YEO, JAMES, constructeur et propriétaire de navires, commerçant, propriétaire foncier et agriculteur, né à Kilkhampton, Cornwall, Angleterre, en 1789, baptisé le 13 février 1790, fils aîné de James Yeo et d’Ann Orsborn ; il épousa en premières noces, en 1812, Mary Francis, dont il eut trois enfants, et, en secondes noces, en 1819, Damaris Sargent, de Kilkhampton, qui donna naissance à cinq filles et deux fils ; décédé le 25 août 1868 à Port Hill, Île-du-Prince-Édouard.
Fils d’un cordonnier, James Yeo fut d’abord journalier puis, en 1814 ou 1815, il se fit voiturier entre Kilkhampton et Bideford, Devon. Après la mort de sa première femme, en 1818, son entreprise fit faillite, en partie parce qu’il abusait de l’alcool. Il se remaria en 1819 et émigra avec sa femme à Port Hill, comté de Prince, Île-du-Prince-Édouard, probablement la même année. Yeo travailla en qualité de chef des équipes de bûcherons et magasinier auxiliaire dans l’entreprise de commerce, d’exploitation forestière et de construction navale qui avait été fondée par Thomas Burnard en 1818 et était, à l’époque, gérée par Thomas Burnard Chanter*. En 1826, après la mort de Burnard, Chanter vendit l’entreprise de Port Hill à William Ellis*, important constructeur de navires, également originaire de la région de Bideford. L’entreprise avait beaucoup de comptes à recouvrer, et Yeo se chargea d’en percevoir un bon nombre au nom de la famille Burnard avec qui on le savait lié. Toutefois, il garda pour lui les sommes perçues qui, en réalité, appartenaient légalement à Ellis. Yeo réunit ainsi les fonds qui lui permirent de monter une modeste entreprise comme négociant en bois d’œuvre, magasinier ainsi que propriétaire et maître d’une goélette de 35 pieds, la Mary Ann, qu’il exploita de 1829 à 1832.
Doué d’une énergie physique et mentale extraordinaire, et d’un sens aigu des affaires, Yeo prospéra rapidement. Au milieu des années 30, il exerçait déjà une influence considérable dans le comté de Prince, ayant acheté le commerce d’ Ellis à Port Hill. Celui-ci lui aurait cédé son héritage pour un plat de lentilles, si l’on en croit les légendes qui prirent naissance à l’époque et qui persistent encore de nos jours à l’Île-du-Prince-Édouard.
En 1840, Yeo se lança dans la construction navale sur une grande échelle et devint bientôt le plus important constructeur de navires de l’île. En cette qualité, il joua un rôle essentiel dans le progrès économique de la colonie au milieu du siècle, car les navires construits à l’Île-du-Prince-Édouard et vendus à la Grande-Bretagne représentaient alors, et de loin, le plus important produit d’exportation de la province. Il construisit au moins 155 navires, depuis le Marina (1833) jusqu’au Magdala, terminé trois jours avant sa mort en 1868. Plusieurs de ces navires, en particulier le James Yeo, le Palmyra et le William Yeo, étaient parmi les plus gros jamais construits à l’Île-du-Prince-Édouard. Les fils cadets de Yeo, James et John, ainsi que ses gendres et leurs associés en bâtirent encore au moins 200 autres. Construits dans divers chantiers tout autour de l’île, beaucoup de ces navires étaient encore inachevés quand ils traversaient en Grande-Bretagne. Les travaux de finition étaient effectués dans le chantier naval établi à Appledore près de Bideford par le fils aîné de James Yeo, William, qui était retourné en Grande-Bretagne en 1843 afin de remplir les fonctions d’agent principal pour l’entreprise paternelle. La présence de William Yeo en Angleterre était d’une grande importance pour le succès du chantier naval du père ; en outre, le père et le fils possédaient habituellement l’un et l’autre près d’une vingtaine de cargos à destination des ports du monde entier.
