SULLIVAN, DANIEL (connu aussi sous le nom de Daniel Tim-Daniel O’Sullivan), forgeron, aubergiste et fermier, né vers 1808 en Irlande, décédé probablement le 5 janvier 1887 à Norway (maintenant partie de Toronto).
Daniel Sullivan se fit connaître au milieu des années 1830 comme agitateur politique de quartier dans la ville de Toronto. Entre 1832 et 1837, il fut poursuivi pour au moins 13 délits comportant de la violence individuelle ou collective (assaut et voies de fait, émeute et bagarre) et comparut à titre de plaignant dans au moins quatre causes du même genre. Presque toujours, les adversaires de Sullivan étaient des partisans tories ou des orangistes, et les actes de violence étaient reliés à des élections législatives ou à des manifestations orangistes.
Bien que la fréquence des comparutions en cour de Sullivan témoigne de son importance comme fauteur de désordre partisan, ses frères, Jeremiah et Patrick, et son beau-frère Patrick Cassady n’avaient rien à lui envier dans ce domaine. Le Recorder and General Advertiser de Toronto, organe orangiste, s’en plaignit en juillet 1835 : « La personnalité des Sullivan est bien connue dans cette ville, et aucune rixe plus ou moins importante ne se produit sans que le nom de Sullivan n’y soit accolé [...] Ce nom véhicule la terreur dans l’esprit de tout citoyen pacifique et bien pensant. » William Lyon Mackenzie* déclara cependant, faisant allusion avec peu d’égards aux tergiversations politiques et aux efforts d’ascension sociale de Robert Baldwin Sullivan* : « Ce même M. Sullivan n’a-t-il pas [...] quelques parents dans cette ville, connus comme les Sullivan, qui n’ont ni retourné leur veste, ni VENDU LEUR RELIGION et qui n’ont pas honte du marteau et de l’enclume avec lesquels ils gagnent leur vie ? » À une autre occasion, Mackenzie fit allusion à Daniel comme le « cousin Dan » de Robert Baldwin Sullivan, mais il n’existe aucune autre preuve qu’ils fussent parents.
La nature des relations qu’entretenait Sullivan avec Mackenzie est peu claire mais intéressante. On pourrait sans doute penser que l’Écossais aux tendances puritaines détestait le turbulent forgeron irlandais ainsi que ses compagnons catholiques, de solides buveurs issus du bas peuple ; mais apparemment leur appui dans Toronto était vital pour un homme politique aussi dépendant de la faveur populaire que l’était Mackenzie. Deux incidents survenus lors des élections provinciales de 1834 le laissent entendre. Une nuit, au début d’octobre, après une querelle sur les hustings dans laquelle Sullivan avait fait excellente figure, une meute de partisans tories prit d’assaut sa maison, mettant en danger les personnes qui s’y trouvaient. Mackenzie, à titre de maire de Toronto, infligea des peines tellement sévères à deux des émeutiers que de nombreux citoyens importants signèrent une pétition en faveur d’un des détenus, tandis que des sentences plus clémentes accordées au même moment à Sullivan suscitèrent des accusations de favoritisme. La nuit qui suivit l’attaque du domicile de Sullivan, un groupe de constables conduit par le constable en chef (ou huissier en chef) de Toronto, William Higgins, se heurta à une bande d’émeutiers antitories, dont Sullivan ; et un de ceux-ci, Patrick Burns, fut tué. Mackenzie, assailli de plaintes de la part des amis de la victime, procéda à une enquête qui fut menée par un simple tribunal de police et on renvoya Higgins en Cour d’assises pour meurtre. Celui-ci fut disculpé en avril 1835 par le jury d’accusation, lequel retint une accusation d’émeute contre Sullivan et d’autres compagnons du mort. Des journaux tories accusèrent Mackenzie de complicité avec les témoins en vue d’établir l’accusation contre Higgins et soulignèrent ses relations amicales avec Sullivan.
Mackenzie n’était cependant pas le seul réformiste éminent dont le nom fut associé à celui de Sullivan dans les documents de l’époque. En novembre 1834, la Constitutional Reform Society de Toronto nomma Sullivan membre du comité du quartier St George qui devait s’occuper des préparatifs en vue de l’élection municipale de 1835 ; faisaient également partie de ce comité, le juge George Ridout*, deux échevins, le docteur John E. Tims et Edward Graves Simcoe Wright. On ne connaît pas le rôle qu’a pu jouer Sullivan dans d’autres élections, mais un article de journal à propos d’une bagarre pendant les élections provinciales de 1836 rapporte qu’il se rendit à la demeure d’un candidat réformiste, James Edward Small*, et qu’il s’en fut en compagnie de Ridout et d’un radical éminent de Toronto, Charles Baker. Deux des pétitions de Sullivan pour obtenir un sursis, datant de 1837 et de 1848, portent les signatures de plusieurs réformistes (quelques-uns protestants), dont plusieurs marchands, conseillers municipaux et juges de paix. Dans la dernière pétition, Charles Durand décrit Sullivan comme « un bon citoyen et un homme de mérite ». Ces pétitions contiennent également des signatures de tories, comme celles de l’ex-député et ex-maire de Toronto, George Monro*, et de deux conseillers municipaux, James Trotter et James Browne.
