VEYSSIÈRE, LEGER-JEAN-BAPTISTE-NOËL (baptisé Leger et connu en religion sous le nom de père Emmanuel), prêtre, récollet, et, par la suite, ministre de l’Église d’Angleterre, né le 23 décembre 1728 à Tulle, en France, fils d’Étienne Veyssières et de Françoise Fraysse ; il épousa le 17 avril 1770 Elizabeth Lawrear (Chase ; Brookes) et, en 1790, la veuve Christiana Gotson (Godson) ; décédé à Trois-Rivières, Bas-Canada, le 26 mai 1800.
Après avoir terminé ses études théologiques en France, à Cahors, en 1750, Leger-Jean-Baptiste-Noël Veyssière arrivait à Québec le 15 août de la même année. Il étudia encore la théologie pendant deux ans au séminaire de Québec, avant d’aller exercer les fonctions de sous-économe du séminaire de Saint-Sulpice, à Montréal, où il enseigna aussi les humanités pendant deux ans. Après avoir passé 14 mois comme missionnaire auprès des Iroquois de La Galette (près d’Ogdensburg, New York), il entra, en 1756, chez les récollets, à Québec, y prenant le nom de père Emmanuel. Le 27 décembre 1758, il était ordonné prêtre, le dernier à l’être des mains de Mgr de Pontbriand [Dubreil*]. En 1760, le grand vicaire Briand le nommait confesseur et prédicateur à Québec, où, en juillet 1761, il prenait acte de l’abjuration du huguenot Antoine-Libéral Dumas. L’année suivante, Briand l’envoyait desservir Saint-Michel de La Durantaye (Saint-Michel-de-Bellechasse) et, en février 1765, il lui confiait en outre la paroisse de Beaumont ; en janvier 1766, il le transférait à Saint-Nicolas.
En octobre 1762, Veyssière avait provoqué la colère de Briand en se plaignant au gouverneur Murray de ce que le grand vicaire réservait aux récollets toutes les paroisses aux plus faibles revenus. Quatre ans plus tard, il scandalisa l’Église catholique en passant au protestantisme. La Gazette de Québec affirma qu’il s’était converti, apparemment, « par des motifs de conscience ». L’espoir de Veyssière de devenir ministre à Québec fut contrarié, cependant, par le révérend John Brooke, aumônier de l’endroit, qui refusa de recevoir son abjuration. Brooke agissait ainsi sous les pressions du lieutenant-gouverneur Guy Carleton*, qui craignait de provoquer davantage l’Église catholique. Veyssière, néanmoins, reçut l’appui du procureur général huguenot Francis Maseres*, qui s’opposait à la ligne de conduite adoptée par Carleton relativement à la question religieuse. Maseres espérait que, si l’ancien récollet, qu’il dépeignait comme ayant « un peu de simple bon sens » et « une connaissance acceptable des questions disputées entre papistes et protestants », recevait un bon traitement, beaucoup d’autres prêtres pourraient suivre son exemple, ce qui marquerait le début d’un mouvement de conversion.
Rebuté à Québec, Veyssière partit pour Londres en octobre 1767, muni de lettres de recommandation de Maseres, d’habitants francophones et anglophones de Québec, et de 36 catholiques des paroisses qu’il avait desservies. Maseres attendait de Veyssière qu’il donnât au gouvernement britannique un « compte rendu exact et fidèle de l’état de la religion dans la province » et, en particulier, qu’il mît l’accent sur l’erreur faite en permettant aux Canadiens d’avoir un évêque, en la personne de Mgr Briand. Veyssière arriva à Londres au moment précis où l’Église d’Angleterre cherchait des ministres francophones pour Trois-Rivières et Québec, David Chabrand Delisle ayant déjà été nommé à Montréal. Veyssière chercha à obtenir sa nomination à Québec, mais on lui préféra David-François De Montmollin* ; on lui confia plutôt le ministère de Trois-Rivières, au salaire de £200 par année. Il était de retour au Canada à l’été de 1768, et Carleton protesta fortement contre sa nomination, vu « sa légèreté et sa conduite déraisonnable, tant avant qu’il eût renoncé aux erreurs de l’Église romaine qu’après son abjuration ». Craignant que les trois nouveaux ministres ne causassent des problèmes, Carleton rédigea leurs commissions de manière à leur « laisser le pouvoir de faire tout le bien qu’ils pourraient, ou qu’ils choisiraient de faire, sans les autoriser pour autant à faire le mal ».
En septembre 1768, à Trois-Rivières, Veyssière commença son ministère dans l’ancienne chapelle des récollets, au sein d’une congrégation largement composée de soldats jusqu’après la Révolution américaine. Tout le temps qu’il y fut ministre, sa paroisse, d’une grande étendue, compta un nombre relativement constant de protestants – de 150 à 200, environ – la plupart probablement dissidents, mais tous décidément indifférents.
En janvier 1775, Henry Caldwell*, qui allait être nommé au Conseil législatif de Québec l’année suivante, écrivait à lord Shelburne, un membre éminent de la chambre des Lords, que la religion protestante « s’en allait résolument à la mendicité dans ce pays », parce que la Society for the Propagation of the Gospel y avait envoyé les trois ministres francophones « qui, chaque dimanche, massacrent la pauvre liturgie anglaise de la manière la plus barbare ». Caldwell méprisait particulièrement l’ancien récollet, qu’il accusait de s’être converti uniquement pour éviter de faire pénitence pour « ses débauches notoires ». Quoi qu’il en soit, ce n’étaient pas les vieux habitants anglais, comme Caldwell, généralement bilingues, qui se plaignaient le plus effectivement, mais les Loyalistes unilingues qui envahissaient la colonie. Christian David Claus donna le coup d’envoi avec l’appui du révérend John Doty. En 1785, un rapport adressé au gouvernement donnait l’avertissement que l’Église d’Angleterre pourrait bientôt être extirpée de la colonie, « par la fourberie et la persévérance des émissaires [ministres dissidents] de la Nouvelle-Angleterre, qui s’insinuent maintenant dans la province et empoisonnent les esprits des habitants sans défiance » ; à cause de leur désir d’obtenir des services religieux en langue anglaise, ces gens étaient ainsi instruits des principes des dissidents. En février 1786, Evan Nepean, commissairè du petit sceau, recevait un mémoire qui qualifiait de honteuse la situation de l’Église d’Angleterre, à Trois-Rivières, où « le ministre [...] est de cette sorte de personne qui serait une disgrâce pour la moins honorable des professions ».
Ces plaintes vinrent à la connaissance de Charles Inglis*, qui avait été nommé évêque de la Nouvelle-Écosse en 1787, avec juridiction sur toute l’Amérique du Nord britannique, et lui-même loyaliste. En juin 1789, Inglis, déjà déterminé à remplacer les ministres francophones, arriva à Québec pour entreprendre une visite pastorale. Le 26 juin, il trouva l’église de Trois-Rivières en ruines, le culte étant célébré dans la maison du ministre. « Mr. Veyssière, nota-t-il, est une pauvre petite créature – il ne mesure pas plus de 4 pieds 10 pouces », incapable de parler un anglais cohérent et bon seulement à avilir l’Église d’Angleterre. Il n’est pas surprenant, se plaignitil, qu’avec des hommes comme Veyssière les conversions au catholicisme soient, dans la colonie, 20 fois plus nombreuses que les conversions au protestantisme. En août, il tenta en vain de convaincre Veyssière d’accepter un remplaçant anglais, qui lui eût enlevé la moitié de son salaire.
Veyssière se cramponna à son poste, isolé de sa congrégation et de l’Église d’Angleterre, jusqu’en 1794. Pendant une visite pastorale de Jacob Mountain*, évêque récemment nommé de Québec, Veyssière rapporta que le peuple ne donnait d’argent ni aux pauvres, ni à l’église, ni au ministre et que la cène avait été célébrée trois fois par année, « en présence parfois de trois ou quatre personnes, et souvent d’aucune ». De plus, les cours de catéchisme étaient annoncés, mais aucun enfant n’y venait jamais. Même si, dix ans plus tard, John Lambert*, auteur d’un récit de voyage, devait considérer l’indifférence des protestants de Trois-Rivières comme congénitale, l’évêque en jeta le blâme sur Veyssière, qu’il accusa d’ « avoir allié à une incapacité complète de parler pour être compris, la débilité mentale et une conduite notoirement irrégulière ». Mountain nomma son frère, Jehosaphat*, comme assistant de Veyssière, qu’il releva de toutes ses responsabilités, tout en lui laissant le titre de rector, avec plein salaire.
Depuis 1777, Veyssière vivait dans une maison de bois voisine de celle du marchand Aaron Hart. Il possédait aussi une terre boisée dans la seigneurie du Cap-de-la-Madeleine, considérée comme presque sans valeur. Sa bibliothèque contenait quelque 180 volumes, religieux pour la plupart, et tous en langue française. Quand ils furent mis aux enchères, peu avant sa mort, parmi les principaux acquéreurs se trouvèrent William Grant* (1743–1810), les Hart – Aaron, Ezechiel* et Benjamin* – et plusieurs prêtres, dont François-Xavier Noiseux, grand vicaire à Trois-Rivières. La taille et la composition de sa bibliothèque sembleraient réfuter les accusations d’imbécillité et d’irréligion portées contre Veyssière.
Insignifiant comme ministre, Veyssière, cependant, par l’isolement dans lequel il vécut, révèle le sort qu’eût probablement connu tout prêtre catholique qui se fût converti au protestantisme après la Conquête. Ce qu’il eut à endurer de la part des protestants et des catholiques, de l’Église d’Angleterre et de l’État, a peut-être empêché de semblables conversions, qui eussent pu affaiblir sérieusement la position de l’Église catholique dans une période critique pour elle. Plus certainement encore, l’expérience que fit l’Église d’Angleterre avec Veyssière, et à un moindre degré avec ses collègues Chabrand Delisle et De Montmollin, la détermina à abandonner l’attitude de prosélytisme adoptée après la Conquête. À partir des années 1790, elle allait concentrer son attention, avec l’aide d’un clergé britannique, sur les protestants britanniques de la colonie.
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James H. Lambert, « VEYSSIÈRE, LEGER-JEAN-BAPTISTE-NOËL (baptisé Leger) (père Emmanuel) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/veyssiere_leger_jean_baptiste_noel_4F.html.
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Auteur de l'article: | James H. Lambert |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |