte marqué à la fois par la concurrence, par des bouleversements du marché international et par les politiques d’un État libéral en quête de revenus et de plus en plus porté à réglementer. Faute de véritables inspections sur la sécurité des lieux de travail et faute de syndicat, les mineurs travaillaient dans des conditions dangereuses, de manière irrégulière, pour de bas salaires et souvent sous la direction de patrons tyranniques. Comme bien d’autres mineurs, Drummond allait d’un puits à l’autre dans l’espoir de trouver du travail régulier. Il tenta aussi, sans succès, d’ouvrir un petit commerce. Vers 1872, il quitta le Cap-Breton pour le bassin houiller du comté de Pictou, dans la partie continentale de la Nouvelle-Écosse, et se fit embaucher à la mine de charbon Drummond à Westville. En 1873, cette dernière serait le théâtre de l’une des explosions les plus meurtrières survenues dans une mine de l’Amérique du Nord. Vers 1874, après avoir été un moment pointeur dans une autre mine de Pictou, Drummond se vit offrir un poste de superviseur des activités à la surface, dans la mine en pleine expansion de Springhill, nouvelle localité du comté de Cumberland dont la prospérité reposait sur la vente de charbon à des industries de la région et surtout au chemin de fer Intercolonial.
Issu de la petite bourgeoisie, enraciné dans la mentalité et les pratiques du presbytérianisme écossais, adepte inconditionnel de valeurs telles l’épargne, la débrouillardise et l’indépendance – qu’il défendait avec une éloquence quasi machinale –, Drummond était, noteraient bon nombre de ses contemporains, un Écossais à l’œil vif, d’esprit matérialiste et âpre au gain. Durant toute sa vie d’adulte, il conserva son accent écossais, assaisonna ses discours avec des citations de Burns aussi bien que de Shakespeare et de la Bible, prôna ardemment les valeurs presbytériennes et célébra le triomphe de la science et du progrès matériel avec un enthousiasme digne d’Adam Smith ou de Horatio Alger. Au mieux, s’il avait été dans un autre contexte et, peut-être, si ses tendances rebelles avaient été moins prononcées, sa mémoire se serait confondue avec celle des innombrables coloniaux pour qui la praxis libérale et l’attachement à la mère patrie étaient les deux faces d’une même médaille, des aspects inséparables de cette idéologie victorienne du progrès social et du perfectionnement individuel qui avait alors toute la puissance d’une religion laïque. Or, dans les deux phases de sa vie publique – phases qui se chevauchèrent puisque, de 1879 à 1898, il œuvra dans le syndicalisme et, de 1891 à 1925, au Conseil législatif et dans le journalisme minier –, Drummond, placé dans un contexte tout à fait particulier et pourvu d’un rare degré d’éloquence et de confiance en soi, contesta et transforma des éléments de la culture libérale d’outre-Altantique dont il était un si authentique produit.
La carrière syndicale de Drummond commença au début de 1879. La Spring Hill Mining Company, après avoir déclaré de gros dividendes vers 1875 et investi 60 000 £ pour arracher des territoires à la General Mining Association, décréta alors une diminution de salaire de 0,03 $ par chariot de charbon abattu. Une autre réduction de 0,03 $ suivit en août, ce qui amena les mineurs à se mettre en grève. Ni les baisses de salaire ni les grèves n’étaient nouvelles dans l’industrie (celle-ci avait connu de violents affrontements plus tôt dans la décennie), mais la tactique de la compagnie fut très peu judicieuse en 1879 : les affaires reprenaient, les prix du charbon montaient et la compagnie étalait sa prospérité. À titre de superviseur, Drummond était en position d’évaluer le bien-fondé de la décision patronale, et il publia les conclusions peu flatteuses de ses recherches dans un journal de Halifax sous le pseudonyme de « A Traveller ». Il perdit son emploi, mais sa carrière de syndicaliste était lancée : après avoir été accueilli en héros à une assemblée clandestine de mineurs tenue à Springhill, il fut nommé le 29 août 1879 au comité mandaté pour rédiger les statuts et règlements de la Provincial Miners’ Association. Le 1er septembre, le nouveau syndicat lui confia un poste de salarié, celui de grand secrétaire. Forte de la victoire remportée à Springhill, la Provincial Miners’ Association vit sa réputation s’accroître : dès la fin de 1879, elle comptait des loges à Stellarton, à Westville et à Thorburn dans le comté de Pictou. En janvier 1880, afin de diffuser encore plus largement son message, elle lança le Trades Journal, dont Drummond était le rédacteur en chef. La même année, elle adopta le nom de Provincial Workmen’s Association, en vue d’accueillir d’autres ouvriers que les mineurs, et commença à s’organiser au Cap-Breton. Elle y rencontra une farouche opposition de la part des directeurs de mine, mais finit par se faire accepter comme représentante des mineurs.
