STUART (Stewart), WILLIAM, commerçant et explorateur pour la Hudson’s Bay Company, né vers 1678, mort le 25 octobre 1719.
William Stuart, encore très jeune, se rendit pour la première fois à la baie d’Hudson, en 1691 ; il fut d’abord apprenti de la Hudson’s Bay Company au fort York, puis à Albany. Il termina son apprentissage en 1699, mais il demeura à la baie comme salarié à l’emploi de la compagnie jusqu’à son retour en Angleterre en 1708. En 1714, Stuart se joignit de nouveau à la compagnie et, cette même année, s’embarqua pour York (fort Bourbon) avec le gouverneur James Knight qui, en septembre, reçut la capitulation officielle du poste des Français, commandé par Nicolas Jérémie.
Jusque-là, la carrière de Stuart s’était déroulée sans événement marquant, mais, à York, il se trouva rapidement impliqué dans les projets grandioses de Knight pour l’expansion du commerce des fourrures vers le nord-ouest. Il était essentiel, au préalable, de faire la paix entre les Cris (les « Home Indians », comme on les appelait dans les archives de la compagnie) qui vivaient sur les rives de la baie d’Hudson entre la rivière Eastmain et le fort York, et les Chipewyans ou Indiens du Nord, établis au nord-ouest de la rivière Churchill, hors de portée des contacts réguliers avec les Européens. Les Chipewyans, qui manquaient de fusils, se trouvaient sans défense devant les Cris pourvus de mousquets et de munitions par les agents de la compagnie et les défaites sanglantes que ces derniers leur avaient infligées leur faisaient craindre de s’approcher des postes de commerce des Anglais sur les rives de la baie. Knight était décidé à mettre fin à cette guerre destructrice et, en juin 1715, il avait persuadé près de 150 Cris, accompagnés d’une prisonnière chipewyane, Thanadelthur, la « femme-esclave », et de Stuart, de se rendre en mission de paix dans les territoires des Indiens du Nord. Stuart fut évidemment choisi à cause de sa connaissance de la langue des Cris, mais les conditions posées par Stuart avant de partir, telles que rapportées par Knight plus tard, laissent douter qu’il se soit porté volontaire pour cette dangereuse expédition.
Pourvu de marchandises d’échange, le détachement de paix quitta York le 27 juin 1715. Stuart était porteur des instructions écrites de Knight : il lui fallait aider les Cris à faire la paix, protéger la « femme-esclave » et, si possible, ramener à York quelques Indiens du Nord ; Thanadelthur lui servant d’interprète, il dirait aux Indiens du Nord que la compagnie avait l’intention de construire un poste à l’embouchure de la rivière Churchill en 1716, et qu’ils devraient guetter l’arrivée d’un vaisseau de la compagnie dans ces parages. Stuart devait aussi rechercher une grande variété de fourrures chez les Indiens du Nord mais, « pardessus tout », Knight lui avait dit : « Vous devrez vous livrer à une enquête précise sur les minéraux. Si vous en trouvez, vous paraîtrez indifférent de façon à ce que ni les Indiens qui vous accompagnent, ni les autres, ne sachent qu’ils ont de la valeur, mais vous rapporterez un échantillon de chaque sorte ». Knight espérait obtenir des renseignements sur les gisements de cuivre, mais sa véritable ambition concernait le « métal jaune », c’est-à-dire l’or ; il était certain qu’il en existait en grandes quantités dans l’intérieur des terres. Sur le navire en route vers York, Knight prit des creusets et d’autres instruments pour tester les rninéraux. Après avoir interrogé les prisonniers chipewyans, il fut plus convaincu que jamais que quelque part à l’ouest de la baie d’Hudson se trouvait un autre Eldorado. Cette idée devint rapidement chez lui une obsession.
Au début, le détachement de paix avança lentement. Des Indiens, de passage à York, racontèrent qu’au commencement du mois d’août le groupe n’avait pas dépassé la rivière Churchill et que la plupart des Indiens étaient déjà malades. Durant l’hiver, aucune nouvelle n’atteignit York et, en avril 1716, lorsque les premiers Indiens du détachement de paix rejoignirent en désordre le poste, ils firent un triste récit de la maladie, de la famine et de l’isolement. Ils avaient vu, pour la dernière fois, Stuart, la « femme-esclave », un chef indien et quelques-uns de ses compagnons, se dirigeant vers le territoire des Indiens du Nord. D’autres Indiens qui revinrent au poste au cours du mois firent à Knight de poignants récits de la traversée des « Barren Mountains » où, par un froid très vif, avec des amoncellements de neige sur leurs abris, ils n’avaient eu ni feu ni nourriture. Quelques-uns tuèrent leurs chiens, d’autres se nourrirent de lichen. Le 22 avril, des Indiens arrivèrent, porteurs d’une note de Stuart, datée du mois d’octobre précédent, alors qu’il n’était qu’à environ 100 milles au-delà de la rivière Churchill. La lecture de cette note était déprimante : « Nous sommes affamés en ce moment Nous continuons notre voyage Le chef y a consenti, mais craint que nous ne manquions de vivres Nous n’avons rien mangé depuis huit jours Je ne pense pas jamais vous revoir, mais je ne perds pas courage. »
Les Indiens qui arrivèrent ensuite apportaient des nouvelles encore plus sombres. Bien qu’ils eussent atteint la partie boisée de l’autre côté des contrées désertiques, ils avaient attaqué là un groupe d’Indiens du Nord, en tuant quelques-uns et faisant les autres prisonniers. Si cela devait être la seule rencontre entre les Cris et les Chipewyans, alors les chances de réussite de la mission de paix n’étaient pas brillantes ; mais, le 7 mai, Stuart lui-même arriva, accompagné de Thanadelthur, du chef cri et de quelques-uns de ses compagnons ainsi que de dix Indiens du Nord. La relation longue et animée faite par Knight ce jour-là, dans son journal, raconte les tristes aventures du détachement. Lorsque les Indiens de Stuart, suivant des pistes dans la neige, trouvèrent les corps des neuf Indiens du Nord tués par l’autre groupe de Cris, tous les espoirs de réussite semblèrent s’évanouir. Les Cris inquiets étaient prêts à retourner chez eux et seuls les efforts conjugés de Stuart et de la « femme-esclave », qui avait la parole facile, les persuadèrent d’attendre dix jours avec Stuart, pendant que la femme essaierait de prendre contact avec les Indiens du Nord. Tandis qu’ils attendaient à l’intérieur d’un abri de fortune, Stuart eut de la difficulté à leur faire respecter leur engagement et, le dixième jour, ils étaient sur le point de partir, quand la « femme-esclave » revint avec au moins 160 Indiens du Nord. La mort des neuf Indiens du Nord fut expliquée, les deux groupes d’Indiens fumèrent ensemble le calumet de paix, échangèrent des cadeaux et des otages et se séparèrent en bons termes, deux jours plus tard. Toutefois Stuart connut une grande déception : en effet les Indiens du Nord qu’il ramenait avec lui avaient des couteaux et des garnitures de cuivre, mais ils ne savaient rien au sujet du « métal jaune » sauf qu’il provenait d’un pays situé plus à l’ouest.
Naturellement, Knight était impatient de connaître la géographie du pays situé au nord-ouest, mais on pouvait difficilement se fier au rapport de Stuart. Il informa Knight qu’ils avaient voyagé en direction nord-nord-ouest, à 400 milles de York, jusqu’au 63e ; degré de latitude Nord. De là, ils s’étaient dirigés vers le nord-ouest, à travers les contrées désertiques, puis en direction ouest-nord-ouest vers un pays très giboyeux. C’était le territoire des Indiens du Nord, borné au sud par un pays montagneux, parsemé de lacs. Stuart estimait que lui et son groupe avaient voyagé 1 000 milles et se trouvaient au 67e degré de latitude Nord, lorsqu’ils avaient rencontré les Indiens du Nord. À l’exception d’un compas, Stuart n’avait probablement aucun des instruments que, plus tard, les explorateurs considérèrent comme des choses courantes, et il ne semble pas non plus avoir tenu de journal. Knight craignait, avec raison, qu’il n’eût donné sa dernière position beaucoup trop au nord. Selon les descriptions données par Stuart, il semble avoir atteint la région juste au sud-est du Grand Lac des Esclaves ; il n’alla certainement pas plus au nord que le 63e degré de latitude. Comme Samuel Hearne*, lors de ses voyages à travers cette région, Stuart dépendait de ses guides et chasseurs indiens ; et, dans les relations sommaires de son voyage, c’est la « femme-esclave » de la tribu des Chipewyans qui apparaît comme la personnalité dominante à mesure que le petit groupe approchait de son pays natal. Quoi qu’il en soit, Stuart joua un rôle de soutien important durant les dix jours d’attente anxieuse avec les Cris, pendant que la « femme-esclave » cherchait à rejoindre sa tribu ; durant la traversée des contrées désertiques, il a certainement fait preuve d’une persévérance inébranlable, même s’il n’en est pas fait mention. Le fait qu’il conduisait lui-même le détachement donnait un caractère officiel aux avances faites aux Chipewyans pour les persuader de faire du commerce avec la compagnie. La « femme-esclave » rapporta à Knight que plusieurs autres Indiens du Nord auraient voulu l’accompagner au camp cri « pour voir l’homme anglais ».
Selon Knight, l’expédition de Stuart était une mission de reconnaissance. Elle avait atteint son objectif principal qui consistait à conclure une trêve avec les Indiens du Nord, mais les épreuves subies par Stuart et la durée de son absence démontrèrent que, même si les perspectives de commerce au nord-ouest étaient bonnes, les difficultés étaient d’envergure. Tandis que dans ses projets à long terme Knight prévoyait maintenant s’y rendre par mer et non par l’intérieur des terres, il prit toutefois les dispositions nécessaires pour établir le poste de Churchill promis par Stuart aux Chipewyans pour 1716. Comme Stuart était à York le seul employé de la compagnie, excepté Knight et son adjoint Henry Kelsey, à parler une langue indienne, on eut encore une fois recours à ses services et, en 1717, à titre de « chargé des affaires indiennes », il accompagna le détachement d’avant-garde au nord jusqu’à la rivière Churchill. Malheureusement pour les projets de Knight, le navire de Londres, chargé des approvisionnements annuels, n’atteignit pas York en 1715 [V. Joseph Davis ], ce qui retarda d’un an l’entreprise de Churchill, et quand Stuart arriva à l’embouchure de la rivière Churchill, les Chipewyans, déçus dans leur attente, étaient repartis. À son arrivée sur les lieux en juillet, Knight tenta de reprendre contact, mais il chargea de cette mission le jeune Richard Norton*, plutôt que Stuart. Il se peut que la santé de Stuart ait été chancelante, car on lui ordonna de retourner à York pour y aider Kelsey. C’est là qu’il fut atteint d’une dépression nerveuse. En juin 1718, Kelsey, écrivant de York, fit savoir à Knight que Stuart « avait été pris de crises de folie à trois ou quatre reprises, tant et si bien qu’on avait dû l’attacher à son lit ». En octobre 1719, il mourut après d’autres attaques de démence.
L’importance de Stuart d’après les annales de la compagnie réside surtout dans le rôle qu’il joua pour amener la paix entre les Cris de York et leurs voisins les Chipewyans, paix qui favorisa, même si elle fut rompue à quelques reprises, l’expansion progressive du commerce de la compagnie à l’ouest vers la région de l’Athabaska. D’une façon générale, sa renommée tient surtout au fait qu’il fut le premier Européen à traverser les contrées désertiques et à atteindre le voisinage du Grand Lac des Esclaves.
Pour apprécier l’exploit de Stuart à sa juste valeur, il faut se souvenir qu’il s’écoulera 50 ans avant que Hearne, un autre employé de la compagnie, pénètre aussi profondément à l’intérieur dans une direction nord-ouest.
Les détails du voyage de Stuart se trouvent dans les journaux du fort York, tenus par James Knight, pour les années 1714–1715 et 1715–1716 (HBC Arch. B. 239/a/1, 2). La participation de Stuart à l’établissement d’un poste à Churchill est mentionnée dans les HBC Arch. B. 239/a/3 ; ces documents ont été annotés et publiés sous le titre The founding of Churchill (Kenney). Les HBC Arch. B 239/a/5 font mention de la maladie et de la mort de Stuart.
Le premier historien à donner à Stuart la place qui lui revient comme explorateur du Nord-Ouest canadien fut Morton, dans History of the Canadian west. On trouvera une biographie de Stuart dans HBRS, XXV (Davies et Johnson). The Indians of Canada de Jenness donne un récit concis de l’histoire des Cris et des Chipewyans. Ce volume est très répandu et de consultation facile. [g. w.]
Glyndwr Williams, « STUART (Stewart), WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/stuart_william_2F.html.
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Auteur de l'article: | Glyndwr Williams |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |