SULTE, BENJAMIN (baptisé Olivier-Benjamin Vadeboncœur), journaliste, écrivain, fonctionnaire et historien, né le 17 septembre 1841 à Trois-Rivières, Bas-Canada, fils de Benjamin Sulte, dit Vadeboncœur, et de Marie-Antoinette Lefebvre ; le 3 mai 1871, il épousa à Ottawa Augustine Parent, fille d’Étienne Parent*, et ils eurent deux enfants mais aucun ne survécut ; décédé le 6 août 1923 à Ottawa et inhumé le 10 dans sa ville natale.

Benjamin Sulte commence son instruction chez les Frères des écoles chrétiennes à Trois-Rivières. La mort de son père, survenue en octobre 1847 lors d’un naufrage près de la côte de la Gaspésie, l’oblige à quitter l’école vers l’âge de dix ans pour subvenir aux besoins de sa famille. Benjamin exerce alors différents métiers : il est notamment commis dans un magasin de nouveautés, commis dans une épicerie, teneur de livres chez un commerçant de bois, G.-A. Gouin et Compagnie, payeur sur un bateau à vapeur qui assure le service entre Trois-Rivières et Montréal, propriétaire d’un magasin sur la ligne du chemin de fer du Grand Tronc en construction d’Arthabaskaville (Victoriaville) à Doucet’s Landing (Des Ormeaux). Autodidacte, il consacre ses temps libres à la lecture et à l’étude afin d’approfondir ses connaissances. En 1861, au moment de l’affaire du Trent [V. sir Charles Hastings Doyle*], il s’engage dans la milice et devient sergent-major quelque temps après. Il sollicite son admission à l’école militaire de Québec, où il aurait obtenu son brevet de capitaine. En 1866, après avoir un moment repris le service actif à l’occasion de la campagne contre les féniens, il remplace Elzéar Gérin* à la rédaction du Canada, journal conservateur d’Ottawa. L’année suivante, il est nommé traducteur à la Chambre des communes. En 1870, Sulte entre au département de la Milice et de la Défense, où il prendra la direction de la correspondance et deviendra, en 1889, commis en chef. Il occupera ce poste jusqu’à sa retraite, en 1903.

Sulte est issu d’un milieu modeste. Son ancêtre, Jean Sulte, dit Vadeboncœur, sellier et cordonnier, serait arrivé au Canada avec les troupes de Louis-Joseph de Montcalm*. Son fils Joseph, grand-père de Sulte, a exercé le métier de charretier, tandis que le père de Sulte, Benjamin, était navigateur de profession. Le mariage de Sulte avec Augustine Parent l’introduit au sein d’une société de gens de lettres où se retrouvent son beau-père, Étienne Parent, ancien journaliste et député, alors sous-secrétaire d’État, et ses beaux-frères, Antoine Gérin-Lajoie*, écrivain, journaliste et fonctionnaire, et Évariste Gélinas*, journaliste, rédacteur de la Minerve (Montréal) de 1861 à 1865, puis fonctionnaire. Au fil des ans, Sulte tisse de plus des liens étroits avec des érudits tels Alfred Garneau, Joseph-Étienne-Eugène Marmette, William Kirby* ou encore François-Edme Rameau de Saint-Père. Les différents réseaux qu’il découvre et cultive grâce à sa correspondance contribuent à parfaire sa culture en favorisant l’échange d’informations privilégiées. Ils permettent aussi la circulation de documents, parfois inédits, contribuent à la diffusion des œuvres et à la consécration de leurs auteurs.

Sulte commence à signer des poèmes et des chansons dans divers journaux vers 1860. À partir de la fin de cette décennie, ses publications se succèdent d’ailleurs à un rythme effréné : les Laurentiennes : poésies (Montréal, 1869), Histoire de la ville des Trois-Rivières et de ses environs (Montréal, 1870), Mélanges d’histoire et de littérature ([Ottawa], 1876), Chants nouveaux ([Ottawa], 1880), et plusieurs autres. Son œuvre principale, Histoire des Canadiens-français, 1608–1880 : origine, histoire, religion, guerres, découvertes, colonisation, coutumes, vie domestique, sociale et politique, développement, avenir, est publiée à Montréal en huit volumes entre 1882 et 1884. Sulte y adopte un point de vue différent de ses prédécesseurs et s’intéresse aux conditions de vie des gens du peuple, orientation que traduit bien le titre de l’ouvrage. Influencé par le courant réaliste, il adopte une position critique à l’égard de ses sources et ne conforte pas l’opinion alors reçue de ses devanciers, qui exaltent le rôle des communautés religieuses sous le Régime français. Son histoire soulève bien des polémiques, justement en raison de l’image peu flatteuse que l’auteur donne des jésuites et du premier évêque de Québec, Mgr François de Laval*. Sulte acquiert ainsi une réputation d’historien aux idées libérales. Il se fait aussi reprocher de glisser par moments dans la généralisation abusive et de tirer parfois des conclusions hâtives. Ses différents travaux semblent toutefois mieux reçus par les anglophones. Les querelles auxquelles a donné lieu la publication de l’Histoire des Canadiens-français n’empêchent pas Sulte de continuer à afficher ouvertement ses convictions. De caractère impétueux, il ne recule pas devant la polémique, comme en témoigne un de ses articles paru en 1902 dans lequel il prend à partie Octave Crémazie*, « le Mahomet des patriotes manqués », et « la petite religion des Vive la France ». Son franc-parler heurte les sentiments de plusieurs de ses contemporains qui glorifient la mémoire du poète national. Un tollé de protestations s’élève et c’est de justesse que Sulte n’est pas exclu de l’Institut canadien-français d’Ottawa. La violente sortie de l’historien éveille les vieilles rancœurs et, sous la plume de ses détracteurs, il devient « l’insulteur de la France, le traître à sa race et le dénigreur de nos gloires nationales ».

Des événements douloureux d’ordre privé assombrissent les dernières années de la vie de Sulte. En 1912, il se sépare de sa femme. Il vit ensuite avec sa sœur Émilie, qui l’a rejoint à Ottawa. La cohabitation ne se fait pas sans heurts et, à la fin de l’année 1920, il doit se loger dans une chambre de l’hôtel Albion. La solitude et les problèmes de santé le minent. En février 1922, il est recueilli par son neveu, Paul-E. Parent, chez qui il restera jusqu’à sa mort.

Très actif dans les milieux littéraires, Benjamin Sulte a été notamment membre de l’Institut canadien-français d’Ottawa, du Cercle des dix à Ottawa, de la Société historique de Montréal et de la Société royale du Canada. En 1916, la University of Toronto lui a décerné un doctorat honoris causa en droit. Sulte a prononcé des centaines de conférences et possédait, au dire de ses contemporains, un talent d’orateur certain. Celui que l’on a surnommé le « grand remueur d’histoire » a laissé l’image d’un travailleur acharné et érudit, d’un chercheur infatigable qui amasse et compile des notes. Il fut sans doute l’écrivain le plus prolifique de son époque, ayant signé des milliers d’articles au cours de sa vie, plus de 3 500, a-t-il estimé en 1916. Ses amis ont d’ailleurs souligné sa fécondité et célébré la parution du centième article de Sulte – publié dans le numéro de décembre 1886 de la Revue canadienne (Montréal) – par un banquet littéraire et historique ; l’écrivain prolifique a d’ailleurs signé tous les textes qui ont composé cette livraison. Gérard Malchelosse*, considéré comme son disciple, a recueilli un grand nombre de ses articles qu’il a publiés à Montréal dans les Mélanges littéraires (2 volumes) et dans les Mélanges historiques [...] (21 volumes) entre 1918 et 1934.

Hélène Marcotte

AO, F 1076, MU 1634.— Arch. de l’univ. de Montréal, P57/58 (fonds Jean Bruchési).— Arch. de l’univ. Laval, P121 (fonds Gérard-Malchelosse).— Arch. du séminaire de Nicolet, Québec, F045 (fonds Elzéar-Bellemare).— Arch. du séminaire de Trois-Rivières, Québec, 0129-C2 (fonds Marguerite-Marie).— Gérard Malchelosse, « Benjamin Sulte et les débuts du journalisme aux Trois-Rivières », le Nouvelliste (Trois-Rivières), 21 juin 1941.— « Un autre aspect de la vie de notre historien, B. Sulte », le Nouvelliste, 17 sept. 1941.— F.-J. Audet, « Benjamin Sulte », BRH, 32 (1926) : 337–347.— Cinquante-six ans de vie littéraire : Benjamin Sulte et son œuvre ; essai de bibliographie des travaux historiques et littéraires (1860–1916) de ce polygraphe canadien [...], Gérard Malchelosse, édit. (Montréal, 1916).— Ægidius Fauteux, « Benjamin Sulte », SRC, Mémoires., 3e sér., 18 (1924), proc. : iv–vii.— Patrice Groulx, « Benjamin Sulte, père de la commémoration », SHC, Rev., nouv. sér., 12 (2001) : 49–72.— Hamel et al., DALFAN, 1257–1259.— Hélène Marcotte, Benjamin Sulte : cet inlassable semeur d’écrits (Montréal, 2001).— [H. J. Morgan], The writings of Benjamin Sulte (Milwaukee, Wis., 1898).— « Le Premier Centenaire de “la Revue canadienne” », Nouvelles Soirées canadiennes (Montréal), 6 (1887) : 544–562.— Albert Tessier, « Dans l’intimité de Benjamin Sulte », Cahiers des Dix, 21 (1956) : 159–177

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Hélène Marcotte, « SULTE, BENJAMIN (baptisé Olivier-Benjamin Vadeboncœur) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sulte_benjamin_15F.html.

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Auteur de l'article:    Hélène Marcotte
Titre de l'article:    SULTE, BENJAMIN (baptisé Olivier-Benjamin Vadeboncœur)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    1 décembre 2024