Jusqu’en 1897, ce serait surtout Drummond qui sèmerait la discorde et exercerait le plus de pressions au nom de la Provincial Workmen’s Association, bien qu’il n’en ait pas été le principal cadre ou dirigeant au sens du xxe siècle. Il ne craignait pas d’être insolent en dénonçant les directeurs de mine qui refusaient de négocier et se montrait particulièrement inventif lorsqu’il s’agissait d’utiliser la rhétorique du « sens commun » presbytérien et écossais pour montrer que le nouveau syndicat n’était pas une conjuration criminelle mais une force modérée qui voulait du changement sans renverser l’ordre libéral. Le rituel de l’association, très inspiré de celui de la franc-maçonnerie, reflétait probablement le pragmatisme de Drummond et sa foi en la nécessité de s’aider soi-même. Les aspirants au titre de membres devaient jurer, par exemple, de « ne pas s’abandonner à des théories chimériques » ou de ne pas imaginer que « viendra[it] un temps béni » où beaucoup de choses s’obtiendraient aisément. On leur donnait aussi le conseil suivant : « en prenant position contre ce que nous considérons comme des abus de la part des employeurs, nous ne devons pas nous-mêmes être déraisonnables ». « Notre objectif, disait les responsables syndicaux, n’est pas de faire la guerre contre le capital au nom des travailleurs, ni de chasser le commerce hors de la localité par des mesures oppressives ; au contraire, nous visons, par des concessions mutuelles entre patron et ouvrier, à ce que [les affaires] continuent au bénéfice des deux. » Drummond défendait les valeurs de l’individualisme libéral classique. Seul cesse de monter celui qui cesse de grimper était à la fois sa conviction profonde et la devise de l’association. Ces mots parlaient de réforme – la Provincial Workmen’s Association revendiquerait inlassablement des écoles minières, une meilleure formation pour les directeurs et des inspections plus efficaces des mines –, mais ils pouvaient aussi, dans le cas des ouvriers, et surtout des travailleurs miniers, être des paroles de résistance qui justifiaient les quelque 70 grèves organisées par le syndicat pendant la période où Drummond en fut le grand secrétaire et dont l’une – la grève générale des houillères du comté de Pictou en 1886–1887 [V. Henry Skeffington Poole*] – fut l’un des plus gros conflits de travail du Canada victorien.
Malgré le ton pondéré de ses documents, le syndicat pouvait être radical. Ses archives locales font état de centaines d’actes de résistance accomplis jour après jour par les travailleurs dans les puits de mine pour forcer les directeurs à négocier. Du temps de Drummond, la Provincial Workmen’s Association n’était pas un vaste mouvement englobant, à la différence de son contemporain les Chevaliers du travail, mais plutôt (si l’on excepte quelques loges non formées de travailleurs miniers) une petite confédération souvent combative d’ouvriers des mines dans laquelle les abatteurs, c’est-à-dire les ouvriers spécialisés qui abattaient la houille, jouaient en général le rôle de meneurs. Le grand conseil du syndicat, qui incitait fréquemment à la modération, se faisait régulièrement contredire par les loges locales et (jusqu’à un changement de la constitution en 1891) par le sous-conseil autonome du Cap-Breton. Bien qu’il ait toujours été soucieux de présenter au public l’image d’un syndicat réaliste, respectueux des convenances et capable à la fois de tenir compte du point de vue des deux parties lorsque des réductions de salaire étaient exigées et de reconnaître le principe de l’autorité des directeurs, Drummond n’avait pas l’habitude de se mêler de ce que les loges locales faisaient pour défendre les intérêts de leurs membres. Dans le Trades Journal, on peut souvent l’entendre reprocher aux directeurs, aux bureaucrates et aux hommes politiques de ne pas être à la hauteur de l’idéal libéral d’individu rationnel et autonome qu’il chérissait. Contrairement au portrait que ses détracteurs et lui-même peindraient par la suite, il défendait souvent les grèves – même celles qui comportaient une certaine violence à l’endroit des patrons – en disant que, dans un contexte local difficile, les travailleurs n’avaient pas d’autre recours.
En un sens, Drummond sanctionnait, voire encourageait l’application d’une doctrine libérale de l’individualisme dans toute l’industrie du charbon – doctrine qui, parce qu’elle affirmait sans équivoque le droit des mineurs indépendants de participer réellement à la définition de leurs conditions de travail, et bien sûr de toucher de meilleurs salaires, supposait que la direction reconnaisse aux travailleurs non seulement le droit de se syndiquer, mais aussi de prescrire dans une large mesure comment les mines seraient exploitées. Les plus célèbres luttes menées par la Provincial Workmen’s Association en faveur d’une législation sur la sécurité des mines s’appuyaient sur cette conception de l’indépendance de la classe ouvrière : les inspecteurs des mines devaient avoir des comptes à rendre aux mineurs, qui risquaient leur vie en travaillant. Drummond était un propagandiste brillant, maîtrisait la rhétorique victorienne et aimait recourir à l’humour grossier, cher aux Écossais. Dans le Trades Journal, qui était très lu dans les localités minières, y compris celles où les patrons l’avaient banni, il réussissait à faire passer les directeurs de mine et les ouvriers serviles pour des êtres efféminés et irrationnels. Jamais, dans aucun combat, il ne déviait de son libéralisme radical. Il était convaincu que, dans le monde industriel tout autant qu’en politique, les individus avaient droit au respect et à du pouvoir sur les aspects les plus importants de leur vie. Pour lui, en régime démocratique, le sens commun voulait que les directeurs de mine, du fait qu’ils exploitaient le « charbon du peuple », soient des fonctionnaires assujettis au contrôle populaire. Il les stigmatisait avec toute la subtilité d’un conseiller presbytéral admonestant les brebis égarées de sa congrégation ou (pour reprendre une métaphore employée une fois à son sujet) d’un scotch-terrier écossais en proie à une furieuse indignation. Que le Trades Journal ait pu à la fois défendre l’action collective (et parfois violente) des travailleurs et célébrer ces valeurs du milieu de l’époque victorienne qu’étaient la tempérance, la respectabilité, la religion et le souci des convenances ne peut s’expliquer que par le libéralisme radical de son rédacteur en chef. Pour Drummond, il n’y avait là aucune contradiction.
On peut associer au syndicaliste Drummond trois autres percées historiques de grande importance. Premièrement, par l’intermédiaire de la Provincial Workmen’s Association, il contribua à la démocratisation de la vie publique en Nouvelle-Écosse. Bien que des revendications en faveur du suffrage universel masculin aient été présentées avant l’émergence de la Provincial Workmen’s Association, celle-ci fit beaucoup pour propager cette idée. Elle entra sur la scène politique provinciale et présenta des candidats en 1886, adressa des pétitions aux gouvernements provincial et fédéral et aborda régulièrement la question dans le Trades Journal. Ce fut en bonne partie grâce à Drummond et à la Provincial Workmen’s Association que, en 1889, la majorité des travailleurs de sexe masculin obtinrent le droit de vote. Dans les années 1890, Drummond serait, au Parti libéral, l’un des défenseurs les plus éloquents de l’admission complète des femmes au suffrage, et notamment de leur droit de briguer des postes publics. Deuxièmement, avec l’appui d’Edwin Gilpin*, inspecteur des mines à compter de 1879 et sous-commissaire des Travaux publics et des Mines à compter de 1886, Drummond et son syndicat exercèrent avec succès de fortes pressions en faveur d’un resserrement des lois minières. Certaines de ces lois portaient sur la sécurité. Décrétée en 1891 à la suite de la tragique explosion de Springhill [V. Henry Swift*], l’interdiction d’utiliser de la poudre à canon dans les mines présentant des risques d’accumulation de gaz – peut-être le plus grand titre de gloire de la Provincial Workmen’s Association – sauva sans aucun doute bien des vies. D’autres lois avaient pour objet la formation technique des mineurs, l’embauche de contrôleurs de la pesée, l’établissement de l’âge minimum auquel les garçons (composante essentielle de la main-d’œuvre au xixe siècle) pouvaient descendre dans les puits, ainsi que les critères déterminant quand un travailleur se qualifiait pour devenir abatteur (en 1891, une année d’expérience à la mine faisait partie de ces critères). Troisièmement, les actions de Drummond et de la Provincial Workmen’s Association firent en sorte que le syndicalisme de métier gagna en légitimité en tant que force sociale et économique. Les conventions collectives écrites – les premières furent signées en 1885 à Springhill – constituaient un grand progrès dans les relations du travail au Canada. La première loi sur l’arbitrage obligatoire adoptée au pays, en 1888, même si elle ne tempéra jamais autant l’autocratie des directeurs que le syndicat l’avait souhaité, changea vraiment la donne à Springhill. En effet, la loge put avoir raison d’un employeur farouchement antisyndical en recourant non seulement à la loi sur l’arbitrage, mais aussi à la médiation personnelle du premier ministre provincial William Stevens Fielding. Les mineurs de charbon de la Nouvelle-Écosse furent parmi les travailleurs les plus imaginatifs et les plus radicaux du Canada au xxe siècle. Il n’est pas irréaliste de chercher des signes avant-coureurs de leur dynamisme et de leur solidarité dans l’ère libérale radicale de la Provincial Workmen’s Association.
Dans les années 1890, Drummond se sentirait de moins en moins à l’aise à la Provincial Workmen’s Association car, peu à peu, elle deviendrait davantage un syndicat industriel qu’un syndicat de métier implicitement voué surtout aux mineurs de charbon. Les membres de l’association, de plus en plus concentrés au Cap-Breton, région en plein essor, étaient nombreux à réclamer que le gouvernement légifère pour abolir les magasins de compagnie pour instaurer la journée de huit heures. Drummond, lui, s’opposait à toute loi qui aurait interdit aux travailleurs de commander des fournitures dans les bureaux des compagnies. C’est un différend sur cette question qui l’amena à abandonner la direction de la Provincial Workmen’s Association en 1898. Il avait cependant montré des signes de frustration plus tôt dans la décennie, à mesure qu’il se rendait compte que son influence auprès du gouvernement Fielding était moins forte qu’il ne l’avait espéré.
La deuxième carrière de Drummond, dont on peut dater le début à sa nomination au Conseil législatif en 1891, l’éloigna des travailleurs dont il avait naguère justifié le militantisme. Après son déménagement à Stellarton au début des années 1880, il avait commencé à s’embourgeoiser. Pilier de l’église presbytérienne St John, il acquit de la notoriété sur la scène politique locale (il fut conseiller municipal puis maire en 1899–1900) et devint propriétaire de son propre journal, une publication consacrée surtout aux affaires, le Maritime Mining Record, qui parut de 1898 à 1924. Il était entré au Conseil législatif après avoir tenté par deux fois de se faire élire à la Chambre d’assemblée, d’abord en 1886 à titre de candidat indépendant puis en 1890 sous la bannière du Parti libéral.
On a coutume de dire que la deuxième carrière de Drummond se caractérisa par l’ambition effrénée et l’opportunisme. On peut supposer que Drummond – qui par testament léguerait 19 000 $ à sa parenté, à l’Église et à ses œuvres de bienfaisance favorites – prospéra grâce à des investissements miniers, au journalisme d’affaires et à son titre de conseiller législatif. Comme on peut s’y attendre, une bonne part de ce qu’il dit et écrivit pendant cette période vante les réalisations de capitalistes animés de grandes visions et celles du gouvernement (même s’il deviendrait plus sévère à l’endroit de ce dernier, qu’il jugeait trop timoré en matière de promotion et de développement des mines). Ce n’est que dans son deuxième et dernier livre – ses mémoires de chef syndical, écrits peu de temps avant sa mort – qu’il se remit à critiquer les directeurs de mine dans une perspective libérale radicale, mais, même alors, il essaya de se faire passer pour un syndicaliste bien moins combatif qu’il ne l’avait été.
Dans la seconde étape de sa carrière, Drummond fit surtout l’apologie des sociétés d’exploitation du charbon. Il accueillit avec enthousiasme l’entente conclue par le gouvernement en 1893 avec Henry Melville Whitney, entente qui permit à la Dominion Coal Company d’avaler la plus grande partie du Cap-Breton industriel. Par la suite, il écrirait des mots louangeurs sur la British Empire Steel Corporation (Besco), le gigantesque regroupement d’entreprises qui avait absorbé une bonne part de l’industrie. En 1910, il défendit les capitalistes néo-écossais en ces termes devant le Conseil législatif : « De nos jours, il se dit tant de choses contre le capitaliste que l’on pourrait croire que c’est un monstre de forme humaine dont le seul objectif dans la vie est de maintenir les ouvriers sous le joug […] Les hommes les plus libres et les plus indépendants du monde d’aujourd’hui sont les hommes de nos mines de charbon en Nouvelle-Écosse. » L’année suivante, dans un discours détaillé quoique assez imprudent, il soutint que, loin d’être des requins de l’industrie, les exploitants de houille de la province étaient surtout engagés dans des entreprises peu rentables qui luttaient contre leurs concurrentes pour verser des dividendes à leurs actionnaires. À compter de 1918, année où une crise dramatique s’amorça dans l’industrie, il prôna d’autres regroupements d’entreprises dans le secteur des charbonnages en invoquant les lois de l’efficacité industrielle, de l’utilité sociale et de l’ordre politique libéral. Selon lui, ceux qui n’étaient pas des Néo-Écossais et qui croyaient que les localités minières étaient pauvres ne faisaient que gober la propagande des syndicats et de la gauche. Même les statistiques de mortalité infantile citées par d’aucuns comme une preuve de l’oppression capitaliste, Drummond les interprétait différemment. Les magasins de compagnie étaient un bienfait pour les hommes et les femmes qui les fréquentaient. Et si les logements de compagnie posaient des problèmes, écrivit-il en 1922, c’était probablement à cause des occupants eux-mêmes, qui n’y faisaient pas régner la propreté.
