VINCENT, THOMAS, instituteur, traducteur et ministre de l’Église d’Angleterre, né le 1er mars 1835 à Osnaburgh House (Ontario), fils de John Vincent et de Charlotte Thomas ; le 11 septembre 1861, il épousa à Moose Factory (Ontario) Eliza Anne Gladman, et ils eurent deux filles et trois fils ; décédé le 16 janvier 1907 au fort Albany (Fort Albany, Ontario).
Thomas Vincent était le petit-fils du trafiquant de fourrures Thomas Vincent* et de sa femme autochtone, Jane Renton. Gravir les échelons de la Hudson’s Bay Company au début du xixe siècle était difficile pour les jeunes sang-mêlé. Élevés aux postes de la compagnie sans le bénéfice d’une bonne éducation, bon nombre d’entre eux ne pouvaient rivaliser avec les recrues de Grande-Bretagne si leur père n’était pas là pour défendre leurs intérêts. Ainsi, quand Vincent l’aîné prit sa retraite, en 1826, son fils John fut rétrogradé de la fonction de commis à celle de chef d’avant-poste. Le gouverneur de la compagnie, George Simpson*, avait créé cette fonction pour les « fils sang-mêlé » qui n’avaient « aucune chance d’avancement sauf à de très rares exceptions ». C’est peut-être dans l’espoir d’offrir un meilleur avenir à ses propres enfants que John Vincent démissionna de la compagnie et quitta Osnaburgh House en 1840 pour s’installer à Middlechurch (Manitoba) avec sa famille. Thomas avait alors cinq ans.
Thomas fréquenta l’école paroissiale puis la St John’s Collegiate School de Winnipeg, où il obtint un diplôme. Il offrit ses services à David Anderson*, l’évêque anglican de Rupert’s Land, et visita Moose Factory avec lui en 1855. Durant les cinq années suivantes, il y fit son apprentissage de travailleur manuel, instituteur, traducteur et catéchiste auprès du révérend John Horden*. Celui-ci pensait enfin avoir trouvé, en Vincent, un autochtone qui pourrait être missionnaire « auprès de ses compatriotes ». À partir de Moose Factory, Vincent visita la baie Hannah et Rupert House (Waskaganish, Québec) en 1857, le fort Albany et Martin Falls (Ontario) en 1858 et Mistassini (Québec) en 1859, toujours pendant les mois d’été.
En 1860, Vincent fut ordonné diacre et affecté au fort Albany où, espérait-on, il « fermerait la porte aux prêtres catholiques » qui y avaient fait un grand nombre de conversions depuis le départ du missionnaire méthodiste wesleyen George Barnley en 1847. En 1863, il se rendit à la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba) pour être ordonné prêtre le 26 mai. De 1865 à 1867, Horden étant en congé, il assuma la charge de la mission de Moose Factory. À son retour, Horden rapporta que Vincent n’avait pas assez d’« influence personnelle » et de « force de caractère » pour une fonction aussi importante et conclut que Moose Factory aurait besoin « pour quelque temps » d’un missionnaire d’origine européenne.
Christopher C. Fenn, secrétaire de la Church Missionary Society, organisme qui assurait la subsistance d’une grande partie des missionnaires anglicans du Nord-Ouest, pressa Horden de donner à Vincent plus de latitude et de responsabilités et de lui laisser la chance de tirer des leçons de ses propres erreurs. La société missionnaire voulait une Église autochtone forte en Amérique du Nord ; Horden était d’accord en principe, mais c’était un étapiste. Un jour, pensait-il, les autochtones occuperaient « les plus hautes positions » dans l’Église, mais pas avant que « le tempérament autochtone [fût] plus consolidé ».
Parmi les missions qui avaient été négligées, Vincent visita pendant l’été de 1867 celle de la rivière Little Whale (Petite rivière de la Baleine, Québec) et de la rivière Great Whale (Grande rivière de la Baleine). En 1871, en se rendant à Port Hope (Ontario), où il plaça ses deux fils à l’école sous la garde de son beau-père, Joseph Gladman, trafiquant de fourrures de la Hudson’s Bay Company à la retraite, il s’arrêta à Michipicoten (Michipicoten River) et à New Brunswick House (sur le lac Brunswick). L’année suivante, il visita New Post sur la rivière Abitibi. En 1876, il retourna à Port Hope afin de régler la succession de Gladman.
Quand Horden, qui avait été sacré premier évêque du diocèse de Moosonee en 1872, partit en congé neuf ans plus tard, il confia Moose Factory à un jeune Anglais, le révérend John Henry Keen. À son retour cependant, il trouva à la place le fidèle Vincent : Keen avait subitement abandonné son poste et était rentré chez lui. En 1883, Vincent fut élevé au rang d’archidiacre par Horden ; il devenait le premier autochtone à atteindre ce rang dans le diocèse.
En 1885, Vincent fit la tournée des missions de Sauteux de Martin Falls et d’Osnaburgh House avec Horden. Tout impressionné qu’il ait été par son travail, Horden estimait qu’un sang-mêlé était inférieur par nature en raison de l’« altération de l’intellect européen à la deuxième ou à la troisième génération ». Si Vincent ou son père avait épousé une femme d’ascendance européenne, des enfants « intelligents » auraient pu naître de cette union. Comme cela n’avait pas été le cas, l’intelligence s’était pétrifiée, et Horden considérait que les fils de Vincent étaient « tous stupides ».