James Yeo, qui avait de nombreux autres intérêts commerciaux, employait sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs dans la gestion de ses affaires. Il profitait de la précarité des titres de propriété des colons pour envoyer ses hommes couper tout le bois possible. C’est ainsi qu’il mit sur pied un commerce d’exportation assez important. De plus, ses magasins à Port Hill, que sa femme Damaris gérait avec compétence, étaient les plus grands de la partie ouest de l’île, et il les exploitait sur une base de crédit. Beaucoup de colons s’endettèrent envers lui, de sorte que grâce au « pouvoir du Grand Livre » il fut en mesure d’exploiter à la fois leurs services et leurs boisés. Il était également de facto régisseur des propriétés de sir George Francis Seymour situées dans le lot 13 et le devint officiellement en 1846. En 1857, il acheta les 16 000 acres de Seymour qui vinrent s’ajouter aux autres vastes propriétés qu’il possédait dans l’île et qu’il conserva pendant de nombreuses années.
Yeo mit également sur pied un important commerce d’exportation de produits agricoles, dont l’avoine, les pommes de terre et le bétail, et, à la fin des années 40, il chargeait chaque année dix navires à destination de la Grande-Bretagne et 40 schooners à destination des provinces voisines. Dix ans plus tard, 11 de ses navires chargés de produits agricoles et de bois atteignirent les ports britanniques en moins d’un seul mois. Dans les années 30 et 40, il y avait relativement peu d’argent en circulation dans la colonie, et l’on disait qu’à cette époque Yeo était le seul homme dans le comté de Prince auquel les colons pouvaient s’adresser pour en obtenir. Il assuma peu à peu le rôle de financier et il en arriva, durant les années 60, à prêter de grosses sommes au gouvernement. Selon l’Islander, l’ensemble des salaires qu’il payait à ses nombreux employés dépassait le revenu total du gouvernement. Durant les dix dernières années de sa vie, les journaux de l’Île-du-Prince-Édouard ont souvent parlé de lui comme de l’homme le plus riche de la colonie.
C’est grâce à une vigueur et une habileté indéfectibles que Yeo connut une telle prospérité. Doué pour les chiffres, il pouvait juger rapidement de la valeur du bois debout, des récoltes, des navires et de leur cargaison, ainsi que des entreprises commerciales. Il supervisait personnellement ses entreprises, parcourant l’île entière à cheval, et souvent même dormait en selle. Un Américain de passage a dit à l’époque que « pendant six mois, il ne s’[était] jamais couché dans un lit ». Cependant, même ses admirateurs parlaient de lui comme d’un homme dur qui conserva les rudes manières de sa jeunesse jusqu’à la fin de sa vie.
Yeo fut élu à l’Assemblée de l’île pour la première fois en 1839, comme député conservateur du premier district électoral du comté de Prince. Il conserva son siège jusqu’en 1846, se retirant alors pour permettre à James Warburton de se faire élire. Ce dernier allait devenir plus tard un de ses plus implacables adversaires. Yeo fut nommé juge de paix vers la même époque. Élu de nouveau en 1848, il siégea à l’Assemblée jusqu’à sa défaite par une marge de 50 voix en 1863. Après les élections de 1859, où les conservateurs prirent le pouvoir grâce à une majorité de quatre sièges, Yeo se trouva dans une position particulièrement avantageuse à l’Assemblée, avec le vote assuré de son fils John et de David Ramsay, un associé avec lequel il entretenait des rapports étroits. Il ne fait aucun doute qu’il utilisa sa position à son avantage en faisant nommer des parents et des associés à des postes influents dans l’administration régionale. Un mois après sa défaite de 1863, il fut élu au Conseil législatif où il siégea jusqu’en 1867. Il fut également membre du Conseil exécutif de 1859 à 1867. Durant la majeure partie du temps qu’il passa à l’Assemblée, Yeo exerça une influence considérable sur la politique de l’Île-du-Prince-Édouard à cause de sa fortune et du pouvoir que cela lui donnait sur ses nombreux débiteurs. C’est pour cela que ses contemporains le dénommèrent le « baron du Grand Livre de Port Hill » et le « conducteur du gouvernement ».
Tout au long de sa carrière politique, Yeo s’intéressa surtout aux problèmes pratiques de l’administration régionale. Durant les années 30, il ne s’occupa que de la construction des routes, des émissions de mandats du trésor, des services de traversiers et du poste de douane à Cascumpec. Le lieutenant-gouverneur Charles Augustus Fitzroy* remarqua que Yeo avait tendance à se laisser conduire par Joseph Pope* en matière politique. Le régime qui régissait alors la propriété foncière étant avantageux pour ses affaires, il n’est pas surprenant qu’il fût conservateur en politique. Il s’opposa farouchement à la réforme agraire qu’appuyaient William Cooper et les partisans de la confiscation des terres (escheat), qu’il avait surnommés les « Méchants », ainsi qu’à l’établissement de la responsabilité ministérielle telle que prônée par George Coles* et les libéraux.
James Yeo a joué un rôle unique dans le développement de la construction navale, du transport maritime et de l’exportation au milieu du xixe siècle à l’Île-du-Prince-Édouard, tant par la portée que par l’ampleur et la complexité de ses opérations commerciales. Il était d’une nature impitoyable certes, mais il a contribué de façon concrète au progrès économique de la province et même au développement de la marine marchande, à la fois en Amérique du Nord britannique et en Grande-Bretagne, à la même époque.
Après la mort de Yeo en 1868, sa fortune fut partagée entre bon nombre de ses descendants. Son fils aîné, William, qui reçut probablement plus que tous les autres héritiers pris individuellement, mourut quatre ans plus tard sans laisser d’héritier mâle, et sa fortune passa en d’autres mains. John Yeo continua, avec beaucoup de succès, d’exploiter les entreprises de son père à l’Île-du-Prince-Édouard et, après une longue carrière politique dans les gouvernements fédéral et provincial, mourut sénateur en 1924.
Les Parish registers, 1790–1819, de Kilkhampton, Cornwall, Angl., contiennent des renseignements exceptionnellement complets concernant les naissances, mariages et décès survenus dans la famille de James Yeo. On retrace les premières années de sa carrière à l’Île-du-Prince-Édouard à travers les documents des PAPEI, P.E.I, Supreme Court records, 1770–1900, et, dans une certaine mesure, dans la section Port Hill papers. On peut suivre en détail la carrière de Yeo comme constructeur et propriétaire de bateaux aux APC, RG 42, 150–169, 391–393, et au National Maritime Museum (Londres), Reports of Lloyds surveyors of the port of Bideford (mfm aux APC). On peut retracer sa carrière comme propriétaire foncier aux PAPEI, P.E.I., Land Registry Office, Land conveyance registers. Le Warwick County Record Office (Warwick, Angl.), CR 114A (Seymour of Ragley papers) contient plusieurs références sur Yeo. Les activités de son fils, William Yeo, agent en Grande-Bretagne, sont mentionnées fréquemment dans les journaux de North Devon, plus précisément dans le North Devon Journal (Barnstable, Angl.), de 1840 à 1872. On trouve aussi quelques références utiles au Devon County Record Office (Exeter, Angl.), Northam parish registers, 1792–1820. La presse de l’Île-du-Prince-Édouard rapporte régulièrement des détails concernant la vie politique de James Yeo, notamment l’Islander, de 1830 à 1868, plus spécialement en septembre 1868. Greenhill et Giffard, dans Westcountrymen in P.E.I., donnent un récit détaillé de la carrière de Yeo. [b. g.]
Basil Greenhill, « YEO, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/yeo_james_9F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
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Date de consultation: | 1 décembre 2024 |