Drummond méprisait le district 26 des United Mine Workers of America, qui avait remplacé la Provincial Workmen’s Association en tant que syndicat des mineurs en 1917–1918. De tous les détracteurs que les United Mine Workers eurent à affronter pendant leur longue lutte pour se faire accepter en Nouvelle-Écosse, il était le plus féroce et le mieux renseigné. Pour lui, le district 26 était une cinquième colonne formée de capitalistes américains qui ne voulaient rien d’autre que nuire à l’industrie locale ou composée de radicaux égarés, sinon fous, qui, de connivence avec les Soviets, se livraient à une étrange et terrible expérience collectiviste. « Quel contraste entre les U[nited] M[ine] W[orkers] et la P[rovincial] W[orkmen’s] A[ssociation], dont la direction n’accordait dans ses délibérations aucune place aux récriminations mutuelles », déplora-t-il en 1920. Une « débauche d’extravagance » dans les accords salariaux menaçait de déstabiliser toute l’industrie. Des travailleurs désireux de s’offrir des pardessus à 80 $ et des costumes à 100 $ en oubliaient le travail honnête. « La notoriété, voilà ce qui fait vivre une certaine sorte de chefs syndicaux », notait Drummond en se moquant impitoyablement de la rhétorique des dirigeants du district 26. Au plus fort de la crise des années 1920 [V. William Davis], il ferait la sourde oreille aux « cris de pauvreté » en disant que les travailleurs avaient oublié les habitudes de « labeur, [de] sobriété et [d’]épargne » naguère prônées par la Provincial Workmen’s Association. À long terme, les nombreuses vitupérations de ce genre qu’il écrivit dans la dernière décennie de sa vie ternirent beaucoup sa réputation auprès des historiens du mouvement syndical et des communautés minières du Cap-Breton et firent de son nom même un objet de mépris pour les gens de gauche. Selon toute apparence, le brave terrier libéral radical n’était plus qu’un réactionnaire grincheux qui bénissait presque tout ce qui venait de la Besco.
Cette image, exacte sous certains aspects, laisse pourtant dans l’ombre des aspects de la seconde carrière de Drummond qui allaient au delà d’un simple acquiescement aux impératifs du capital. Surtout dans les années d’avant 1914, Drummond devint la grande autorité dans le domaine du développement des mines et de l’industrie minière en Nouvelle-Écosse. Ses longs discours au Conseil législatif étaient truffés de faits et de chiffres. Ses éditoriaux et ses articles dans le Maritime Mining Record étaient abondamment cités par d’autres journaux et par des hommes politiques du gouvernement et de l’opposition. Drummond maîtrisait à fond son sujet, et son périodique est une source indispensable pour qui veut connaître l’industrie de l’intérieur. En 1911, en défendant la Provincial Workmen’s Association contre la United Mine Workers of America, il était en mesure de décrire la santé financière et les perspectives d’avenir de chacune des sociétés d’exploitation de houille énumérées dans le rapport du département provincial des Mines. D’une manière plus générale, il faisait toujours valoir que ces entreprises exploitaient le charbon du peuple, non le leur. À l’instar de beaucoup d’intellectuels « néolibéraux » de sa génération, qui estimaient que l’État avait un rôle vital à jouer pour stabiliser le système capitaliste, il prônait une bien plus grande participation du gouvernement à l’exploration minière et à la supervision des mines. D’après lui, on comprendrait les accidents seulement si l’État procédait à une inspection beaucoup plus scientifique et systématique des toits, parois et fronts de taille des mines. À titre d’intellectuel et de plus éminent défenseur du système conçu par Fielding et appliqué par George Henry Murray et Ernest Howard Armstrong* – système dans lequel il y avait corrélation étroite entre les intérêts de l’État provincial et de l’industrie minière et où les charbonnages et la sidérurgie étaient considérés comme les noyaux du développement de la province –, Drummond exerça un très réel pouvoir culturel jusqu’à la crise de ce système dans les années 1920. Quand la province envisagerait de réduire les heures de travail dans les mines, puis quand la United Mine Workers of America revendiquerait la journée de huit heures incluant le temps nécessaire pour se rendre aux fronts de taille, Drummond répliquerait en mettant en évidence les difficultés pratiques que présentait toute réglementation des heures dans la province. Ces difficultés tenaient au fait que la Nouvelle-Écosse avait des gisements houillers qui s’étendaient loin sous l’océan et qu’elle devait affronter non seulement les fluctuations saisonnières et autres du transport maritime, mais aussi la concurrence du charbon américain et britannique sur le marché vital du Saint-Laurent.
Drummond parlait avec passion et autorité, que ce soit de la nécessité d’améliorer la gestion et la supervision des « institutions humanitaires » (il appartint, notamment en qualité de président, au comité du Conseil législatif voué à cette question), contre la prison pour dettes ou en faveur de la tempérance. Ce néolibéral, l’un des plus éloquents de son époque, sentait l’urgence d’accroître l’intervention de l’État pour rationaliser l’ordre libéral classique. La mise en valeur des gisements houillers de la province fut sans nul doute son grand sujet de prédilection dans ses dernières années. Paru en 1918, son livre intitulé Minerals and mining, Nova Scotia est un hymne à l’avancement des industries minières, l’ouvrage d’un propagandiste tellement zélé que même les événements de la Première Guerre mondiale y servent à illustrer les merveilles du progrès industriel. À la mort de Drummond en 1925, le Halifax Herald ne serait pas le seul à saluer en lui l’Écossais quasi typique, industrieux et brûlant de « l’ambition insatiable de sa race ». Bon nombre de ses contemporains et successeurs radicaux affirmeraient que, au bout du compte, c’était justement son individualisme obstiné et son parti pris pour les entreprises qui l’avaient empêché d’être un dirigeant syndical au sens du xxe siècle. Néanmoins, il jouissait d’une forte crédibilité au sein de l’État et dans la société en général.
Rien n’était « aussi répugnant, aussi insultant, aussi dégoûtant pour le travailleur que d’être traité avec condescendance et de se faire dire, avec une tape dans le dos, “ Oh pauvre gars ” », avait fait observer Robert Drummond en 1892 à propos d’une loi sur les impôts locaux. Quatre ans plus tard, en s’opposant à l’abolition des magasins de compagnie, il demandait : « Que sommes-nous, des hommes libres ou des lâches ? Sommes-nous des hommes ou des mauviettes ? » Jusqu’à la fin de ses jours, il défendrait une vision libérale radicale de l’indépendance de la classe ouvrière, et ce, même si, du point de vue logique et social, les conditions préalables de cette indépendance s’effritaient autour de lui – principalement à cause des monopsones encouragés par l’État que lui-même avait souhaités puis louangés. Depuis les années 1920, des historiens du Cap-Breton et du syndicalisme canadien ont l’habitude de dénoncer en Drummond l’opportuniste, l’antithèse du syndicaliste socialiste qu’ils admirent. On pourrait avancer qu’ils ont tendance à sous-estimer la résistance de la vision profondément libérale de la vie industrielle que Drummond incarnait, vision que, pour le meilleur ou pour le pire, bon nombre de travailleurs canadiens ont privilégiée au fil de l’histoire. Malgré ses contradictions, ses incohérences et ses revirements, et peut-être en partie à cause d’eux, Drummond, l’un des hommes politiques néolibéraux les plus intéressants de la Nouvelle-Écosse, devrait être considéré aussi comme une figure révélatrice et représentative de l’histoire de la classe ouvrière canadienne. En 1924, en évoquant sa carrière de syndicaliste devant la Mining Society of Nova Scotia – dont il était membre depuis 1902 et où il occupa souvent des postes de direction –, il se plut à rappeler à son auditoire la première grande grève déclenchée par la Provincial Workmen’s Association à la mine Drummond en 1879. Le directeur, rappelait-il avec attendrissement, avait été tout à fait mortifié par la bravoure des syndiqués. Forcé d’admettre le syndicat et ses représentants, il avait refusé d’aller jusqu’à « reconnaître » le grand secrétaire, ce personnage exaspérant et grossier qu’il décrivait au moyen d’une expression écossaise qui signifiait « le sale petit casse-pieds ». De toute évidence, 45 ans plus tard, Drummond, fidèle à lui-même et sans le moindre repentir, chérissait toujours ce souvenir et cette description.
Robert Drummond a publié, entre autres : To the officers and members of Keystone Lodge (Stellarton, N.-É., 1896) ; « The mine and the farm », Mining Soc. of Nova Scotia, Journal (Halifax), 14 (1909–1910) : 15–29 ; The sixties and subsequently ; paper read August 31st, 1912 (s.l., [1912]) ; « Mining fatalities », Mining Soc. of Nova Scotia, Journal, 19 (1914–1915) : 49–58 ; Minerals and mining, Nova Scotia (Stellarton, 1918) ; « The beginnings of trade unionism in New Glasgow », Evening News (New Glasgow, N.-É.), 7 juill. 1924 (republié dans Canadian Institute of Mining and Metallurgy, Trans. (Montréal), 20 (1924) : 914–932); et Recollections and reflections of a former trades union leader ([Stellarton, 1926]).
Bibliothèque de développement des ressources humaines Canada (Hull, Québec), Provincial Workmen’s Assoc. of Nova Scotia and New Brunswick, Constitution, règlements et procès-verbaux du grand conseil, 1879–1917 (texte dactylographié).— Dalhousie Univ. Arch. (Halifax), MS-9 (papiers des syndicats ouvriers), Provincial Workmen’s Assoc., nº 27, Holdfast Lodge, Joggins, N.-É., minutes.— General Register Office for Scotland (Édimbourg), Greenock (West), reg. of births and baptisms, 29 oct. 1840 (mfm au Scottish Record Office, Édimbourg).— NSARM, Mining Soc. of Nova Scotia, minutes, 1902 (mfm) ; RG 21.— Pictou County Court of Probate (Pictou, N.-É.), Estate papers, testament de Robert Drummond (mfm aux NSARM).— Eastern Chronicle (New Glasgow), 29 déc. 1925.— Evening News, 28 déc. 1925.— Halifax Herald, 21 févr., 7 mars 1895, 28 déc. 1925.— Trades Journal (Springhill, N.-É.), 1880–1882 ; publié par la suite à Stellarton, 1882–1891.— Eugene Forsey, Economic and social aspects of the Nova Scotia coal industry (Montréal, 1926) ; Trade unions in Canada, 1812–1902 (Toronto, 1982).— Dawn Fraser, Echoes from labor’s wars, introd. par David Frank et Donald MacGillivray (éd. augmentée, Wreck Cove, N.-É., 1992).— Institut canadien des mines, Monthly Bull. (Montréal), no [81] (janv. 1919)–no 98 (juin 1920) ; devenu ensuite le Canadian Institute of Mining and Metallurgy, no 99 (juill. 1920)–no 124 (déc. 1924).— M. S. Kirincich, A centennial history of Stellarton (Antigonish, N.-É., 1990).— H. A. Logan, The history of trade-union organization in Canada (Chicago, 1928).— Ian McKay, « “By wisdom, wile or war” : the Provincial Workmen’s Association and the struggle for working-class independence in Nova Scotia, 1879–97 », le Travail (St John’s), 18 (1986) : 13–62.— Maritime Mining Record (Stellarton), 1900–1914.— John Moffatt, P.W.A. Grand Secretary Moffatt’s valedictory report (s.l, [1917]).— N.-É., House of Assembly, Debates and proc., 1906, 1910–1911 ; Legislative Council, Debates and proc., 1891–1922.— B. D. Palmer, Working-class experience : rethinking the history of Canadian labour, 1800–1991 (Toronto, 1992).— David Pigot, The Mining Society of Nova Scotia, 1887–1987 : a history of the society […] (Glace Bay, N.-É., 1987).— Post office Greenock directory [...] (Greenock, Écosse), 1864/1865.— S. M. Reilly, « The Provincial Workmen’s Association of Nova Scotia, 1879–1898 » (mémoire de m.a., Dalhousie Univ., 1979).— Daniel Samson, « Dependency and rural industry : Inverness, Nova Scotia, 1899–1910 », dans Contested countryside : rural workers and modern society in Atlantic Canada, 1800–1950, Daniel Samson, édit. (Fredericton, 1994).
Ian McKay, « DRUMMOND, ROBERT (1840-1925) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/drummond_robert_1840_1925_15F.html.
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