TALBOT, EDWARD ALLEN, inventeur, officier de milice, juge de paix, instituteur, auteur et journaliste, né vers 1796 en Irlande, aîné de Richard Talbot* et de Lydia Baird ; le 11 mai 1821, il épousa à l’église anglicane Christ Church de Montréal Phœbe Smith, et ils eurent huit enfants ; décédé le 6 janvier 1839 à Lockport, New York.

Edward Allen Talbot, qui montra dans son enfance des « signes indéniables de génie inventif », s’était préparé par ses études à faire carrière dans l’armée britannique, mais les perturbations économiques dues aux guerres napoléoniennes et, par la suite, le licenciement de nombreux régiments poussèrent sa famille à quitter l’Irlande en juin 1818, à bord du Brunswick, avec un groupe de colons. Même si Richard Talbot était le chef de ce groupe, à l’arrivée dans le Haut-Canada, Edward Allen avait acquit un ascendant presque équivalent à celui de son père.

Comme son père et son frère John*, Talbot était tout à fait inapte à la vie de pionnier, mais c’était surtout à cause de son goût pour les sciences et les lettres. Au printemps de 1820, les deux frères quittèrent donc la ferme familiale, dans le canton de London, en vue de regagner l’Irlande. Mais comme Edward Allen s’était arrêté à Montréal, il renoua connaissance avec la famille de Ralph Smith, un Irlandais ; il resta dans cette ville pendant plus d’un an et épousa la fille aînée de Smith.

Talbot retourna dans le canton de London probablement à l’été de 1821 ; il y poursuivit la rédaction d’un livre consacré à sa traversée en Amérique et à ses voyages au Canada. Il continua aussi à essayer de fabriquer une machine à mouvement perpétuel, comme le firent tant de ses contemporains. Après avoir acheté la maison de ses parents et les 100 acres circonvoisines, vraisemblablement pour assurer l’avenir de sa famille si lui-même ou son père, alors en mauvaise santé, venait à disparaître, il se mit en route pour l’Angleterre en août 1823. Il passa par les États-Unis, désireux, croit-on, de faire avancer son projet d’invention.

En Angleterre, Talbot demanda en vain au ministère des Colonies une aide pour réaliser un plan d’émigration semblable à celui qu’avait exécuté son père en 1818. En revanche, il réussit à obtenir une réponse favorable du secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, à la requête présentée par son père pour qu’on lui accorde réparation d’un tort « infligé par le lieutenant-gouverneur [sir Peregrine Maitland*] ». Talbot parvint également à faire publier son manuscrit Five years’ residence in the Canadas [...]. Cet ouvrage en deux volumes parut à l’été de 1824, mais aux frais de la famille Talbot. Son auteur y apparaît comme un homme instruit et cultivé qui professait des opinions plutôt conservatrices et un observateur très perspicace de la vie au Canada. Sa thèse est révélatrice : le Canada, soutenait-il, récompenserait bien les immigrants pauvres qui étaient travailleurs et prêts à vivre cinq ou six années d’épreuves, mais il n’avait que peu d’attraits pour les gentlemen. En raison du faible nombre d’exemplaires vendus et du fait que la famille ne put évidemment toucher aucun droit d’auteur pour les traductions pirates qui parurent rapidement en France et en Allemagne, la publication du livre fut un échec financier.

Le 12 mars 1824, pendant qu’il était encore dans les îles Britanniques, Talbot fut nommé capitaine dans le 4th Regiment of Middlesex militia. Il semble qu’il retourna dans le Haut-Canada l’année suivante. Très influent dans le nord du comté de Middlesex, il joua un rôle important dans les démarches qui permirent de remplacer Vittoria, une municipalité du comté de Norfolk, par la jeune localité de London comme chef-lieu du district de London. Le 13 juin 1829, il devint juge de paix du district. Ironie du sort, le seul autre magistrat du canton de London était Ira Schofield qui, à titre de major du 4th Regiment, porta cinq accusations contre Talbot en juillet suivant. En mars 1830, devant un conseil de guerre, Talbot réfuta brillamment toutes les accusations, sauf une, qui était mineure. Il put garder ses postes de capitaine dans la milice et de juge de paix ; en janvier 1833, il présida la Cour des sessions trimestrielles. L’année suivante, en juillet, il fut l’une des personnes désignées par le gouvernement « pour mettre sur pied et former le bureau de santé de la ville de London ». Par bonheur, l’épidémie de choléra qui sévissait cette année-là épargna cette agglomération.

Après son retour des îles Britanniques, Talbot avait consacré beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à son idée de machine à mouvement perpétuel et à un nouveau projet : la mise au point d’une machine à vapeur améliorée capable de servir au transport par eau, par terre ou par voie ferrée. En juillet 1834, son Talbot’s Atmospheric Propelling Engine fut la première invention pour laquelle le gouvernement du Haut-Canada accorda un brevet. Cette invention s’avéra toutefois peu réaliste, car son auteur n’avait aucune notion de physique et manquait d’argent. Deux autres idées de Talbot se réalisèrent, mais après sa mort : une ligne de chemin de fer entre London et le haut du lac Ontario, et un pont suspendu sur le Niagara, qui devaient probablement faire partie d’une ligne allant du Michigan à l’état de New York. Auparavant, Talbot et le plus jeune de ses frères, Freeman, avaient « construit un grand tour en bois solide » et fabriqué toutes les grosses pièces tournées (notamment celles des escaliers) d’un palais de justice et d’une prison, érigés à London entre 1827 et 1829 [V. John Ewart*].

En 1831, Talbot s’associa à Robert Heron, fils du rédacteur en chef du Gleaner de Niagara, pour lancer le Sun de London. Premier journal haut-canadien imprimé à l’ouest d’Ancaster, il parut le 7 juillet, puis sporadiquement jusqu’en décembre 1833. Heron rompit ses liens avec le Sun à la fin de 1832 ; son successeur, William Conway Keele, l’imita quelques mois plus tard. Dans ses éditoriaux, Talbot en vint graduellement à exprimer une pensée politique plus libérale que celle du gouvernement, bien qu’il fût un partisan de ce dernier. Il se servit de son journal pour défendre son projet de construction d’une ligne de chemin de fer. Il rédigea la charte de la London and Gore Rail Road Company et son nom venait en tête de liste des actionnaires de cette compagnie, le jour de sa constitution juridique, en mars 1834.

C’est après la mort du Sun, semble-t-il, que Talbot et sa femme ouvrirent et tinrent une école pendant une courte période, à London. Tous deux se révélèrent des instituteurs excellents et cultivés, de sorte que quelques-uns des notables de la région leur confièrent leurs enfants. Par la suite, après que Talbot eut demandé en vain une concession de 500 acres, à laquelle il avait pourtant droit à l’origine, la famille alla s’établir à Niagara (Niagara-on-the-Lake). Talbot y aurait « dirigé » un journal et poursuivi sa recherche sur le mouvement perpétuel. À la fin de 1835 cependant, ses expériences, auxquelles il avait consacré temps et argent pendant des années et pour lesquelles il avait presque tout sacrifié, aboutirent à un échec. Atteint d’alcoolisme aigu, Talbot regagna London ; c’était alors « un homme à l’air maladif, complètement dépourvu de santé et de ressources, à l’apparence fort misérable, et chargé de la subsistance d’une famille très nombreuse, très pauvre et mal établie » ; il ouvrit encore une fois une école dans son domicile.

Au printemps de 1836, un groupe de modérés de la région de London acheta la presse d’un journal radical de cette ville, le Wesleyan Advocate, qui avait paru d’octobre 1835 à avril 1836, et nomma l’anglican Talbot rédacteur en chef du Freeman’s Journal. Comme au Sun, Talbot appuya le gouvernement tout en se faisant le champion de réformes modérées. Même s’il adopta de plus en plus des positions modérées, Talbot demeura toujours un fervent partisan de l’ordre d’Orange ; il fit même partie du comité général de la Grand Orange Lodge of British North America en 1835. Mais tout changea pendant les élections de l’été de 1836.

Les tripotages du lieutenant-gouverneur, sir Francis Bond Head*, dans la circonscription de Middlesex, ainsi que les émeutes de London et leur contrecoup, heurtèrent le sens de la justice de Talbot. Celui-ci attaqua violemment Head et l’ordre d’Orange dans son journal, jusqu’à ce qu’il cesse de paraître à l’automne. Pour cette raison, on ne le renomma pas juge de paix en décembre 1836, une perte qui lui fut particulièrement pénible, et on lui retira son grade de capitaine dans la milice à peu près à la même époque.

Le soir du 8 décembre 1837, certains réformistes de Middlesex, qui craignaient sincèrement que des tories et des orangistes de la région s’en prennent à leurs biens et à leur vie, se réunirent à la Flannagan’s Tavern, de London, pour élaborer un plan de défense. Edward Allen et John Talbot assistèrent tous deux à cette réunion, présidée par William E. Niles*. Même s’il avait été confiné chez lui par l’hydropisie pendant les huit derniers mois, Edward Allen rédigea la résolution sur le droit de défense consacré par la constitution et fut le secrétaire de la réunion.

Au début de janvier 1838, le jour même où Talbot comptait partir pour installer sa famille à Ypsilanti, au Michigan (il prévoyait y diriger un journal, comme on le lui avait offert six mois plus tôt), on l’arrêta et on fouilla ses papiers. Par la suite, on l’interrogea et on l’obligea à témoigner contre Charles Latimer, réformiste de London, avant de le remettre en liberté. Il quitta London au grand jour le 13 mai, fit un court séjour à Detroit, après quoi il alla s’établir en Ohio. À cette époque, sa santé, tant mentale que physique, était très détériorée. Il prit en aversion les habitants et le climat de l’Ohio, et c’est avec soulagement qu’il accepta, en juillet, le poste de corédacteur en chef que lui offrait, probablement par pure charité, l’imprimeur du Telegraph de Lewiston, dans l’état de New York. Sous son influence, le journal cessa d’appuyer les patriotes et tomba bientôt « dans un état d’irrémédiable somnolence radoteuse », conséquence de la maladie mentale de Talbot. Quelques semaines avant sa mort, en janvier 1839, ce dernier quitta le Telegraph pour se faire soigner à Lockport, près de Lewiston.

Il semble que la famille de Talbot, qui ne l’avait pas accompagné aux États-Unis et qui était probablement demeurée avec ses parents dans le canton de London, ait été informée de sa mort imminente. Après avoir envoyé à sa femme le peu de biens qu’il possédait, Talbot entra volontairement à l’hospice des pauvres de Lockport en tant que nécessiteux ; c’est là qu’il mourut. On l’enterra dans le cimetière de Cold Springs, sans aucun doute dans la fosse commune.

Edward Allen Talbot, probablement le premier à London à posséder autant de génie, du moins en puissance, était « un penseur original et un grand concepteur de projets » ; il disait jouir d’une « grande réputation de lettré » au Canada et dans les îles Britanniques et c’était un « gentleman dans toute l’acception du terme ». Cependant, il n’avait aucune idée de la valeur de l’argent et des biens matériels ; il était trop impulsif, ruina sa santé consciemment et, pendant des années, délaissa presque sa famille.

Daniel J. Brock

Edward Allen Talbot est l’auteur de : Five years’ residence in the Canadas : including a tour through the United States of America, in the year 1823 (2 vol., Londres, 1824 ; réimpr., en 1 vol., East Ardsley, Angl., et New York, 1968).

APC, RG 9, I, B8, 1.— Arch. privées, D. J. Brock (London, Ontario), F. C. Hamil à Fred Landon, 25 juill. 1961 (copie).— Christian Guardian, 4 mai 1836, 6 févr. 1839.Freeman’s Advocate (Lockport, N.Y.), 11 janv. 1839.— Gazette (London), 27 juill. 1836, 2 mars 1839.— D. J. Brock, « Richard Talbot, the Tipperary Irish and the formative years of London Township, 18181826 » (thèse de m.a., Univ. of Western Ontario, London, 1969).— F. T. Rosser, London Township pioneers, including a few families from adjoining areas (Belleville, Ontario, 1975).— D. J. Brock, « London’s first newspaper : researcher discovers long-sought copy of London Sun », London Free Press, 3 juill. 1971 : 8M.— Fred Landon, « Some early newspapers and newspaper men of London », London and Middlesex Hist. Soc., Trans. (London), 12 (1927) : 26–34.

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Daniel J. Brock, « TALBOT, EDWARD ALLEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/talbot_edward_allen_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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