WARD, JAMES, marin, tavernier, logeur et racoleur, né vers 1833 dans le comté de Tyrone (Irlande du Nord) ; il se maria deux fois et eut au moins une fille ; décédé le 22 octobre 1891 à Savannah, Géorgie.
James Ward (mieux connu sous le prénom de Jim) serait venu à Québec au moment de la famine qui poussa de nombreux Irlandais à émigrer en 1846–1847. Ses occupations subséquentes furent toutes liées de près à la vie portuaire : marin, tavernier et tenancier d’une pension pour marins. Sa notoriété lui vint en 1856 en tant qu’homme de main chargé d’accomplir la basse besogne de détourner ou d’éloigner les marins de leur bateau au nom d’agents connus sous le nom de racoleurs.
Le trafic des marins employés à bord des bateaux venus de Grande-Bretagne était attribuable aux conditions des contrats d’embauche, qui stipulaient que les hommes devaient s’enrôler pour le voyage aller-retour, ainsi qu’à la nature saisonnière de la navigation au Québec. La demande de matelots était élevée au début de chaque saison en raison de la construction de nouveaux bateaux et, lorsque les navires britanniques arrivaient à Québec, il était facile de persuader leurs membres d’équipage de déserter et de s’enrôler sur un navire en partance contre un salaire beaucoup plus élevé. C’est ainsi qu’un réseau de racoleurs vit le jour rue Champlain, près du port, afin de faciliter, contre rémunération, le passage d’un employeur à un autre. En 1848, le gouvernement de la province du Canada tenta de freiner la désertion en nommant un enrôleur maritime dans le port, mais il ne réussit pas à briser l’emprise qu’exerçaient sur presque toute la main-d’œuvre les racoleurs qui ne laissaient aucun choix aux marins ni aux capitaines quant aux échanges et qui traitaient les autorités portuaires avec mépris. La réputation du port de Québec en souffrit à l’échelle internationale, notamment après que Henry Fry, agent à Québec pour la Lloyd’s de Londres, eut publié en 1856 des articles dans le Times et la Shipping and Mercantile Gazette de Londres où il dénonçait la domination des racoleurs et suggérait que leur commerce lucratif se faisait de connivence avec les marchands locaux et les autorités portuaires. Ces accusations amenèrent le gouverneur Edmund Walker Head* à ordonner la tenue d’une enquête, et c’est à la suite de celle-ci que la presse fit état des activités de Jim Ward.
Connu des matelots comme le « plus grand fripon à Québec », Ward était le racoleur le plus infâme de la rue Champlain. Sa notoriété atteignit des dimensions légendaires avec des histoires de matelots morts mis à bord des bateaux et de marins forcés de quitter leur navire à la pointe du fusil. Il est certain qu’il racola des hommes pour l’armée de l’Union durant la guerre de Sécession aux États-Unis et qu’il força des capitaines de navire à renvoyer leurs hommes d’équipage et à en engager d’autres à des salaires qu’il fixait au mépris des tarifs officiels. Il utilisait des armes pour imposer sa discipline aux marins qu’il hébergeait et il embarquait de force des hommes comme membres d’équipage, en obligeant plusieurs à affronter, mal équipés et mal préparés, aussi bien le froid de l’Atlantique Nord que la mauvaise humeur de capitaines peu reconnaissants. Comme d’autres enrôleurs maritimes officieux de Québec, Ward subit un revers de fortune après 1873, à la suite de l’adoption d’une loi qui renforçait les dispositions interdisant la désertion des marins. Il semble qu’il soit malgré tout demeuré en affaires pendant un ou deux ans, jusqu’à ce que la construction navale commence à décliner, et il est possible qu’il ait occupé un poste d’adjoint au bureau maritime du gouvernement.
Comme bien d’autres artisans et hommes d’affaires de l’industrie portuaire à l’époque où la navigation et la construction navale étaient à leur apogée à Québec, Ward n’y habitait que l’été. Lorsque le fleuve gelait l’hiver, il émigrait vers les ports d’où l’on expédiait le coton et le bois d’œuvre de la Géorgie, de la Floride et de la Louisiane ; dans le milieu des années 1850, il semble que La Nouvelle-Orléans ait été sa destination. En 1869, il avait sa résidence d’hiver à Savannah, en Géorgie, et, lorsqu’il cessa ses affaires à Québec, il s’y établit définitivement. Il devint le directeur tout à fait respectable d’une entreprise d’arrimage, et on lui reconnaissait un « penchant noble et charitable » à l’endroit de ses employés et concitoyens. Il mourut d’une laryngite au mois d’octobre 1891 après avoir souffert de maux de gorge pendant longtemps. Le jour de ses obsèques, à la cathédrale catholique, les travaux s’arrêtèrent sur les quais et les bateaux de passage battirent pavillon en berne.
Considéré comme un être fruste durant ses années à Québec, James Ward était devenu un homme respectable à Savannah. Cependant, même à Québec il avait été mieux accepté par ses concitoyens que ne le laissent croire ses confrontations avec des capitaines de navires étrangers et avec les forces de l’ordre, car il équipait les bateaux qu’on y construisait. Ses manières étaient trop brutales pour le faire aimer des matelots ; pourtant, il avait obtenu pour eux des gages élevés et quelques-uns avaient eu la sagesse de ne pas tout dépenser à boire et à faire la fête à la taverne et à la pension de Ward, avant de rentrer chez eux.
Cette biographie est basée sur les sources et études qui ont servi à la préparation de l’ouvrage de Judith Fingard, Jack in port : sailortowns of eastern Canada (Toronto, 1982), 199–218, et qui y sont mentionnées, ainsi que sur Quebec directory, 1852–1875, et le Morning News (Savannah, Ga.), 23–24 oct. 1891. On consultera aussi de F. W. Wallace, Wooden ships and iron men : the story of the square-rigged merchant marine of British North America, the ships, their builders and owners, and the men who sailed them (New York, [1924]) ; et In the wake of the wind-ships : notes, records and biographies pertaining to the square-rigged merchant marine of British North America (Toronto, 1927), et de Judith Fingard, « Those Crimps of Hell and Goblins Damned » : the image and reality of Quebec’s sailortown bosses », Working men who got wet, Rosemary Ommer et Gerald Panting, édit. (St John’s, 1980), 323–333.
Judith Fingard, « WARD, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ward_james_12F.html.
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Auteur de l'article: | Judith Fingard |
Titre de l'article: | WARD, JAMES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |