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STARNES, HENRY (parfois appelé Henry Nathan), marchand, banquier et homme politique, né le 13 octobre 1816 à Kingston, Haut-Canada, fils de Benjamin Starnes et d’Élizabeth Mainville ; le 5 août 1840, il épousa à Montréal Eleanore Stuart, et ils eurent sept enfants ; décédé le 3 mars 1896 au même endroit.
Descendant de loyalistes et de Canadiens français, Henry Starnes fit ses études à la Montreal Academical Institution, fondée par le révérend Henry Esson*, et au petit séminaire de Montréal. Il rencontra dans ces établissements beaucoup de gens qui allaient devenir influents, dont George-Étienne Cartier*, et avec lesquels il s’associerait plus tard. En 1837, sa sœur Marguerite-Émélie épousa Louis-Victor Sicotte*, chef politique modéré qui jouerait un rôle important dans le Bas-Canada durant les années turbulentes d’avant la Grande Coalition de 1864 [V. sir John Alexander Macdonald ; George Brown*]. Pendant les années 1830, Starnes entra au service d’une société d’importation d’aliments, la James Leslie and Company, et commença à prendre pied dans la communauté d’affaires montréalaise. James Leslie* avait été parmi les fondateurs de la Banque de Montréal en 1817 et, en travaillant pour lui, Starnes eut l’occasion de côtoyer d’importants hommes d’affaires montréalais et étrangers. En 1849, il s’associa à Leslie pour former la Leslie, Starnes and Company, et il continua à s’occuper de commerce de gros jusqu’en 1859, année où il se tournerait vers les affaires bancaires.
Au début des années 1850, Starnes était assez connu pour se lancer en politique. Conseiller du quartier Ouest de Montréal de 1852 à 1855, il fut maire de la ville de 1856 à 1858 puis de 1866 à 1868. Défait aux élections générales de 1857 à titre de candidat libéral-conservateur dans la circonscription de Montréal avec Cartier et John Rose*, il se fit élire en janvier 1858 à l’Assemblée législative dans la circonscription de Châteauguay et conserva son siège jusqu’en 1863. Par la suite, Starnes n’occupa jamais d’autres postes électifs et, après la Confédération, il siégea plutôt au Conseil législatif de la province de Québec. Jusque dans les années 1870 cependant, il continua à jouer un rôle « indispensable » dans les coulisses en administrant l’argent du parti des « bleus » de Cartier. C’est dans l’exercice de cette fonction qu’il se trouva mêlé aux tractations entre Cartier et sir Hugh Allan* pendant la campagne fédérale de 1872.
Cartier, qui cherchait à se faire élire dans Montréal-Est, avait reçu des sommes considérables d’Allan – de l’argent acheminé par l’intermédiaire de la Banque métropolitaine grâce à Starnes, qui en était alors président – et, en échange de cette aide et des contributions d’Allan à la caisse électorale nationale, il avait signé une lettre dans laquelle il promettait à un groupe formé par Allan le contrat du chemin de fer qui devait se rendre jusqu’au Pacifique. Cartier ne fut pas élu, mais les libéraux-conservateurs reprirent le pouvoir. Quand, à cause de la pression du premier ministre sir John Alexander Macdonald, Allan laissa tomber ses associés américains, l’un d’entre eux, George William McMullen, menaça de révéler les liens financiers qui unissaient Allan et Cartier. Starnes intervint et versa 37 500 $ à McMullen pour obtenir la correspondance accablante. Cependant, plusieurs députés libéraux apprirent que Starnes avait ces documents en sa possession et, en avril 1873, Lucius Seth Huntington* révéla toute l’affaire à la chambre des Communes. Les libéraux réussirent à faire saisir la dangereuse correspondance, et une ordonnance du tribunal obligea Starnes à remettre les lettres.
Pour Starnes, le scandale du Pacifique, qui fit tomber le gouvernement de Macdonald et coïncida avec la mort de Cartier, son proche associé politique, marqua la fin de son engagement dans un parti. À titre de conseiller législatif, il appuya les gouvernements tant libéraux que conservateurs de la province de Québec. Après le changement ministériel auquel procéda le lieutenant-gouverneur Luc Letellier* de Saint-Just en 1878, il devint président du Conseil législatif dans le gouvernement libéral d’Henri-Gustave Joly*. Le gouvernement acheta un terrain dans lequel il avait des intérêts pour construire le chemin de fer de Québec, Montréal, Ottawa et Occidental sur la rive nord du Saint-Laurent, et Starnes, alors membre du cabinet, tira profit de cette vente. Par la suite, en autorisant le paiement d’une somme exorbitante pour l’achat et l’installation de freins d’écrou le long de la ligne de ce chemin de fer, il se trouva au centre d’une controverse. Pendant les années 1880, Starnes occupa des charges dans deux gouvernements conservateurs provinciaux : commissaire des chemins de fer, sous Joseph-Alfred Mousseau*, du 1er août 1882 au 11 février 1884, puis commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics, sous Louis-Olivier Taillon*, du 27 au 29 janvier 1887. Après la chute de l’éphémère gouvernement Taillon, Starnes avait fait remarquer avec esprit : « avant même que j’aie trouvé mon bureau, le gouvernement avait été battu ». D’avril 1889 à mars 1892, Starnes occupa de nouveau le poste de président du Conseil législatif ; il appuya le gouvernement du parti national d’Honoré Mercier jusqu’à sa révocation en décembre 1891. Comme beaucoup de bleus québécois de son époque, il semble avoir été gagné au parti libéral, que dirigeait Wilfrid Laurier* dans les années 1890, et il serait mort libéral en 1896. Toutefois, selon le Montreal Daily Star, bien des personnages politiques du Québec étaient d’avis que Starnes « se trouverait toujours à coup sûr dans les rangs du gouvernement, quels que soient l’uniforme ou la couleur du drapeau ».