La brève carrière de Sullivan à titre de primus inter pares des catholiques antitories de la basse classe prolétaire de Toronto semble avoir pris fin en novembre 1837, après qu’il fut condamné à trois ans de détention au pénitencier de Kingston pour voies de fait avec intention de tuer. Les détails de cette affaire ne sont pas connus. Sullivan se conduisit bien en prison, travaillant à son métier et évitant les mesures disciplinaires ; il fut remis en liberté au mois de mars 1839. Nous ne savons rien de ses allées et venues pendant les dix années qui suivirent ; en septembre 1848, il habitait toutefois dans le canton d’York. Il passa le reste de sa vie à cet endroit, hormis un court séjour de l’autre côté des limites du canton, à Scarborough.
Mais Sullivan n’avait pas abandonné complètement son ancienne façon de vivre, même en 1848 ; son procès pour émeute le prouve, Sullivan, son frère Patrick et un troisième individu ayant attaqué 14 orangistes armés dans une taverne. Cependant, il était en train de devenir un modeste propriétaire. Déjà en 1837, il cultivait un lopin de terre et employait des hommes pour l’épierrage. Il devint alors aubergiste et fermier, produisant principalement du foin, des pommes de terre, des pommes et de la laine. Le recensement de 1871 indique qu’il possédait 157 acres et qu’il en occupait 249 en tout ; il en possédait cependant moins à sa mort. Dans les années 1870 il commença de se qualifier de yeoman. Les annuaires de la ville datant de 1884 et de 1885 le désignent comme « ouvrier », mais dans son testament on l’appelle « Daniel Tim-Daniel O’Sullivan, gentleman ».
Le rôle de Sullivan en tant que petit leader tribal de la communauté ouvrière catholique irlandaise se compare à celui joué par les petits chefs de clan orangistes de Toronto, au milieu du xixe siècle, tels John « Tory » Earls, aubergiste et charretier appelé le « Prince de Loafers » (prince des voyous), et William Davis, aubergiste, petit fonctionnaire et conseiller municipal. Son testament, qui comporte plusieurs legs pieux (il laissa à l’archevêque John Joseph Lynch, à la Toronto House of Providence et au père Michael McCartin O’Reilly de la paroisse St Joseph à Leslieville, $50 chacun) ainsi que l’interdiction de vendre à des personnes en dehors de la famille la terre qu’il avait laissée à ses neveux, témoigne de sa vision traditionaliste. Si Sullivan était d’abord et avant tout irlandais et catholique, il n’adhéra pas toutefois à l’entente antiréformiste conclue en 1836 entre l’évêque Alexander McDonell* et l’ordre d’Orange, ni ne craignit d’épouser une Irlandaise anglicane en 1870. Il ne se conforma pas davantage au stéréotype du travailleur manuel irlandais catholique du xixe siècle. Déjà dans les années 1830, il avait loué une maison assez cossue et avait toujours l’argent qu’il fallait pour payer ses amendes ainsi que ses frais de cour. À la fin de sa vie, il s’était élevé modestement, mais de façon significative, dans l’échelle sociale.
AO, RG 22, ser. 7, 18, 15 mai 1832, 8 mai 1833 ; 19, 21 nov. 1833, 19 févr. 1834, 6 juill. 1837 ; 23, 5 janv. 1849 (transcriptions à la MTL).— APC, RG 5, C1, 7, file 803 ; 281, file 47 ; RG 31, A1, 1851, York (East) Township, District 2 : 312s. ; 1861, York Township, District 1 : f.22 ; 1871, District 45 (East York), Subdistrict A (York Township), Division 1, Schedule 1 : 7 ; Schedule 3 : 2 ; Schedule 4 : 2 ; Schedule 5 : 2 (mfm aux AO).— CTA, RG, 7, F, 1834–1846.— Kingston Penitentiary Arch. (Kingston, Ontario), Punishment book, 1835–1853 ; Work book, août 1837–mars 1840.— Land Registry Office for the Division of Toronto, Abstract index, 544-1, lot 4, concession 1, York Township ; Instruments, nos 8 563–8 566, 52 049, 69 204.— York County Surrogate Court (Toronto), no 6 279, testament de Daniel O’Sullivan, 25 janv. 1887 (mfm aux AO).— Constitution (Toronto), 27 juill. 1836, 22 nov. 1837.— Correspondent and Advocate (Toronto), 25 nov., 11, 18 déc. 1834, 14, 21 sept. 1836.— Courier of Upper Canada (Toronto), 21 avril 1835.— Patriot (Toronto), 24 juill. 1835, 21 nov. 1837.— Recorder and General Advertiser (Toronto), 10 janv., 15, 18 juill. 1835.
Paul Romney, « SULLIVAN, DANIEL (Daniel Tim-Daniel O’Sullivan) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sullivan_daniel_11F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
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