En 1886, Vincent se rendit en Angleterre pour voir à la publication de sa traduction en cri de The pilgrim’s progress, visiter la terre natale de son grand-père, rencontrer des membres de la Church Missionary Society et recueillir des fonds pour les missions du Nord-Ouest. Il reprit en charge Moose Factory lorsque Horden passa son troisième et dernier congé en Angleterre, en 1888–1889. Par la suite, il se rendit notamment au fort Hope (Fort Hope, Ontario), où il baptisa 120 autochtones en 1891. Le travail qu’il fit à cet endroit était important parce que la société missionnaire croyait que tous les Amérindiens de la région avaient été baptisés et, par conséquent, que les missions indiennes du diocèse de Moosonee n’avaient plus besoin de subventions. En janvier 1893, il fut rappelé du fort Albany pour assumer la direction de Moose Factory et enterrer son évêque. Trois mois plus tard, il apprit avec consternation que Jervois Arthur Newnham, qui était né en Grande-Bretagne et se trouvait sur le territoire depuis moins de deux ans, deviendrait le nouvel évêque, alors que lui-même était laissé pour compte, en dépit du fait qu’il avait 58 ans, était autochtone, bilingue et avait plus d’ancienneté et d’expérience que tous les autres ministres du diocèse.
En 1893, Vincent reçut un doctorat honorifique en théologie du St John’s College de Winnipeg. L’année suivante, il visita Chapleau et Missanabie, en Ontario. Seul depuis la mort de sa femme en 1891 et déçu par la nomination de Newnham, il prit sa retraite et s’installa à Stonewall, au Manitoba, en 1900. L’année suivante, il fit un bref séjour dans la région de la baie James en qualité de recenseur pour le gouvernement fédéral. À l’occasion de la translation de Newnham au diocèse de Saskatchewan, en 1904, Vincent offrit de le remplacer dans celui de Moosonee, mais sa candidature fut rejetée. En 1906, le diocèse de Moosonee manquait à tel point de ministres que Vincent fut rappelé au fort Albany. C’est là qu’il mourut, au début de l’année suivante, et il fut inhumé à Moose Factory.
Horden nourrissait de grands espoirs à l’époque où il avait affecté Vincent au fort Albany. Les oblats considéraient ce missionnaire comme un adversaire avec lequel il fallait compter, mais après l’arrivée de cette congrégation catholique, les autochtones de l’endroit ne furent plus jamais « purement protestants ». Ils allaient adhérer, en nombre à peu près égal, aux deux Églises, et en 1947, les communautés amérindiennes allaient se scinder selon leur appartenance religieuse. Au mieux, Vincent et ses assistants autochtones permirent simplement à l’Église anglicane de maintenir sa position. Néanmoins, ils agrandirent le champ d’action de la Church Missionary Society, surtout en rejoignant les Sauteux de la haute rivière Albany et les Cris de Mistassini.
Connu pour son endurance et sa robustesse autant que pour son intransigeance à l’endroit des manifestations de la spiritualité autochtone – en 1881, il déclara que l’usage du tam-tam à Rupert House était « le premier pas en arrière vers le paganisme et la conjuration [des esprits] » – Thomas Vincent était presque une légende dans le Nord-Ouest lorsqu’il mourut. Ses lettres et les rapports de ses activités, qui parurent dans les périodiques de la société missionnaire, contribuèrent à donner de lui ce qu’un historien a appelé « une image plus grande que nature » et à en faire le missionnaire idéal. Toutefois, sa carrière montre aussi à quels obstacles les sang-mêlé se heurtaient, même s’ils étaient plus instruits que ceux de la génération précédente. Son avancement était limité par son ascendance, comme l’avait été celui de son père ; apparemment, le titre d’archidiacre correspondait dans l’Église à la fonction de chef d’avant-poste dans la traite des fourrures. Vincent se considérait comme égal « au meilleur Anglais qui [eut] jamais vécu », mais il fut victime du racisme de collègues missionnaires tel Horden, malgré les objectifs libéraux que visaient les dirigeants de la Church Missionary Society en Angleterre.
Quelques descendants de la fille aînée de Thomas Vincent, Clara Caroline (Nicholson), vivent encore dans la région de la baie James. On y trouve aussi d’autres personnes dont le nom de famille est Vincent, soit les descendants d’Erland Vincent, petit-fils du frère de Thomas, James.
Thomas Vincent a traduit en langue cri l’ouvrage de John Bunyan, The pilgrim’s progress, et cette traduction a été publiée à Londres, en 1886.
AN, MG 17, B2 (mfm).— EEC, General Synod Arch. (Toronto), M61–3 (Moosonee coll.), box 2, St Paul’s Church, Fort Albany, RBMS et journaux, 1883–1923 ; Thomas Vincent, letter-book, 1895–1899 (copie).— Winnipeg Free Press, 15 avril 1961.— Jacob Anderson et Richard Faries, « Thomas Vincent », Leaders of the Canadian church, W. B. Heeney, édit. (3 sér., Toronto, 1918–1943), 2e sér. : 89–109.— J. S. Long, « Archdeacon Thomas Vincent of Moosonee and the handicap of « Métis » racial status », Canadian Journal of Native Studies (Brandon, Manitoba), 3 (1983) : 95–116 ; « Shaganash » : early Protestant missionaries and the adoption of Christianity by western James Bay Cree, 1840–1893 » (thèse de ed.d., Univ. of Toronto, 1986).— Marsha Snyder, « Thomas Vincent, archdeacon of Moosonee », OH, 68 (1976) : 119–135.
John S. Long, « VINCENT, THOMAS (1835-1907) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/vincent_thomas_1835_1907_13F.html.
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Auteur de l'article: | John S. Long |
Titre de l'article: | VINCENT, THOMAS (1835-1907) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |