STEVENS, ABEL, colonisateur et prédicateur baptiste, né à Pittsford (Vermont), fils de Roger Stevens et de Mary Doolittle ; en 1779, il épousa Eunice Buck, de Pittsford, et ils eurent au moins dix enfants ; décédé en 1825 ou 1826, probablement à Steventown (près de Delta, Ontario).
La vie d’Abel Stevens au cours de ses jeunes années fut intimement liée aux exploits de son frère aîné, Roger. Peu après le début de la Révolution américaine, ce dernier, qui était un important propriétaire terrien de Pittsford, souleva la colère des rebelles de sa localité en refusant de renier son allégeance à la couronne. Ce geste de provocation conduisit à son arrestation, à son emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Mais il réussit à s’évader et décrocha un emploi comme guide d’une brigade formée de troupes allemandes, que commandait le major général John Burgoyne*. Emprisonné encore une fois, après que Burgoyne eut capitulé à Saratoga (près de Schuylerville, New York) en octobre 1777, Roger Stevens machina une deuxième évasion avec l’aide de son frère Abel. Ce dernier, alors fermier dans la région de Pittsford, était surtout connu comme un habile chasseur et un homme capable de se battre courageusement contre les Indiens. En 1781, Roger Stevens, qui espionnait pour le compte des troupes britanniques cantonnées dans le Vermont, se trouvait souvent secondé par Abel qui l’aidait à recueillir des renseignements d’ordre politique et militaire. De 1782 à la fin des hostilités, Abel, qualifié par Roger d’« homme loyal [que] les rebelles ne soupçonnaient pas du tout », parcourut le territoire de la Nouvelle-Angleterre, glanant des informations qu’il communiquait ensuite à son frère lors de rendez-vous clandestins. Malheureusement, les militaires britanniques ne partageaient guère la satisfaction que Roger éprouvait pour le travail de son jeune frère. Ainsi, un officier se plaignit que les rapports de ce dernier étaient loin d’être « à la hauteur [des] espérances [des militaires] et des récompenses qu’on lui remettait ainsi qu’à son frère, entre autres sous forme d’argent et de fourrures ». Il affirma aussi qu’Abel ne pouvait garder un secret et qu’il pratiquait l’« art de prétendre [détenir] maints secrets importants, qui n’étaient que le fruit de sa propre imagination ».
Après la révolution, Roger Stevens vécut à Montréal quelques années avant de se fixer sur les rives de la rivière Rideau en 1788. Abel Stevens, pour sa part, demeura au Vermont jusqu’en 1792. Cette année-là, avec quelques autres habitants de Pittsford, il eut l’idée d’ouvrir un établissement dans la nouvelle colonie du Haut-Canada. Après s’y être rendu en mai 1793, il fit un certain nombre de demandes pour obtenir des terres : dans l’une de ses requêtes il sollicitait la concession d’un canton pour lui et cinq associés, tandis que dans une autre il cherchait à obtenir 30 000 acres de terre le long de la rivière Thames, afin de créer une « société baptiste » sous le drapeau britannique. Bien que ces deux demandes aient été rejetées, Stevens obtint 200 acres pour lui-même et autant pour chacun de ses enfants, avec la promesse verbale que d’autres terres seraient concédées aux familles qu’il amènerait du Vermont. Cependant, pour une raison ou pour une autre, Stevens n’était pas satisfait et, encouragé par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe*, il commença à chercher un meilleur emplacement dans la région située plus à l’est. Finalement, il se rendit dans le comté de Leeds où il s’adressa au conseil des terres afin d’obtenir une concession dans le canton de Bastard. Sa demande ayant été agréée, il retourna au Vermont, où il fit un bref séjour, le temps de recruter des colons. Peu après, soit en février 1794, il ramena dans le comté de Leeds six familles baptistes qui se mirent immédiatement au travail pour fonder une communauté nommée, à juste titre, Steventown.
Stevens fit œuvre utile à titre de colonisateur et d’agent de développement foncier. Dès 1798, si l’on en croit ses propres paroles, il avait convaincu plus de 200 baptistes du Vermont de venir s’établir dans les cantons de Bastard et de Kitley. En outre, à la fin des années 1790, il joua un rôle important dans la construction d’une route longue de 18 milles qui reliait Gananoque et Kingston. Puis, de 1794 au début des années 1800, Stevens fut étroitement associé à la préparation des plans d’une fonderie qui devait servir à traiter les riches gisements de fer des marais de la région de Gananoque. En février 1799, dans une requête présentée au Conseil exécutif, il expliqua en détail tout ce qui concernait la réalisation d’un tel projet. Il informa le conseil que la construction de la fonderie exigerait une mise de fonds de £3 000, et qu’une fois l’usine terminée 50 ouvriers spécialisés pourraient y travailler. Il affirma en outre qu’il pouvait compter sur trois associés américains, mais que ces derniers n’apporteraient leur concours qu’à la condition de recevoir « des lotissements appropriés pris à même les terres incultes de la couronne situées aux abords de l’usine ». Le conseil fixa à Stevens un délai de six mois pour dévoiler les noms et l’identité de ses associés, le capital dont ils pouvaient disposer, et pour « préciser les progrès qu’il entend[ait] réaliser chaque année dans cette entreprise ». Stevens communiqua tous ces renseignements en juillet 1799, mais comme le conseil ne se montrait pas encore satisfait, Stevens eut recours à Ruel Keith, principal ouvrier de la fonderie projetée. Au printemps de 1800, Keith et un entrepreneur américain du nom de Wallis Sunderlin arrivèrent dans le Haut-Canada avec une imposante équipe d’ouvriers, afin d’entreprendre la construction de la fonderie. Bien que Stevens ait renoncé à tout intérêt financier dans ce projet, il aida Sunderlin dans ses efforts pour obtenir une concession convenable. Les démarches de Stevens finirent par porter fruit : en septembre 1800, le conseil décida que Sunderlin recevrait 12 000 acres de terre, une fois la construction de la fonderie achevée. En 1802, l’usine était terminée et elle fonctionna jusqu’à ce qu’un incendie la détruise en 1811.
Stevens fut aussi une figure dominante dans la vie religieuse de la province à ses débuts. En 1796, avec quatre autres baptistes du canton de Bastard, il demanda à Simcoe de reconnaître le droit des « ministres dûment ordonnés de toute congrégation baptiste » de célébrer des mariages. À peu près à la même époque, Stevens et Daniel Derbyshire réunirent une congrégation de « croyants baptisés » à Steventown. En 1803, craignant d’avoir agi « à bien des égards à l’encontre de la prudence [enseignée] dans l’Évangile », les membres de cette congrégation se groupèrent en une communauté ecclésiale à l’occasion d’une visite de deux missionnaires américains, Joseph Cornell et Peter Philanthropos Roots. Ces deux ministres revinrent l’année suivante afin de procéder à l’ordination de Stevens et de Derbyshire. Dans un compte rendu de la cérémonie adressé à la Massachusetts Baptist Missionary Society, Derbyshire écrivait : « ma pauvre âme indigne n’avait jamais connu une journée plus solennelle que celle-là. Nous les [missionnaires] avons quittés en remerciant le ciel pour [leur] visite et en vous bénissant au nom du Seigneur d’avoir envoyé des secours à ceux qui semblaient à la veille de périr. » À partir de ce moment, Stevens prêcha fréquemment dans les villages voisins, tout en laissant la congrégation de Steventown à la charge de Derbyshire. Il agit en outre comme délégué auprès de la Thurlow Association, premier organisme baptiste établi dans le Haut-Canada, et aida à fonder des congrégations baptistes dans les cantons de Gananoque, d’Augusta et de Crosby. Enfin, en 1805, il participa à l’ordination d’Elijah Bentley* lors d’une réunion tenue dans le canton de Markham.
Une des nombreuses figures oubliées de l’histoire des premiers temps du Haut-Canada, Abel Stevens joua un rôle prépondérant dans l’essor économique et social du comté de Leeds. Il appartint aussi à ce petit groupe de prédicateurs qui réussirent à implanter la foi baptiste dans toute la partie orientale de la province.
APC, RG 1, L3, 446a : S misc., 1793–1812/71, 175 ; 448 : S1/64 ; 448a : S1/160, 162–163 ; S2/45 ; 450 : S3/104 ; 451 : S4/92, 136, 140 ; 452 : S5/44.— Canadian Baptist Arch., McMaster Divinity College (Hamilton, Ontario), Phillipsville Baptist Church (Phillipsville, Ontario), minutes of Steventown Baptist Church.— Leeds Land Registry Office (Brockville, Ontario), Liber K, no 124.— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank), 4 : 261.— Mass. Baptist Missionary Magazine (Boston), 1 (1803–1808), no 3 : 65–77.— S. [E. H.] Ivison et Fred Rosser, The Baptists in Upper and Lower Canada before 1820 (Toronto, 1956), 88–89, 101, 127, 145, 147–148.— E. A. Cruikshank, « The activity of Abel Stevens as a pioncer », OH, 31 (1936) : 56–90 ; « The adventures of Roger Stevens, a forgotten loyalist pioneer in Upper Canada », OH, 33 (1939) : 11–37.— S. E. H. Ivison, « Noteworthy Canadian Baptists, 3 : Abel Stevens, U.E.L. ; an early Baptist preacher and colonizer », Quest (Toronto), 4 déc. 1960 : 784 (copie aux Canadian Baptist Arch.).
Curtis Fahey, « STEVENS, ABEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/stevens_abel_6F.html.
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Année de la publication: | 1987 |
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