La carrière de Starnes dans le monde des affaires ressemble à bien des points de vue à sa vie politique et elle se divise en deux périodes, séparées par un scandale. Pendant les années où il était associé à James Leslie, Starnes avait commencé à s’intéresser aux questions financières et il fit partie des conseils d’administration de la Banque du peuple de 1851 à 1853 et de la Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal de 1852 à 1876. Il avait abandonné en 1859 la vente en gros de produits alimentaires pour mettre sur pied et diriger la succursale montréalaise de la Banque d’Ontario. Puis, en 1871, il avait quitté cet établissement pour fonder la Banque métropolitaine, dont il fut président dès son ouverture la même année.
Starnes gérait la Banque métropolitaine d’une manière peu conventionnelle et financièrement dangereuse. Constituée avec un capital autorisé d’un million de dollars, la banque n’avait recueilli, en juin 1875, que les sept dixièmes de cette somme auprès de ses actionnaires. Plutôt que de demander le versement des fonds que lui-même et ses collègues actionnaires avaient souscrits, Starnes décida de financer les opérations de la banque en empruntant à d’autres institutions financières. En 1873, il avait expliqué : « C’est une nouvelle méthode et, jusqu’à maintenant, elle fonctionne bien. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’augmenter notre capital puisque nous pouvons toujours obtenir ailleurs de l’argent moins cher que celui des actionnaires, à qui nous devons verser des dividendes. » Chose étonnante, les actionnaires appuyèrent cette décision ; cependant, si cette ligne de conduite leur évitait, dans l’immédiat, d’immobiliser leur argent dans le capital de la banque, elle comportait néanmoins des risques considérables à longue échéance. Contrairement à l’argent investi par les actionnaires, on devait rembourser à une date précise l’argent emprunté, quelle que soit la situation financière de la banque, et on ne pouvait annuler les intérêts sur les emprunts comme on pouvait le faire, en période difficile, sur les dividendes des actions. Tant que la banque faisait des placements rentables, la méthode de Starnes pouvait fonctionner, mais en période difficile la catastrophe était inévitable.
La dépression de 1873 atteignit de plein fouet les milieux financiers montréalais en 1875, et la Banque métropolitaine se trouva en bien mauvaise posture. Elle dut suspendre le paiement des dividendes en novembre, Starnes démissionna au milieu de rumeurs selon lesquelles il aurait été directement responsable de la situation lamentable de la banque, et celle-ci ferma ses portes en 1876. Les actionnaires perdirent beaucoup d’argent et, au lendemain de la catastrophe, on accusa Starnes d’avoir adopté des pratiques bancaires répréhensibles et illégales. Certains dirent qu’il s’était servi de billets à ordre non garantis pour payer ses propres actions, contrevenant ainsi à la loi sur les banques canadiennes, et qu’il avait reçu des avances considérables de la banque pour faire « de la spéculation ». Poursuivi en justice, Starnes gagna tous ses procès, mais il dut mettre fin à sa carrière de banquier et, dans le commerce, il n’eut jamais plus de pouvoir comparable à celui qu’il avait exercé en qualité de président de la Banque métropolitaine.
Pendant sa carrière, Starnes fut aussi actionnaire ou administrateur d’un grand nombre de compagnies, dont la Compagnie de navigation du Richelieu et d’Ontario [V. sir Hugh Allan], la Compagnie canadienne pour la fabrication des locomotives et machines, la Compagnie du chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal, la Prince Edward County Railway Company en Ontario, la Compagnie du chemin de fer de jonction de Beauharnois, la Compagnie d’emmagasinage de Montréal et la Compagnie des consommateurs de gaz de la cité et du district de Montréal. Au début des années 1870, à l’époque où il était président de la Banque métropolitaine, il possédait aussi des actions de la Banque de Montréal et, lorsque son président Edwin Henry King prit sa retraite après bien des années de service, en 1873, il devint secrétaire-trésorier du comité formé par les actionnaires pour témoigner à King de leur reconnaissance. Starnes occupa également la vice-présidence du Bureau de commerce de Montréal et de l’Association Saint-Jean-Baptiste.
En affaires comme en politique, Henry Starnes avait mené des carrières comparables et, à ses débuts, il avait connu réussite et avancement. Sans le détruire, les scandales des années 1870 avaient peut-être mis fin prématurément à ses espoirs d’exercer un jour plus de pouvoir et d’influence. Starnes, a-t-on dit, était un amoureux du pouvoir qui chérissait le rêve de s’installer un jour à Spencer Wood en qualité de lieutenant-gouverneur de la province de Québec. Le scandale du Pacifique et l’effondrement de la Banque métropolitaine le reléguèrent à un rôle moins actif en politique et en affaires pour le reste de sa vie.
AN, MG 24, B2 ; B40 ; D102 ; MG 26, A.— ANQ-M, CE1-51, 5 août 1840.— Canada, chambre des Communes, Journaux, 1873, app. 1 ; Statuts, 1871, chap. 39.— Québec, Parl., Doc. de la session, 1888, no 16.— Gazette (Montréal), 14 févr. 1872, 3 juin 1873, 4 mars 1896.— Monetary Times, 25 juill. 1873, 25 juin, 26 nov. 1875, 31 mars 1876, 19 avril 1878, 13 mars 1896.— Montreal Daily Star, 4 mars 1896.— Canada directory, 1851 ;1857–1858.— J. Desjardins, Guide parl.— Turcotte, le Conseil législatif.— B. J. Young, Promoters and politicians.
Ronald E. Rudin, « STARNES, HENRY (Henry Nathan) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/starnes_henry_12F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |